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par Antoine Champagne - kitetoa

Soirée mousse et marché fantôme au ministère de l’intérieur

Le ministère refuse de communiquer les conditions d'un marché pour des visières

Si ce n'est pas pour relayer la communication gouvernementale, inutile d'interroger la plupart des ministères. Les services de presse ne répondent pas.

Site du ministère de l'Intérieur - Copie d'écran

C’est l’histoire d’une entreprise française qui a reçu une couverture médiatique conséquente. JPJ Mousse. Articles dans la presse locale, nationale, la télévision s’intéresse même à elle, visite du député, tweet du député… Tout le monde célèbre ce fabriquant de mousse de protection qui pendant la pandémie, a fabriqué des visières et en a notamment vendu au ministère de l’intérieur pour protéger les assesseurs pendant le second tour des élections municipales.

Tweet du député de l'Yonne - Copie d'écran
Tweet du député de l'Yonne - Copie d'écran

Mais lorsque l’on demande dans quel cadre s’est faite cette vente, tout le monde se mure dans le silence. Secret-défense ? Le montant impose un marché public et la publicité du résultat. Mais dans le cadre de la pandémie il est possible que cet achat ait fait l'objet d'un contrat de gré à gré, souligne Frédéric Allaire, professeur de droit public que nous avions consulté pour notre documentaire Radar, la machine à cash. Mais pourquoi le ministère de l'intérieur refuse-t-il de l'indiquer ? Mystère. Cela devient une habitude, les services de presse des ministère sont devenu des machines à relayer une communication gouvernementale et ne répondent plus aux questions qui ne la servent pas. « Envoyez un mail, on vous répondra »... Mais « on » ne répond quasiment jamais...

Le site de JPJ Mousse et les articles racontant sa belle histoire mentionnent un appel d’offres du ministère de l’Intérieur. De fait, à un peu plus de 5 euros la visière ou, au prix le plus bas affiché sur le site (en nombre) à 2,6 euros la pièce, le marché de 280.000 visières représente entre 730.800 et 1.461.600 euros. Des sommes qui requièrent des marchés publics et la publicité du résultat du marché. Mais lorsque l’on interroge Christophe Bechert, le patron de JMJ Mousse, les choses sont plus compliquées : « En fait, on a utilisé le terme « appel d’offres » pour que les gens comprennent. Mais ce que l’on a fait, c’est répondre à un appel du ministère de la Défense au début de la pandémie, le 19 mars ». Christophe Bechert reste très vague sur la manière dont s’est faite cette vente au ministère de l’Intérieur. « C’est via la Direction générale de l’armement et les Chambres de commerce et d’industrie ».

Copie d'écran de la communication de JPJ Mousse sur leur site Web
Copie d'écran de la communication de JPJ Mousse sur leur site Web

Du côté de l’armée, on est carré… « Cette entreprise n’a pas été sélectionnée dans les réponses apportées à l’appel à projet. La liste des entreprises retenues est publique. » L’appel du 19 mars devait permettre de trouver des « solutions innovantes, qu'elles soient d’ordre technologique, organisationnel, managérial ou d’adaptation de processus industriels » pour lutter contre le covid 19.

Tweet du préfet - Copie d'écran
Tweet du préfet - Copie d'écran

Au ministère de l’intérieur en revanche, c’est un peu plus compliqué. Plusieurs messages laissés sur le répondeur du service de presse sont restés sans réponse. Les mails adressés au même service n’ont reçu aucune réponse. Lors d’un échange téléphonique avec le service, on nous a promis de chercher cet appel d’offres. Puis, plus de nouvelle. Contacté mercredi 1er juin, notre interlocutrice est catégorique : « Nous n’allons pas pouvoir vous répondre ». On reformule la question pour être bien certain que nous nous comprenons : « Vous me dites que le ministère de l’Intérieur ne peut pas ou ne veut pas fournir copie d’un appel d’offres d’un montant pouvant atteindre 1,4 million d’euros ? ». La réponse fuse. Visiblement, on dérange : « oui ». Ls journalistes de défense avaient publié un communiqué pour dénoncer les dysfonctionnements de la communication du ministère de la Défense. Les mêmes problèmes se retrouvent dans tous les ministères, ce qui donne à réfléchir sur le sens du service public que les fonctionnaires peuvent avoir...

La conversation avec Christophe Bechert permet également d’apprendre que, en toute logique, les visières fabriquées par la PME n’ont pas encore obtenu de certification de la part d’un organisme notifié. Il est vrai que les délais pour obtenir une certification ne sont pas ceux imposés par la lutte contre une pandémie.

Le ministère de l’Intérieur a donc équipé les assesseurs de visières achetées a priori hors appel d’offres, pour une somme non négligeable. Des visières dont ne sait pas bien de quoi elles protègent puisqu’elles ne sont pas certifiées. C’est mieux que rien mais ça manque un peu de clarté.

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