Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Acte 2 : l'abus d'alcool est-il dangereux pour l'écologie?

Au vu et au su des conclusions de la commissaire enquêtrice, la réponse est non.

Dans le précédent volet de cette affaire nous nous sommes interrogés sur l'urgence climatique à convertir une zone naturelle en terrain constructible en Charente-Maritime. Une consultation publique était alors en cours. Le rapport d'enquête vient de tomber sur le bureau du préfet.

Rien n'est encore fait, mais cela y ressemble de plus en plus... - Reflets

Inutile de chercher à se plonger dans les suites de notre dossier sans avoir pris connaissance du projet Godet (Acte 1 à suivre ici). Compte tenu de la portée écologico-nomique de l'histoire, du lieu où elle se déroule (un territoire zéro carbone), et des valses hésitations procédurales qui l'entoure, l'affaire mérite bien que l'on s'y attarde un peu. Pour rappel, il s'agit d'implanter un complexe industriel de stockage d'alcool de bouche sur une ex-zone naturelle protégée. Sous couvert d'une modification du PLUi (plan local d'urbanisme intercommunal), et aux seules fins de cette installation, les terres en questions avaient été re-classifiées -site constructible- en 2019.

L'enquête publique évoquée aujourd'hui fait partie des procédures réglementaires à suivre avant de se diriger vers la délivrance d'une autorisation environnementale définitive. C'est dire l'importance de cette étape, quand bien même ce rapport ne possède qu'une simple valeur consultative. Pour les porteurs du projet l'arrivée à bon port se précise, mais quitte à ramer encore un peu autant le faire dans le sens du courant.

Un dossier qui pèse dans la balance des élus Maritimes : écologique ou économique ? - Reflets
Un dossier qui pèse dans la balance des élus Maritimes : écologique ou économique ? - Reflets

La commissaire enquêtrice vient donc de signer les conclusions du rapport de ces mots: avis favorable. La forme est légale, le fond repose sur des considérations réglementaires, mais le sens et l'utilité de la démarche peuvent surprendre. Pourtant le titre ronfle et souffle comme du bon vent démocratique : enquête publique ! L'idée est excellente, car qui ne se réjouirait de pouvoir s'exprimer librement sur un sujet lui tenant à cœur. La finalité de la procédure n'est pas moins intéressante puisque les résultats de l'enquête doivent renseigner sur le bien fondé ou l'outrance des choses via les recommandations d'un tiers partial et compétent.

C'est avec cette belle crédulité en tête que nous étions partis à la rencontre de Mme Élisabeth Balmas, la commissaire enquêtrice chargée du projet Godet. Nous l'avons interrogée sur les facettes du métier avant qu'elle ne rende son avis au préfet de Charente-Maritime. Avec le recul, certains de ses propos prennent un nouveau relief. Avant d'entrer dans le vif de son enquête, voici résumé ce qu'elle nous confiait lors de cet entretien.

L'interview –en quête de quoi-

*Reflets : * Comment devient-on enquêteur-trice, quel est le cursus, combien êtes vous sur le terrain ?

*E. Balmas : * Nous ne sommes pas beaucoup ! D'abord on fait acte de candidature, on dit ce que l'on a fait dans notre vie antérieure, ce sont souvent des colonels en retraite, des gendarmes, des gens qui ont le temps et qui savent rédiger un rapport, gérer une affaire.

Quelles sont les qualités premières exigées, quels gages de loyauté ou d'impartialité faut-il présenter pour se voir confier la charge d'une enquête publique par le Préfet ?

*E. Balmas : * Le commissaire enquêteur est quelqu'un qui sait en principe rédiger un rapport, qui sait comprendre un projet, qui a une vue d'ensemble mais il ne doit pas être un spécialiste. On lui demande d'être UN parmi tout le monde, d'être quelqu'un de relativement compétent pour appréhender une affaire. Peu de personnes sont en activité, moi j'avais commencé alors que j'étais encore en activité. Je suis ingénieur horticole, paysagiste conseil, j'ai exercé pendant trente ans dans le grand Sud Ouest pour faire des études d'impact, m'occuper d'urbanisme, en lien avec des bureaux d'urbanisme qui agissaient sur les grands projets.

Comment procédez-vous pour argumenter votre enquête?

