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par Antoine Champagne - kitetoa

Soirée mousse, CADA et secret des affaires : l'opacité normale

Obtenir des informations sur l'usage des fonds publics est un pensum

Nous avions tenté en juillet dernier d'en savoir un peu plus sur un marché passé en totale opacité par le ministère de l'Intérieur : l'achat de 260 000 visières de protection dans le cadre du 2e tour des élections municipales en pleine pandémie. Une demande CADA plus tard, on n'en sait pas beaucoup plus sous le faux prétexte du merveilleux "secret des affaires" appliqué à l'usage des fonds publics.

Tweet du député de l'Yonne, le Républicain Guillaume Larrivé - Copie d'écran Twitter

Souvenez-vous... En juillet dernier, Reflets pointait un marché un peu étrange entre le ministère de l'Intérieur et l'entreprise JPJ Mousse. Dans la presse ou sur les fils twitter des députés concernés, il s'agissait d'une très belle histoire. JPJ Mousse, qui fabrique des mousses de protection avait adapté son outil de production pour fournir des visières de protection contre le Covid-19. Et le ministère de l'Intérieur en avait commandé pas loin de 300.000 pour les bureaux de vote lors du deuxième tour des élections municipales. Derrière la belle histoire, il y avait un marché opaque. On ne savait ni sous quel régime il avait été passé, ni pour quel montant. Impossible d'obtenir la moindre réponse claire, ni de la part de JPJ Mousse, ni de celle de Beauvau.

La réponse du ministère avait été très claire : on ne vous répondra pas. C'est un plaisir d'être journaliste de nos jours avec le gouvernement en place. Les hordes de membres des services de presse ne servent à rien.

Nous avions demandé à Frédéric Allaire, professeur de droit public que nous avions consulté pour notre documentaire Radar, la machine à cash comment il était possible que nous ne retrouvions aucune trace de ce marché dans la mesure ou pour le montant estimé, il devait faire l'objet d'un marché public et le résultat de ce marché devait être lui aussi public. Cet achat pouvait avoir fait l'objet d'un contrat de gré à gré dans le cadre de la pandémie, nous avait répondu Frédéric Allaire. Dans ce cas, pourquoi refuser de le dire, côté ministère ? Mystère.

Paye ta CADA

L'opacité organisée par le ministère de l'Intérieur nous avait poussé à faire une demande CADA. La démarche consiste à saisir la Commission d'accès aux documents administratifs lorsqu'une administration refuse la communication d'un document administratif.

Nous avons reçu une réponse du ministère, que la CADA a sollicité. Mais... Le ministère nous indique que « conformément à la jurisprudence du Conseil d’État et de la doctrine de la CADA », le document est caviardé. On ne saura rien sur le montant du marché ou les prix unitaires car ces informations sont « protégées par le secret des affaires ». Logique... L'utilisation de l'argent public, collecté par l'impôt auprès des citoyens, n'est pas communicable auxdits citoyens car... Secret des affaires.

Tout au plus apprend-on que le marché est passé sur le fondement des dispositions de l'article R. 2122-1 du code de la commande publique dans le cadre de l'épidémie de Covid-19. Frédéric Allaire avait vu juste.

Lettre du ministère à JPJ Mousse pour passer la commande
Lettre du ministère à JPJ Mousse pour passer la commande

On comprend à la lecture de ce document que toutes les explications données à Reflets à l'époque par le patron de JPJ Mousse étaient pour le moins farfelues.

Christophe Bechert, le patron de JPJ Mousse, indiquait qu'il avait simplement répondu « à un appel du ministère de la Défense au début de la pandémie, le 19 mars ». Christophe Bechert restait très vague sur la manière dont s’est faite cette vente au ministère de l’Intérieur. « _C’est via la Direction générale de l’armement et les Chambres de commerce et d’industrie ». Mais du côté de l'armée, on indiquait que « cette entreprise n’a pas été sélectionnée dans les réponses apportées à l’appel à projet. La liste des entreprises retenues est publique. »

Pas si vite Marguerite !

Richard Bertrand, qui nous répond au nom du ministère de l'Intérieur, a peut-être été un peu vite en besogne en nous rétorquant que le montant global du marché était protégé par le secret des affaires. Pas si vite Marguerite, comme le dirait si bien Salvatore Adamo...

Dans un avis de la CADA, celle-ci rappelle que « le Conseil d’Etat a (...) précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret commercial ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi du bordereau des prix unitaires. »

Nous avons donc précisé ce point au ministère par retour de mail en espérant que nous pourrons avoir accès à ce "prix global" pour les fameuses visières JPJ Mouse. Visières qui protégeaient d'on ne sait pas quoi les personnes concernées dans la mesure où elles n'avaient pas encore, à l'époque du marché, obtenu de certification de la part d’un organisme notifié.

La mauvaise volonté déployée par le ministère pour être transparent sur un simple marché d'achat de visières laisse perplexe.

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