Violents affrontements lors de la manifestation du 1er mai 2023 à Paris
Et si l'on allait au-delà de ce constat ?
Pluie de cailloux et autres projectiles sur les forces de l'ordre, pluie de lacrymogènes, de grenades et tirs de LBD sur les manifestants. La manifestation parisienne a été le théâtre de violents affrontements ce premier mai 2023. Mais peut-on se contenter de compter les points en chiffrant le nombre de blessés de part et d'autre ? Peut-on se contenter d'opposer deux « camps » ?

Reflets.info à couvert à peu près toutes les manifestations des gilets jaunes et un constat s'impose : la tension monte. Pas toujours de la même manière, selon le côté de la barricade où l'on se place, d'ailleurs. Côté policiers, ce sont les violences à l'encontre de la presse et le fait de l'empêcher de faire son travail qui ressort dans ce mouvement contre les retraites. Les forces de l'ordre (FDO) ont également une tendance à davantage matraquer et utiliser des grenades lacrymogènes et de désencerclement. Mais l'usage du LBD reste moindre qu'aux pires moments des gilets jaunes. Côté manifestants, on voit se déployer de manière plus systématique des personnes qui n'hésitent pas à aller à l'affrontement. Jets de pierres ou tout autre projectile (sacs poubelles par exemple) semblent révéler une colère profonde, un sentiment d'injustice et celui de ne pas pouvoir faire bouger autrement les lignes politiques. Une fois ce constat dressé, que faire ? Peut-on se contenter, comme Gérald Darmanin d'afficher un nombre de blessés (qui n'a aucun sens), 250 côté forces de l'ordre à Paris hier et 31 côté manifestants. Ou de se vanter d'un nombre d'arrestations (qui ne veulent rien dire), quelque 540 dans tout le pays ?
Pour ce qui est du nombre de blessés, il est évident que l'on ne peut mettre sur le même plan une entorse et une plaie ouverte. A dresser des listes, il faut être exhaustif (compliqué car tous les manifestants ne se rendent pas à l'hôpital tandis que chaque FDO blessé, même légèrement, est comptabilisé).
Pour ce qui est des arrestations, les premières manifestations du mouvement contre les retraites ont montré qu'elles étaient souvent massives, indiscriminées et qu'elles ne résistaient pas à l'examen de la Justice. Selon les chiffres du ministère, entre le 16 et le 25 mars, quelque 1.346 personnes ont été placées en garde à vue mais seulement 26 % ont été poursuivies par la justice. Ce qui fait 74% d'arrestations arbitraires. Une paille.
Continuer de ne pas réfléchir à la situation permet aussi de stigmatiser et d'enkyster l'idée qu'il pourrait y avoir deux camps irréconciliables, deux belligérants. Dans un monde un tant soit peu cultivé, une telle situation s'appelle une guerre civile et nombreux sont les peuples (Espagne ou Liban au hasard) qui peuvent témoigner du peu d'intérêt d'un tel conflit...
C'était déjà le cas pendant les manifestations des gilets jaunes, comme le montre cette vidéo de l'ancien préfet Didier Lallement : le pouvoir considère les manifestants comme un camp opposé. Gérald Darmanin ne fait pas mieux en tenant à assimiler Jean-Luc Mélenchon aux manifestants les plus violents, l'accusant - et à sa suite toute une série de politiques de son mouvement - de s'en prendre aux institutions par ses discours. Le ministre qui se voit déjà premier ministre puis président, tout à son agenda politique, qui trouvait par ailleurs Marine Le Pen « un peu molle », a estimé que « depuis plusieurs années on a une montée des violences, due à l'ultra-gauche qui veut mettre à bas la République et l'absence de condamnation de certains politiques. Où est la condamnation de monsieur Mélenchon contre l'attaque de ce policier? Le silence assourdissant de Jean-Luc Mélenchon le rend complice. Monsieur Mélenchon, faites un petit effort ».
« L'ultra gauche » devient un grand Satan, dans la lignée des méthodes politiques les plus ringardes d'un autre siècle, pour permettre à l'exécutif d'exister en tant qu'alternative angélique. Rien ne dit que les manifestants les plus violents sont « d'ultra gauche » plutôt qu'anarchistes, d'extrême-droite, ou tout simplement, pas politisés du tout. Une chose est certaine, Gérald Darmanin n'est pas allé leur poser la question.