*E. Balmas : * Le public pose des questions, je vais demander la réponse au maitre d'ouvrage, (NDLR: la société Godet) et je dois donner mon opinion pour savoir si la réponse est complète ou pas, mais je ne donne pas d'avis. Je note tout ce qui est pour le projet, tout ce qui est contre, je fais des thèmes avec les choses qui reviennent souvent. Je dois classer ces thèmes de façon intelligente et compréhensible, je vais aller voir les établissements Godet avec ça en leur disant donnez-moi une réponse précise à la question posée. Par exemple le déclassement de la Zone naturelle : pourquoi, comment cela s'est fait, etc., ils me donnent une réponse que je trouve satisfaisante, complète, ou acceptable pour le commun des mortels. Je donne un avis favorable, avec préconisations, ou défavorable. Souvent dans les PLU il y a un avis favorable avec préconisations parce qu'il y a beaucoup de choses qui remontent de la base, et si je peux vous dire quelque chose, c'est que les enquêtes publiques sont très-très utiles pour les documents d'urbanisme.

Vous aviez un mandat municipal, cette fonction élective n'est-elle pas contraire aux vœux d'impartialité exigés d'un commissaire enquêteur ?

*E. Balmas : * Oui, j'ai été conseillère dans mon petit village à moi, à la Flotte en Ré. Je ne le suis plus, quand je l'étais… si vous voulez on ne confie pas d'enquête qui peut avoir un intérêt particulier, c'est d'ailleurs pour ça qu'ils vont chercher une personne de l'île de Ré pour faire quelque chose sur La Rochelle.

En 2019, vous avez travaillé sur l'enquête publique du PLUi de La Rochelle.

*E. Balmas : * Là je n'étais pas toute seule, il s'agissait d'une commission d'enquête gérée par un colonel en retraite qui était très rigoureux, et j'étais bien contente d'être sous son égide parce que moi je n'aurais pas été capable de le faire. Je peux vous dire une chose, quand il y a déclassement d'une zone naturelle, cela s'est passé dans le PLUi en particulier pour Dompierre-sur-Mer, le maire voulait construire des bâtiments au milieu de sa ville, au milieu d'une zone qui était un petit parc, moi en tant que paysagiste je suis très sensible aux questions écologiques, je me suis posé la question, j'ai interrogé le maire, j'ai dit comment déclasser une zone naturelle ? Et en accord avec les autres commissaires enquêteurs on a dit que ce n'était quand même pas un truc terrible, donc, dans notre conclusion on a dit avis favorable pour le PLUi, mais recommandations de ne pas déclasser cette zone pour en faire une zone d'habitat en plein milieu d'une zone qui faisait un poumon vert.

N'est-ce pas aussi ce qui se produit à Saint-Xandre?

*E. Balmas : * Alors là il y a déclassement de zone naturelle… je n'ai pas du tout la même réaction, mais je ne peux vous dire mon avis, je le ferai quand j'aurai motivé cet avis, mais le contexte n'est pas du tout le même, c'est tout à fait différent.

Comprenez-vous la colère d'un public qui voit son cadre de vie et de verdure bouleversé ?

*E. Balmas : * Je la comprends, il faut la comprendre et il faut relativiser. L'important c'est de relativiser les choses, parce quand vous voyez, et c'est là qu'il faut comprendre les choses, quand vous voyez la zone sur plan, le château est là, toute la zone comprend tout çà, voilà, et les bâtiments s'installent dans une prairie qui est bordée de haies, ça ne représente que 5000 m2 quand même, faut relativiser, tout ça c'est boisé, et d'ailleurs les établissements Godet ont reboisé tout ça, ils reboisent là, ils reboisent les rues ici, ils ont déjà planté, ça, planter, ils pouvaient le faire, donc ils l'ont fait, c'est vous dire que vraiment, là il apparait un truc, mais ce sera un bâtiment sans fenêtres, de 9 mètres de haut, d'une qualité remarquable, faut bien reconnaître, et puis voilà, c'est pas considérable en emprise… faut pas exagérer ce n'est pas une distillerie, c'est une zone de stockage et de mise en bouteille. Dans les observations on y affirmait que ce serait une distillerie, fake-news, fake news..!

