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par Antoine Champagne - kitetoa

Services publics : sens dessus dessous

Les fonctionnaires s'expriment sur la perte de sens de leur travail

Le collectif "Nos services publics" publie une enquête choc : 80% des fonctionnaires ayant répondu sont touchés par un sentiment d'absurdité...

C'est pas gagné... - D.R.

Quelque 4.500 fonctionnaires ont répondu au questionnaire présenté entre mai et août par le collectif « Nos services publics » (voir aussi cet article). Le résultat est pour le moins inquiétant. Il révèle un mal-être profond puisque 80 % des répondants s'estiment touchés par un sentiment d’absurdité alors que la grande majorité déclare avoir rejoint le service public pour servir l’intérêt général (68 % des sondés). Les agents du service public mettent en avant le manque de moyens, un défaut de vision, l’impression de servir un intérêt particulier plus que l'intérêt général, le poids de la structure ou de la hiérarchie ainsi que le manque de reconnaissance.

Le collectif, qui est né pour prendre la parole face à une perte de sens dans le secteur public, met à disposition le témoignage de 2.590 agents sur son site ainsi que les données brutes et anonymisées de son enquête, accompagnés de graphiques de datavisualisation interactifs.

Il ressort de l'enquête que 68,2% citent le service de l'intérêt général comme premier motif pour travailler dans le service public et pour y rester. Quelque 50% évoquent un attrait pour un métier en particulier. Ce dernier chiffre augmente au sein des personnels de l'éducation nationale avec 65%). Seuls 39,8% parlent de la stabilité de l'emploi. Tous ont conscience que les opportunités de carrière seront faibles : 12% seulement citent cela comme motivation. Surprise ? La rémunération n’est un facteur d’attractivité du service public pour aucune des catégories d’agents répondants. Seuls 3 % d’entre eux la citent comme une raison d’y venir travailler...

Au total, près de 80% des répondants estiment être « régulièrement » ou « très fréquemment » confrontés à un sentiment d'absurdité dans leur travail.

S’ils s’étaient déjà dit : « c’est absurde, ou si cela a un sens, ce n’est pas celui pour lequel je me suis engagé », 3% des agents répondants (141 réponses) disent n’avoir jamais été confrontés à un tel sentiment d’absurdité et15% (794 réponses) disent y être confrontés mais rarement. Globalement, 4 répondants sur 5 disent y être confrontés régulièrement ou très fréquemment (48%, soit 2.167 répondants, régulièrement et 32% soit 1.432 répondants, très fréquemment).

Les réponses sur l'absurdité en graphique. - Nos services publics
Les réponses sur l'absurdité en graphique. - Nos services publics

Qu'est-ce qui motive cette perte de sens des agents du service public ? Selon l'enquête du collectif, il s'agit principalement du manque de moyens, de l'impression de servir un intérêt particulier (celui du manager, du politique ou de l'affichage) plutôt que l'intérêt général, du poids de la structure (lourdeur des procédures, de la hiérarchie, importance des indicateurs à renseigner). Sur ce dernier point, un agent de direction de la sécurité sociale souligne « Le temps perdu à optimiser des indicateurs dont tout le monde sait parfaitement qu’ils ont été construits pour ne pas refléter la réalité de la situation mais l’image que l’État voulait en donner. » Et enfin, le manque de reconnaissance.

Ce qui fait douter les agents du service public, selon l'enquête
Ce qui fait douter les agents du service public, selon l'enquête

Consolation pour le bien commun ? Si 80% des répondants vivent une crise de sens, les agents restent malgré tout au sein du service public, principalement pour servir l’intérêt général.

Pourquoi les agents restent au sein du service public en dépit de cette perte de sens ? - Nos services publics
Pourquoi les agents restent au sein du service public en dépit de cette perte de sens ? - Nos services publics

Une telle enquête dans le secteur privé pourrait révéler quelques surprises également. La perte de sens n'est sans doute pas limitée au service public. Et cela pose question, surtout à l'approche d'une élection présidentielle qui s'annonce comme un fiasco monumental...

Méthodologie de l'enquête

questionnaire a été administré en ligne, du 30 avril au 31 août 2021, sur le site internet nosservicespublics.fr. Il était constitué d’une suite de quatre questions à choix multiples, avec possibilité de choisir plusieurs réponses, ainsi que d’une question proposant aux enquêtés de témoigner librement sur ce qui constituait la perte de sens dans leur travail.

L’enquête est anonyme et porte sur 4555 répondants, agents des services publics de tous âges.

  • 388 répondants ont en dessous de 30 ans, 1296 ont entre 30 et 39 ans, 1536 entre 40 et 49 ans, 1022 entre 50 et 59 ans et 242 au-dessus de 60 ans)

  • La part des personnels titulaires de catégorie A est plus importante que dans le total de la population d’agents publics (2805 agents de catégorie A, dont 987 dans l’éducation nationale). A l’inverse, les personnels de catégorie B (447 répondants) et C (294 répondants), s’ils sont bien représentés parmi la population répondante, le sont moins que leur proportion totale. 541 contractuels ont participé à l’enquête (12% des répondants).

Les secteurs représentés sont très divers :

  • 1190 répondants exercent dans le secteur de l’éducation nationale (27% des répondants),

  • 622 répondants travaillent dans l’enseignement supérieur et la recherche (14 % des répondants),

  • 496 exercent dans le secteur de la santé (11 % des répondants),

  • 251 exercent dans le domaine de l’économie et des finances (5,7 % des répondants) et 209 dans le secteur de la culture (4,8 % des répondants).

  • La défense (36 répondants) et l’intérieur (80 répondants) sont sous-représentés parmi les répondants.

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