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Dossier
par Jacques Duplessy

Russie-Ukraine : de la guerre des nerfs à la guerre tout court ?

Des indicateurs montrent que l'armée russe est prête à l'offensive

Le déploiement d'unités spécialisées dans l'approvisionnement en carburant et d'hôpitaux de campagne, la livraison de poches de sang sont autant de signaux inquiétants qui laissent penser que l'option militaire est sérieusement envisagée par Vladimir Poutine. Des officiels américains avancent même une date : à partir du 15 février.

Photo satellite montrant le déploiement russe à la frontière ukrainienne - Rochan Consulting

Tous les grands de ce monde se pressent autour de la Russie et de l’Ukraine pour tenter d’éviter la guerre. Pas un jour sans des échanges téléphoniques à haut-niveau. Boris Johnson, le premier ministre anglais s’est rendu en Ukraine et à échangé avec le président Russe.

Jeudi 3 février c’est le président turc Erdogan qui était à Kiev, la capitale ukrainienne pour tenter d’apporter sa pierre à la médiation. La Turquie occupe une place particulière dans ce dossier. Erdogan entretien des relations complexes avec Moscou. Le pays a acheté des missiles sol-air S400 allant contre la doctrine de l’Otan, alors qu’il est membre de l’alliance Atlantique. Mais dans le même temps, il était contre les protégés de Moscou en Libye, en Syrie ou dans le conflit opposant Arméniens et Azerbaïdjanais. Et son pays a livré des drones armés Bayraktar TB2 à l’armée ukrainienne, renforçant ainsi son potentiel. [Lire aussi : Que pèse l'armée ukrainienne ?]

Pas de désescalade en vue

Ce lundi 7 février, c’est Emmanuel Macron qui rencontrera Vladimir Poutine à Moscou puis demain le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev. Dans le même temps, l’Europe et les États-Unis préparent une série de sanctions économiques et diplomatiques en cas d’intervention de la Russie. Les États-Unis ont décidé d’envoyer 3.000 hommes supplémentaires en Europe et les pays de l’Otan s’emploient à la « réassurance » des pays de l’Est de l’Europe inquiets des menaces russes.

Et difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de Poutine qui décide seul. Nicolas Tenzer, spécialiste de la Russie, nous en brossait un portrait inquiétant ; selon lui, la recherche permanente de l’instabilité voulue par le chef du Kremlin révèle sa véritable idéologie : un nihilisme.

Le 2 février, Antony Blinken, le ministre des affaires étrangères américain a déploré que son homologue russe, Segueï Lavrov n’ai fourni « aucune indication » d’une volonté de désescalade imminente de la part de Moscou à la frontière ukrainienne. Tous les dirigeants occidentaux se disent inquiets.

Le renseignement américain a opportunément fait fuiter que la Russie préparerait une vidéo montrant une attaque de l’armée ukrainienne sur son sol ou dans le Donbass qui a fait sécession. Cette opération d’opérette serait le prétexte pris par Moscou pour déclencher les hostilités. Vrai ou faux, difficile de le savoir dans cette guerre des nerfs où tous les coups sont permis. D'autres officiels américains ont fait savoir à des journalistes que les Russes avaient désormais massé 70% des ressources nécessaires à une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Il y aurait 83 bataillons aux portes de l'Ukraine et 14 autres seraient en cours de déploiement. Selon eux, le froid serait maximum à partir du 15 février, facilitant le déplacement des blindés en dehors des routes.

« On a tous les indices pour dire qu’il y aura la guerre, soutient Michael Shurkin, un ancien membre de la communauté du renseignement américain aujourd’hui directeur des programmes de 14 North Strategies, une société d’analyse stratégique. Selon moi, cela va venir et ça sera très violent. La Russie va avoir pour but de détruire l’armée ukrainienne et de traumatiser le peuple pour qu’il accepte que leur pays devienne un satellite de la Russie. Mais la Russie ne va pas chercher à occuper de grande partie du pays. D’ailleurs, elle n’en aurait pas les moyens. » Selon lui, au-delà de cela, Vladimir Poutine vise à affaiblir l’Union Européenne, l’Occident en général et le modèle démocratique. « Le président russe veut rendre le modèle autocratique plus tentant, car il est plus perméable aux manipulations économiques et politiques, explique Michael Shurkin. On est dans une situation très différente de la guerre froide, Poutine ne promeut pas un modèle, il cherche le chaos qui crée des opportunités dont il pourrait profiter. C’est la même stratégie qu’il mène au Sahel. »

Des indicateurs inquiétants

Des signes objectifs montrent que la Russie a fait de la guerre contre l’Ukraine une option très sérieuse. Plus de 120.000 hommes ont été massée à la frontière ukrainienne mais aussi en Biélorussie, sous couvert de manœuvres. Outre des régiments de cavalerie, on trouve aussi des troupes de second rang moins bien équipées, la Rosgvardia, qui pourraient avoir pour but d’occuper le terrain et de mener des actions de lutte contre la guérilla ukrainienne. Le cabinet d'analyse polonais Rochan consulting spécialisé dans le domaine de la défense tente de suivre le déploiement des unités russes ici grâce aux techniques d'OSINT. La liste des unités russes repérées avec leurs localisations est régulièrement mise à jour.

Le déploiement des troupes russes aux frontières de l'Ukraine au 5 février 2022 - Rochan Consulting
Le déploiement des troupes russes aux frontières de l'Ukraine au 5 février 2022 - Rochan Consulting

Plusieurs signaux montrent qu’il ne s’agit pas de simple gesticulation. Des images ont révélé que l’armée russe avait déployé des hôpitaux de campagne et des réserves de sang. Autre indicateur du degré de préparation, l’armée a déployé des unités du génie spécialisées dans le déploiement de pipelines provisoires pour approvisionner les régiments mécanisés très consommateurs en carburant. Des vidéos ont aussi montré que la marine russe déplaçait par la route des navires de patrouille de la mer Baltique vers la mer Noire. Des choses qu’on ne fait pas uniquement pour des manœuvres…

« Ce qui m’inquiète, c’est le coup d’après, analyse Michael Shurkin. Poutine va voir les désaccords entre les Européens, et ceux entre l’Europe et les Etats-Unis. Il va tirer les leçons des dissensions entre les occidentaux. Je crains qu’il en tire la conclusion de la faiblesse de l’Otan et de son article 5 qui stipule qu'une attaque contre un membre de l'Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les Alliés. Qui aura envie d’aller mourir pour les pays Baltes ? Là pour l’Ukraine, on va faire des aides symboliques, et voilà… Ce qui me fait peur, c’est la prochaine agression russe. »

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