Il serait sans doute temps, avant l'avènement de l'extrême-droite au pouvoir en France, et avant un divorce définitif entre les deux « camps » désignés par l'exécutif, d'essayer de comprendre pourquoi on en arrive là.
La violence est un cercle. On reçoit toujours en fonction de ce que l'on a donné. Qui a commencé ? Peu importe. Ce qui compte, c'est de trouver dans l'un des deux « camps », celui qui sera plus « civilisé » que l'autre et qui saura amorcer la « désescalade ». Cela passe par le dialogue. Or, Emmanuel Macron et tous ses zélateurs n'ont montré depuis 2017 qu'un mépris systématique et violent pour toute opinion divergente. La démocratie est pourtant le résultat d'un compromis permanent, d'où l'intérêt des corps intermédiaires, systématiquement ignorés et vilipendés par le président. Dans ce « combat » entre manifestants et forces de l'ordre, on attend que ce soit le « camp » disposant de la force de frappe la plus importante qui fasse le premier pas vers une désescalade. Il n'en est rien.
Les forces de l'ordre matraquent et visent délibérément avec leurs grenades les journalistes, c'est dire s'ils sont enclins à la désescalade... En ce premier mai, plusieurs journalistes ont été matraqués. Remy Buisine (Brut) a reçu une grenade désencerclante dans les pieds, nous avons filmé (voir ci-dessous) un journaliste recevant des coups de matraque. Moi-même, j'ai été tamponné à coup de bouclier lors d'une charge, ce qui m'a fait m'étaler au sol avec tout mon matériel, en étant matraqué au passage.
Les munitions utilisées sont variées : gaz lacrymogène dans des proportions qui noient la rue dans un brouillard impénétrable et masque jusqu'à la lumière du soleil pour qui se retrouve dans le nuage. Mais aussi grenades assourdissantes et désencerclantes. Souvent dans des situations qui ne nécessitent pas une telle force. Comme pendant la période des gilets jaunes, il convient de se demander si la présence visible des forces de l'ordre, leurs actions, ont une part de responsabilité dans la montée de la violence au sein des manifestations. Les nasses, les actions destinées à fragmenter les cortèges (comme ce premier mai particulièrement, boulevard Voltaire), les charges injustifiées et erratiques, au point que les FDO arrivent à se noyer elles mêmes dans un nuage de lacrymogènes ou se jeter sur elles-mêmes des grenades assourdissantes, sont autant de mouvements qui ne peuvent concourir qu'à l'énervement général.
Alors qu'un jeune manifestant (17 ans) venait d'être traîné sur une vingtaine de mètres après un « saute dessus », une discussion s'est engagée avec un CRS. Il s'agissait manifestement d'un mineur (ce qui s'est confirmé par la suite) et il filmait au moment de son interpellation (il ne pouvait donc pas participer aux violences). Après une opposition un peu systématique sur cette arrestation qui semblait tout à fait arbitraire, le CRS s'est détendu et s'est livré. Instructif. « Vous croyez que j'ai envie d'être là, de me prendre tout ce qu'on s'est pris sur la tête tout à l'heure en chargeant ? Franchement, la violence que l'on déploie, elle vient aussi des chefs. Avant, les grenades, on lançait jamais ça. Quand vous découvrez qu'il n'y a plus rien en stock et qu'un commissaire vous dit "balancez des grenades GLIF4" parce qu'il n'y a rien d'autre... Après, c'est le gars qui a lancé qui se retrouve au tribunal. Moi je fais ce qu'on me dit de faire. Emmanuel Macron a été élu de manière démocratique. Ils étaient où les gens qui gueulent aujourd'hui quand il fallait glisser un bulletin dans l'urne ? Les bourgeois, eux, ils étaient là dès le matin pour voter. Et non, je ne vote pas Marine Le Pen. Mais je n'ai pas voté Macron non plus ! ».
Retrouvé via les réseaux sociaux, Alain (le prénom a été changé) est entré en contact avec @reflets ce 2 mai. Il est blessé à l'épaule après plusieurs coups de matraque. « J'étais à côté de la presse parce que filmais les événements et je pensais que c'était l'endroit le plus sûr pour faire ça. J'étais en live au moment où il y a eu une charge et où les policiers se sont rués sur moi. Je n'avais absolument rien fait. Ils m'ont gardé deux heures et m'ont relâché », témoigne-t-il.





















