Mais que dit-il vraiment ce rapport... - Capture d'écran
Mais que dit-il vraiment ce rapport... - Capture d'écran

Il est intéressant de rapprocher les propos d'hier aux écrits d'aujourd'hui. La qualité d'impartialité et le côté "très-très utile" de ce genre d'enquête, deux points chèrement défendus par Mme Balmas, paraissent soudain moins essentiels. Commençons par lever un verre à la santé de la forme : comme trop souvent dans la transmission de ce type de document d'importance capitale, on y décèle un manque de soin et de rigueur portés à la présentation des documents (voir ci dessous). Mais qu'importe ce genre de futiles considérations dans un absolu où seul le résultat final semble vraiment compter.

Cognac et trouble de la vision : le rapport d'enquête publ……Hic? - Capture d'écran
Cognac et trouble de la vision : le rapport d'enquête publ……Hic? - Capture d'écran

Plus étonnant, et sans présager de la forme habituelle de ce type de procédure, nous est apparu le ton joyeusement conquérant du représentant de la société Godet qui s'exprime longuement au travers de très-très utiles précisions sur la qualité de son projet. On pourrait presque y voir une bienveillante tribune dont l'un des orateurs aurait toute latitude pour apporter des convictions qui n'appartiennent qu'à lui. Mais peut-être est-ce de la sorte que le terme –enquête publique- doit être entendu.

Des points de vue très précis et très étayés sur la question... - Capture d'écran
Des points de vue très précis et très étayés sur la question... - Capture d'écran

Et bien plus contrariants encore sont les écrits de la commissaire enquêtrice dont la teneur nous échappe à plusieurs reprises. Le discours mériterait sans doute d'être mieux apprécié pour répondre à la nécessaire objectivité de l'enquête. Car en fait, quoi de neuf docteur au pays des petits lapins blancs? Ce rapport apporte t-il vraiment un nouvel éclairage sur le fond, la contradiction entre les pour et les contres y est-elle exposée à valeur égale, échappe t-il au risque d'apporter de l'eau au moulin d'un projet à valeur économique ? La question se pose lorsque la commissaire reprend mot pour mot les dires des dirigeants de la société Godet pour illustrer le propos de l'enquête. Le rapport ouvre d'ailleurs sur un préambule élogieux qui n'apporte rien de constitutif aux débats: "L'origine du cognac Godet remonte au milieu du 16e siècle et s'est développée depuis en entretenant une relation particulière avec la ville de La Rochelle et son port. Aujourd'hui gérée par la 14e et 15e génération de la famille godet, la société souhaite développer son activité dans des locaux adapté en lien avec le château rachetée en mai 2019 ".

Soit... Bien sûr. Mais en quoi cette honorable carte de visite serait-elle de nature à poser le cadre d'une enquête ou à statuer de la bienveillance du projet en matière de protection environnementale..?

La 15e génération de la famille godet en marche vers l'avenir du cognac - Capture d'écran
La 15e génération de la famille godet en marche vers l'avenir du cognac - Capture d'écran

En fonction des thèmes retenus par la commissaire enquêtrice, nous avons choisi quelques tirades à portée informative issues du rapport. Quelques surprises parmi d'autres...

Sur le Projet et les enjeux La commissaire écrit : " _Les communes de Sainte-Soulle et de Dompierre sur mer n'ont pas donné d'avis dans les quinze jours après le dernier jour de l'enquête _"

Une étrange déclaration puisque ces deux municipalités ont justement tenu conseil en temps et en heure impartis, et sur ordre du préfet. La municipalité de Dompierre faisant part de ses nombreuses réserves quant à l'appréciation du projet Godet.

Sur l'analyse comptable La commissaire écrit : " _Cette enquête a obtenu au total 206 observations : 104 défavorables, 100 favorables et 2 sans avis. Les avis sont très tranchés de part et d'autre : favorables avec beaucoup d'enthousiasme ou défavorables avec acharnement _"

Retournons ce verre à moitié plein pour écouter le son du verre à moitié vide : favorable avec beaucoup d'acharnement ou défavorable avec enthousiasme. La musicalité n'est de suite pas la même, car la mélodie des qualificatifs influe souvent assez directement sur le sens des phrases.

