Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Acte 3 : L'abus d'alcool est-il dangereux pour l'écologie ?

Projet Godet à La Rochelle, un dossier marqué au coin du bon sens économique.

Les élus locaux ont voté et leur verdict est sans appel : vive le cognac ! Dans un dernier prononcé, la préfecture persiste, signe, et avalise la construction d'une usine d'embouteillage sur une parcelle de nature vierge.

Le coup d'envoi préfectoral pour une avancée des travaux.... - Reflets

Cette affaire débute en 2019 sur une modification du plan local d'urbanisme de la communauté d'agglomération rochelaise. Une zone naturelle protégée s'y voit alors déclassée en zone constructible afin d'accueillir des activités commerciales. Il s'agissait en l'occurrence de permettre aux établissements Godet, une entreprise familiale ayant pignon et commerce d'alcool sur rue, de venir installer ses entrepôts de stockage d'alcool sur les anciennes terres du château de La Sauzaie (Toute l'enquête ici : Acte 1, Acte 2).

Après avoir circulé de mains en mains, le dossier vient d'atterrir sur le bureau du préfet, via le Conseil Départemental de l'Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques. Derrière ce titre ronflant de bonnes intentions, le CODERST est chargé d'émettre un avis consultatif sur la pertinence des actes réglementaires et individuels en matière d'installations classées, de déchets, de protection de la qualité de l'air, de l'atmosphère, de l'eau et des milieux aquatiques.

Cette commission placée sous l'autorité du Préfet de Charente-Maritime se compose de 25 personnalités choisies : 7 représentants de l'État, 5 membres issus des collectivités territoriales, 9 acteurs d'associations ayant qualité d'expert, et 4 personnes - dites - qualifiées (médecin, architecte, hydrogéologue…). Sur le papier, tout laissait donc penser que Dame Nature pourrait ici défendre ses droits et surtout ses zones humides qui, selon les études et les avis, retiendraient moins bien l'eau en été que l'alcool en hiver.

Le Chenau, un fossé aux abords du site : une zone humide… où ça ?! - Reflets
Le Chenau, un fossé aux abords du site : une zone humide… où ça ?! - Reflets

Un p'tit verre pour le doute ?

Le doute s'est installé au regard de l'absentéisme des membres du conseil : 11 présents seulement et 5 procurations. Mais puisque le quorum est atteint, la séance s'ouvre sous la présidence du secrétaire général de la Préfecture. Pierre Molager ouvre la séance à 14h30, pour la clôturer à 15h. Pour info, le CODERST avait à s'intéresser simultanément à deux dossiers différents. Qu'importe, en trente minutes montre en main, cérémonial administratif et pause clope comprise, un avis favorable sera –unanimement - décerné au projet Godet.

Pourquoi  traîner quand les bonnes décisions sont déjà prises - Reflets
Pourquoi traîner quand les bonnes décisions sont déjà prises - Reflets

Le compte rendu des débats illustre au mieux l'intensité des débats et la question posée par le représentant de la chambre de commerce et d'industrie laisse deviner sa pleine maîtrise du dossier. Ainsi, M. Poudevigne, tout en s'adressant directement au bénéficiaire du projet, « aimerait savoir ce qui a motivé l'avis défavorable du conseil municipal de Villedoux ». M. Godet en personne prendra grand soin de renseigner l'assemblée : « De mémoire, le conseil a justifié cette position par l'augmentation du trafic routier lié à l'implantation d'une activité économique ». Bref, un camion par-ci, un fourgon par-là, rien que d'ordinaire dans la plus belle des caves à ciel ouvert.

Des questions pièges, des attaques frontales, un débat sanglant ! - Reflets
Des questions pièges, des attaques frontales, un débat sanglant ! - Reflets

Avec des arguments de si peu d'épaisseur, d'autres auraient eu tôt fait de changer de troupe et d'acteurs pour donner la réplique : ah non, c'est un peu court, on pouvait dire bien des choses en somme, en variant le ton, comme l'ont très justement souligné et écrit les villageois de Villedoux.

Géologique : « Les risques du site sur le milieu n'ont pas été étudiés ! ». Aquatique : « Toute pollution dans cet écours aura des conséquences dans les marais ». Faunistique : « Le site est situé sur un corridor écologique d'importance régionale ! ».

