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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Thierry Breton et l'asile politique de Philippe Vannier

S'il y a bien un patron d'entreprise qui a été carbonisé par la presse, c'est bien Philippe Vannier. Rassurons-nous, le patron d'Amesys, puis de Bull, l'homme qui a organisé la vente de systèmes d'écoutes massives à des pays fâchés avec les droits de l'homme, n'est absolument pas carbonisé auprès des autres patrons d'entreprises et des services de renseignement français.

S'il y a bien un patron d'entreprise qui a été carbonisé par la presse, c'est bien Philippe Vannier. Rassurons-nous, le patron d'Amesys, puis de Bull, l'homme qui a organisé la vente de systèmes d'écoutes massives à des pays fâchés avec les droits de l'homme, n'est absolument pas carbonisé auprès des autres patrons d'entreprises et des services de renseignement français. Sa nouvelle position, en tant que Directeur Exécutif, Big Data & Sécurité, Directeur de la Technologie du Groupe Atos, l'amène sans aucun doute à avoir des relations normales avec les "services". Atos, comme Bull — et comme la galaxie Amesys — auparavant, sont des entreprises incontournables pour l'écosystème militaro-industriel.

L'homme a réussi un pari impossible. Initialement patron d'une petite société de services informatiques (SSII) aixoise, il parvient à l'imposer auprès du secteur militaro-industriel. Amesys participe à des projets comme les sous-marins vendus au Pakistan et qui seront au centre d'un vaste scandale (déjà), tout comme le projet Sawary II auquel l'entreprise participe. Des scandales qui entourent Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy. Faut-il y voir le début d'une idylle entre les équipes Sarkozy et Philippe Vannier qui débouchera sur le fameux contrat avec la Libye ? Mystère. Amesys vend déjà, dès 2007 des IMSI-Catchers à l'Etat.

Mieux, après avoir imposé la galaxie Amesys au cœur du secteur militaro-industriel, Philippe Vannier parvient à être présenté aux autorités libyennes sous la présidence Sarkozy, pour vendre un 4X4 blindé repérant les mines et quelques autres joujoux électroniques. La partie libyenne est intéressée par un outil qui permettrait de mettre sur écoute tout l'Internet du pays. Pas de souci... Philippe Vannier et son entreprise n'ont pas l'outil, mais se font forts de le créer. Et avec l'argent de ce premier contrat, sera développé… Eagle. Un produit, revendu depuis à des pays riants comme le Qatar, le Gabon, le Maroc, l'Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis. Tous ces pays étant un peu fâchés avec les droits de l'homme...

Toujours sur sa lancée, le patron d'Amesys, Philippe Vannier va prendre le contrôle de la vitrine française de l'informatique : le géant Bull. Un tour de passe-passe plus tard, le voilà patron de Bull. Personne n'a rien vu venir parce que cette prise de contrôle déguisée sous la forme d'un rachat de Amesys par Bull est hautement improbable.

Et comme ce n'est pas suffisant en termes de culbute financière, Philippe Vannier revend Bull à Atos, dirigée par Thierry Breton. Re-culbute...

"Qui est Thierry Breton ?" Le prof d'informatique de la fin des années 70 s'est vite lancé en affaires au début des années 80 pour aussi vite participer à des projets financés par l'Etat. Le futuroscope, c'est lui, mais être conseiller pour l'informatique et les technoqologies nouvelles au ministère de l'éducation nationale, ça aide. Breton rentre chez Bull dès 1993 comme directeur stratégie, puis en 1997, l'Etat français l'appelle pour diriger Thomson, et en 2002, la consécration : il est nommé à la tête de France Telecom. Passer du privé au semi public n'est pas incompatible avec diriger un ministère clef en France, comme celui de Bercy : Breton devient devient donc ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans le gouvernement Rafarrin III (le retour de l'empire contre-attaque) en 2005, puis pour Villepin. Jusqu'à 2007, l'élection de Sarkozy Ier. C'est après cette petite expérience ministérielle que Breton continue son parcours de winner en devenant président du directoire d'Atos en 2008, et PDG de la boite en 2009. Mais la liste des fonctions, mandats, rôles tenus par Thierry est tellement importante, et est tellement conséquente et cohérente, qu'il vaut mieux vous laisser la découvrir ici.

Amesys était devenue une filiale maudite en raison du nombre incalculable d'articles, y compris dans le très sérieux Wall Street Journal, qui racontent par le menu comment elle a contribué à faire arrêter et torturer des opposants libyens. Qu'importe. Philippe Vannier a revendu l'activité Eagle à la personne qui l'avait développée au sein d'Amesys, puis de Bull : Stéphane Salies. Hop, disparue. Et il a revendu Bull à Atos. Hop, disparue...

On pensait être au bout des surprises, mais non. Alors que l'on aurait pu s'attendre à ce que Philippe Vannier profite des millions d'euros accumulés au cours des culbutes pour prendre un peu de champ et laisser retomber le bruit médiatique, il est intégré au comité exécutif d'Atos par Thierry Breton.

Peu importe qu'il soit très fortement visé par une instruction ouverte devant le Pôle Crimes de guerre du tribunal de grande instance de Paris pour complicité de torture. Visiblement Thierry Breton s'en moque. Rien ne permet de préjuger de la décision éventuelle de la justice sur cette affaire, mais s'il était condamné, cela ferait un peu désordre en termes d'image. Interrogé par nos soins à ce sujet, Thierry Breton s'est muré dans un silence assourdissant.

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