Sur la biodiversité, environnement, zone humides La commissaire écrit : " _Sur l'ensemble de ce thème concernant la biodiversité et plus généralement l'environnement, le maître d'œuvre et son étude apportent des réponses précises et satisfaisantes. J'ai pu constater par moi-même lors dune visite sur le terrain que le projet s'inscrit dans une prairie (sur l'emplacement dune ancienne métairie aujourd'hui démolie) et on peut estimer que cette construction n'était sûrement pas édifiée à l'époque sur une zone inondable _".

Et oui, une visite, une prairie, et une époque… mais les temps changent et il semble bien que ce genre de débat ne soit plus vraiment raccord avec l'urgence climatique qui se dessine.

Sur le trafic La commissaire écrit : " La circulation moyenne générée par le projet est de 1 à 4 camions par jours et 20 à 40 véhicules légers au niveau du site Au regard des kilomètres parcourus sur la commune et des statistiques d'accidents par kilomètre la probabilité d'accident liée à la circulation de 4 camions et 40 véhicules légers reste très faible "

Le trafic routier sur site serait de 1 à 4 camions et de 20 à 40 véhicules légers (voitures ou fourgonnettes?). Sur une année il s'agirait donc du passage de 5313 à 11132 véhicules ; la fourchette parait bien large pour une enquête de précision. Quant à s'aventurer à extrapoler sur des statistiques d'accidentologie pour s'appuyer sur la probabilité d'accidents… Ce genre de pari audacieux relève probablement d'un savoir médiumnique.

Sur les aires de jeux proches La commissaire écrit : " la circulation projetée passe entre deux aires de jeux : les habitants s'inquiètent pour leur accessibilité et l'aménagement prévu proprement dit pour le passage des camions. On ne doutera pas que la mairie sera particulièrement attentive à des aménagements concertés au droit des aires de jeux "

Si les riverains s'inquiètent pour leurs gamins les voici désormais fort rassurés. A ne pas douter. Il est aussi vrai que la commune a sollicité l'aide du département pour sécuriser le carrefour où se trouve cette problématique aire de jeux pour enfants. Ces travaux sont chiffrés à hauteur de 39.000 € dont 50 % seront pris en charge par la commune, et donc en d'autres termes, par ces parents acharnés à défendre leur tranquillité.

Sur la dévaluation des biens immobiliers La commissaire écrit : " _il est difficile d'évaluer précisément l'impact du projet sur la valeur financière des habitations situées dans un rayon de 2 km. Cependant il est important de noter que l'augmentation du trafic sera limitée (en moyenne 1 camion et 20 VL). La rénovation du château augmentera l'attrait touristique des environs et il est possible d'envisager que l'impact du projet soit positif sur les valeurs immobilières _"

On ne sait plus très bien... 1 camion ou 4 camions? La moyenne du nombre de véhicules sur site est décidément très fluctuante. Enfin méfiance avec ce terme -d'impact- qui n'aurait pas la même importance selon les époques. Rappelons qu'en avril 2020 la Préfète de région à jugé qu'en matière environnementale: ce projet n’est pas soumis à la réalisation d’une étude d’impact. Point à la ligne. A ce titre, les possibles et envisageables de l'impact positif du projet tiendraient une nouvelle fois des confidences d'une boule de cristal.

Finissons en avec le chapitre -Qualité architecturale du projet- sur laquelle la commissaire enquêtrice ne tarit pas d'éloge: " le pétitionnaire a précisé le parti pris architectural de son projet, dont je cite ci-après les aspects les plus notables ". Et d'évoquer stoïquement : l'implantation d'une végétalisation dense et luxuriante au cœur du projet qui assure le rôle d’îlot de fraîcheur de la cour tout en invitant au voyage, en évoquant un ailleurs qui rappelle l'histoire de la famille Godet. C'est beau la nature quand elle reprend le dessus...

La boucle est bouclée dans l'attente d'un hypothétique acte 3, à savoir l'avis du Conseil Départemental des Risques Sanitaires et Technologiques (CODERST) qui est à même de se prononcer sur les dangers ou les nuisances d'un projet. Mais encore une fois, l'intervention de cette commission administrative demeure facultative et soumise à l'appréciation des autorités. A suivre, sans oublier la première page de cet autre rapport avec lequel nous clôturions déjà l'acte 1 de notre enquête.

A quand la fin de tous les abus …? - Capture d'écran
A quand la fin de tous les abus …? - Capture d'écran

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