Car oui en vérité la prudence des élus de la commune de Villedoux était infiniment plus étayée qu'à seulement craindre un risque de carambolage au premier carrefour venu. Le fait que les eaux du bras du "Chenau" puissent rejoindre le canal de Marans et les marais environnants aura d'autant forgé leur inquiétude.

Enfin considérant la multiplication de ces chantiers jugés respectueux de l'environnement, certains esprits considérés comme chagrins se sont alarmés du bien être des loutres présentes dans la Sèvre Niortaise et le marais Poitevin.

La Motion de Villedoux : le CODERST en a-t-il seulement lu la copie..? - Reflets
La Motion de Villedoux : le CODERST en a-t-il seulement lu la copie..? - Reflets

Depuis le début de cette enquête, ce dossier paraît entaché, si ce n'est de vice de forme, du moins d'égarements stylistiques. Le CODERST ne déroge pas à ce manque d'application chronique et ajoute sa pierre à l'édifice. On évoque ici l'avis d'un étrange - conseil d'administration - de la Rochelle, alors qu'il s'agit de la décision du conseil communautaire de l'agglomération. A venir s'empêtrer de la sorte dans le lexical juridico-administratif les représentants du CODERST ont-ils seulement une vision juste et précise des faits? Et surtout comment s’expliquer de telles erreurs d'écriture alors que le document est signé du bras droit du Préfet de Charente-Maritime…

Fuite des votes : la part des anges ?

Mais poussons plus avant dans le libellé des conclusions du CODERST pour y découvrir l'inexplicable expliqué. On y apprend-là, que les avis des communes de Dompierre-sur-mer et de Sainte-Soulle n'ont pas été pris en compte dans les débats : « Le conseil municipal de Sainte-Soulle et de Dompierre ne se sont pas prononcés ou n'ont pas transmis leurs délibérations dans les temps impartis ».

Et quel dommage, car de nombreuses réserves furent émises à l'occasion de ces conseils. Réserves qui auraient mérité d'être citées, respectées et étudiées sans tenir compte des trous de mémoire. D'autant que ces deux municipalités s'inscrivent dans la liste des communes situées à moins de 2 km du futur site. Leur avis se trouvant de fait hautement significatif. Le mystère s'épaissit d'autant puisque ces équipes municipales ont à priori tenu conseil avant le 8 octobre 2021, date fatidique fixée par la préfecture. Nous avons contacté les maires de Sainte-Soulle et de Dompierre pour éclaircir la situation et parvenir à mieux comprendre les raisons de cette non-prise en compte du vote de leurs conseillers.

Dompierre-sur-mer à la barre…

Car, Denis Thibaudeau, l'adjoint au maire de Dompierre, s'était attaché à exposer clairement la situation lors du conseil du 5 octobre. Il n'omettra d'ailleurs pas de souligner qu'un pré-vote, organisé sous la houlette du président de la communauté d'agglo lui semblait contraire à l'ordre des choses : « Un conseil communautaire qui ne tient pas compte de l'avis des principaux concernés, et qui s'exprime avant ceux-ci, avant Saint-Xandre, avant Sainte-Soulle, avant Villedoux, avant Dompierre, ça pose un petit problème. Alors c'est une vraie question de crédibilité pour nous. On vient nous demander de donner un avis qui ne pèsera pas dans la décision du préfet ! ». Silence dans la salle…

Rappelons effectivement que le 16 septembre, Le président de l'agglo et maire de La Rochelle, Jean-François Fountaine s'était montré très convaincant face aux 82 élus communautaires : « C'est un beau projet, parce que produire du cognac sur notre région c'est revenir à notre histoire. Je veux féliciter toutes celles et tous ceux qui ont travaillé pour permettre d'aboutir sur ce beau projet. Il y a beaucoup de choses inexactes sur ce dossier, je vois ça circuler, mais moi je me félicite qu'on puisse aller vers l'aboutissement de ce beau projet… ».

Antoine Grau, le vice-président de la communauté se montrera lui tout aussi encourageant : « Tout cela nous amène à pouvoir formuler, si vous le voulez bien, un avis favorable au projet ». C'est donc ici et sous l'égide d'une présidence acquise à la cause, que 91% des votants supporteront sabre au clair le projet Godet.

