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Dossier
par Jacques Duplessy

Quelle ampleur pour la seconde vague du Covid-19 ?

Deux épidémiologistes analysent la situation et les moyens de la prévenir

Le retour au travail ou à l'école va entrainer une multiplication des contacts, donc faciliter la contamination par le virus qui continue de circuler. Pour Catherine Hill, déconfiner maintenant est risqué, car nous sommes encore très en retard pour le dépistage du coronavirus.

Coronavirus, en tête de la course ? - D.R.

« Comme citoyen, je me réjouie plutôt du déconfinement, comme épidémiologiste, je suis plus interrogatif », déclare le Pr Christian Rabaud, chef de service des Maladies Infectieuses et Tropicales au CHRU de Nancy. Avec une trentaine de patients en réanimation à Nancy et une quarantaine dans les Vosges, il n’est « pas serein ». « Nous sommes montés au maximum en poussant les murs à 122 malades Covid-19 en réa à Nancy, on part avec plus d’un sixième des lits déjà occupés, ce n’est pas négligeable... Le virus circule encore dans la grand Est. L’Institut Pasteur estimait au 11 mai le nombre de nouvelles contaminations par jour à 500 dans notre région. Je pense, au vu de ce que je vis à l’hôpital, que c’est au moins trois fois plus. Mon angoisse est : est ce qu’on est capable de maintenir des mesures barrières pour que la différence de circulation du virus entre la période du confinement et celle qui s’ouvre maintenant soit faible ? »

On ne connaît toujours pas la prévalence du virus en France !

Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy, est aussi inquiète. « Il y avait 2776 malade du Covid-19 en réanimation le 10 mai, et donc encore plus de 5000 personnes en tout en réanimation. En conséquence, le système hospitalier est toujours très tendu, notamment en Ile-de-France. Déconfiner si tôt est vraiment risqué. » L'Institut Pasteur avait prédit entre 1300 et 1800 malades du Covid-19 en réanimation au 11 mai, il y en a beaucoup plus.

« Quand les médias parlent de mini-clusters, c’est une erreur, explique Catherine Hill, c’est simplement l’épidémie qui continue. Comme on fait plus de tests, notamment sur les personnes contacts, on trouve des cas groupés, c’est normal. Si on testait très large, on en trouverait plus. »

Un autre constat la fait bondir : l’absence d’estimation de la prévalence du virus en France. « Comme on n’a jamais testé un échantillon représentatif de la population pendant le confinement, on ne connaît pas réellement la circulation du virus. J’ai proposé à Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, qu’on teste toutes les femmes venant accoucher dans tous les hôpitaux un jour donné, il ne m’a jamais répondu. Pourtant on a besoin de connaître la prévalence du virus pour comprendre l’épidémie. » Et de lâcher : « On ne teste pas assez large, pas assez vite. On est loin du compte en nombre de tests. »

L'épineuse question des asymptomatiques

Un des problèmes majeurs, selon Catherine Hill, est le rôle des contaminants asymptomatiques. Des chercheur californiens ont compilé une douzaine d’études françaises et étrangères qui ont testé systématiquement des populations définies et la proportion de personnes asymptomatiques parmi l’ensemble des personnes testées Covid-19 positives. « En moyenne, on arrive à 52 % d’asymptomatiques mais qui peuvent contaminer d’autres personnes, analyse Catherine Hill. On peut discuter ces études, c’est peut-être un peu moins. En tout cas, c’est certainement beaucoup plus que les 20 % estimés au départ. » Le Pr Rabaud est lui moins affirmatif. « Est-ce que autant de personnes sont vraiment asymptomatiques ? Quand on les questionne, on s’aperçoit parfois qu’ils ont eu des tout petits symptômes auxquels ils n’ont pas prêté attention. »

Une étude sur les 100 premiers cas de Covid-19 à Taïwan révèle qu’une personne atteinte par le virus est contaminante avant de présenter des symptômes. Ces 100 personnes ont contaminé 22 autres personnes. Plusieurs d’entre elles l’ont été dans la période J-4 et J0, jour où le contaminant développe les premiers symptômes, comme l’explique le schéma ci-dessous. L’étude montre aussi qu’aucun des 852 contacts dont l’exposition à leur cas index a commencé plus de 5 jours après ses premiers symptômes n’a été contaminé.

« L’étude montre ainsi que le risque de contamination est maximum entre 5 jours avant l’apparition des symptômes et 5 jours après les premier symptômes. Cela confirme une fois de plus l’importance de tester largement et vite, insiste Catherine Hill. Il faut trouver les personnes asymptomatiques pour empêcher les nouvelles contamination. En France, on a pris cette épidémie à l’envers depuis le début. Les chiffres montrent qu’on continue de tester largement les gens positifs, donc on s’y prend trop tard. Si on a beaucoup de tests négatifs, cela signifie qu’on ratisse large, et c’est bon signe. Les études montrent que les pays qui ont ratissé large ont moins de morts. »

Tester largement au-delà des malades et des cas contacts

La question des tests pour éviter une nouvelle flambée épidémique est donc cruciale. « Pour un cas positif, il y a en moyenne 20 contacts à identifier, estime le Pr Rabaud. Pour le Grand-Est, avec l'estimation de 1500 nouveaux cas par jour, cela donne 1500*20 soit 30000 tests par jour à faire. Est-on capable de faire ce nombre de tests par jour, je ne le sais pas. Pour la Meurthe-et-Moselle, nous pourrons faire notre part. Pour le moment, nous ne manquons ni de matériel, ni de réactif. »

« Oui, mais se limiter aux dépistages des cas positifs et à leur contact est une erreur, assure Catherine Hill. La réalité, c’est un retard incroyable pour les tests, On a raté le coche à cause de notre système bureaucratique. Il fallait profiter de ces huit semaines de confinement pour dépister largement. Aujourd’hui on est loin du compte de ce qu’il faudrait faire. » Pour l’épidémiologiste, le dépistage doit passer par des tests groupés pour économiser le nombre de tests et toucher plus de personnes, comme le font l’Allemagne, Israël, les Etats-Unis ou encore le Rwanda.

Voici l’explication

Tester 96 personnes avec 20 tests - Catherine Hill
Tester 96 personnes avec 20 tests - Catherine Hill

En regroupant les prélèvements de 8 à 12 personnes, il suffit de 20 tests pour trouver la seule personne positive parmi 96 personnes, son prélèvement est dans la deuxième ligne et dans la septième colonne. La réduction du nombre de tests est de 76/96, soit plus de 75%.

Le raisonnement "absurde" d'Olivier Véran

Catherine Hill invite aussi les autorités à tester les eaux usées des villes dans les zones où le virus ne circule pas beaucoup. C’est un moyen économique de savoir si le virus est présent dans une ville.

Pour elle, le dépistage organisé au sein des entreprises est aussi à promouvoir. Une pratique que le gouvernement veut pourtant interdire. « Le gouvernement met en place une stratégie nationale en matière de tests, explique-t-on au ministère du Travail. Il n’y a pas de raison de tester systématiquement tous les Français et ce n’est pas différent pour les entreprises. » Véolia, qui avait commencé à tester l’ensemble de ses salariés, voudrait continuer ce dépistage. « Plus on teste, mieux c’est, assure Catherine Hill. C’est vraiment le règne de l’absurdité administrative. »

Olivier Véran, le ministre de la Santé, affirme que ces campagnes seraient inutiles car il y aurait 30 % de faux négatifs, c’est-à-dire de porteurs non dépistés. « Si on enlève 7 porteurs sur 10 du virus de la circulation en les isolant, on réduit d’autant l’épidémie. Donc ce raisonnement est absurde, conclut Catherine Hill»

Reste la question importante d’estimer le R actuel du virus, le nombre de personnes qui sont infectées en moyenne par une personne contaminée. Au début de la pandémie, le R0 pour le Covid-19 était estimé à 3. Le R t au 11 mai, est estimé par l’Institut Pasteur à 0,7, ce qui signifie que 100 porteurs contaminent 70 nouveaux. Et ces 70 contaminent à leur tour 49 personnes. Donc la circulation du virus baisse. Le R t d’une épidémie est le produit de trois facteurs:

1) le risque de contracter le virus lors d’un contact,

2) le nombre de contacts par jour et

3) le nombre de jours où une personne infectée est contagieuse.

« Pour le Grand-Est, je pense qu’on est un peu au-dessus, à 0,8, estime le Pr Rabaud. On pourrait vite atteindre un R=1 avec la multiplication des contacts journaliers. Entre 1 et 1,15, l’augmentation du nombre de malade est maîtrisable, mais ça impacte notre hôpital. Quand on regarde nos voisins allemands, ils sont passés de 0,7 à 1, depuis le début du déconfinement. Donc nous pourrions atteindre 1,1 si on suit la même progression que l’Allemagne. Il faut savoir qu’un R égal à 1,2 sera très difficile à absorber en terme hospitalier, et à 1,4, ce n’est plus gérable. Il faudra alors reconfiner ou accepter de laisser des gens aux portes des réanimations. »

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