Le vote du grand conseil communautaire : qui veut un cognac… ?  - Reflets
Le vote du grand conseil communautaire : qui veut un cognac… ? - Reflets

Il en ira pourtant tout autrement dans la petite mairie de Dompierre-sur-mer où les avis favorables n'emporteront plus que 53 % des suffrages. Et si la majorité se déclare favorable à l'avancée du projet, l'avis du conseil sera au final assorti de six recommandations circonstanciées : contrôles de sécurité renforcés, incidence environnementale surveillée, suivi de l'activité à définir….

Mais alors, pourquoi le CODERST n'aurait-il pas eu vent des délibérations de Dompierre ? Le maire, Guillaume Krabal, nous en fournira l'explication en toute franchise et dans les plus brefs délais :

« Je vous confirme que cette non-prise en compte découle d'une transmission hors délais de notre délibération par les services de la commune. A notre décharge, la lettre de la Préfecture nous invitant à délibérer n'a été portée à notre connaissance que le 7 septembre, trop tard pour un ajout à notre séance du Conseil du 14. Nous avons néanmoins organisé une séance exceptionnelle le 5 octobre, mais la délibération n'a été transmise en Préfecture que le 11 octobre. Soit, après le délai légal prévu pour sa prise en considération dans l'enquête publique. »

Et Sainte-Soulle sans la boussole.

Avertie plus précocement par la préfecture, la mairie de Sainte-Soulle tiendra conseil le 7 septembre. Autant dire largement avant la date limite du 8 octobre. Ici l'affaire sera envoyée par Bertrand Ayral,en 4 minutes chrono : « J'ai consulté ma collègue, Evelyne Ferrand, elle m'a confirmé que l'intégralité de son conseil municipal avait voté favorablement pour ce projet, donc j'aurai tendance par respect du conseil municipal de Saint-Xandre, qui est le plus à même de représenter sa population, d'émettre un avis positif ».

En dépit de cette invitation rapide et confraternelle, 30% des élus solinois se garderont d'offrir un vote favorable au projet. Quant à miser sur l'intégralité du conseil de Saint-Xandre, ce serait prendre le risque de faire fi des 3 abstentions qui se sont déclarées durant cette séance.

Les délibérations de Sainte-Soulle feront donc elles aussi partie de la liste des oubliées du CODERST. Hélas ou curieusement, et malgré nos relances, les explications de monsieur le maire ne nous parviendront cette fois-ci jamais…

Les élus de Sainte-Soulle ont voté mais leur avis ne sera pas considéré. Pourquoi ? - Reflets
Les élus de Sainte-Soulle ont voté mais leur avis ne sera pas considéré. Pourquoi ? - Reflets

Dernier acte ?

Alors bien sûr il se trouvera probablement de fins techniciens de la procédure, pour relever que le rôle du CODERST demeure consultatif et qu'il n'appartient pas à ses membres de refaire l'enquête par le menu. Auquel cas, un technicien des poids et des mesures pourrait alors renvoyer la discussion sur l'impact et l'utilité réelle d'un tel conseil. En tout état de cause et sans présager de l'efficacité des recours défendus par les associations de défense de l'environnement, il semble bien que le sort du bucolique domaine naturel de la Sauzaie, désormais référencé 1AUX, soit définitivement scellé.

Cependant, permettons-nous une dernière réflexion pour clôturer ce troisième acte emprunt de bon sens économique… Ne seraient-ils pas un peu retords tous ces gens bizarres qui préfèrent le calme inquiétant de la nature au doux son des boutanches de gnole qui s'entrechoquent dans une usine d'embouteillage ? Les petits oiseaux et la Rosalie des Alpes c'est un peu comme l'eau ferrugineuse non, ils vont bien finir par s'en lasser à la longue, bon sang ! Et puis de mémoire d'homme de goût, que pouvaient-ils espérer de mieux qu'une augmentation du trafic de camions pour réveiller financièrement ce petit coin de campagne endormi sur ses lauriers de verdure. Allez, c'est dit, amis du CAC et du cognac à 40° levons nos verres, et trinquons à la santé de l'écologie et de ce magnifique territoire zéro carbone!

Boire ou décarboner le territoire, il faut choisir... - Reflets
Boire ou décarboner le territoire, il faut choisir... - Reflets

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