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par Antoine Champagne - kitetoa

Prix du pétrole à -40$ : pourquoi il faut désarmer les marchés

Les produits financiers n'ont plus aucun rapport avec l'économie réelle

Depuis des années, nous écrivons qu'il faut désarmer les marchés par la régulation, dernière arme des États. La cotation à -40 dollars du baril hier est une illustration du grand n'importe quoi...

Image du film "There Will Be Blood" - © Paramount Pictures

Mais comment passe-t-on d'un cours de 27 dollars le baril de pétrole vendredi dernier à -40 dollars le lundi suivant ? Comment expliquer cela ? C'est tout simple... Il s'agit de la meilleure illustration de la déconnexion totale entre les marchés financiers et l'économie réelle. Le retour d'un optimisme déraisonné des opérateurs sur les marchés actions alors que tout indique qu'une catastrophe arrive montrait déjà combien le secteur de la finance est aux fraises. Mais la cotation négative du baril est encore plus frappante. Décortiquons ce mouvement...

Depuis des lustres, les financiers ont créé des instruments financiers opaques, complexes, très éloignés du but initial d'un marché financier : financer l'économie réelle. Les entreprises découpent leur capital en actions et les mettent à la vente sur un marché. Elles se financent par ce biais. Enfin ça, c'était avant. Au début. Depuis, les financiers ont inventé des produits qui n'ont plus rien à voir avec l'économie réelle mais qui ressemblent à s'y méprendre à ce que fait la Française des jeux avec ses jeux de grattage. Un nouveau truc tous les six mois pour satisfaire l'appétit des joueurs.

Dans le cas qui nous occupe, les investisseurs n'achètent ou ne vendent pas du pétrole. Il échangent un jeu de grattage, un bout de papier qui dit : dans un mois ce papier se transformera en un baril de pétrole. Entre temps, le cours de ce bout de papier peut varier en fonction de l'offre et de la demande.

La loi de l'offre et de la demande expliquée à mon fils - D.R.
La loi de l'offre et de la demande expliquée à mon fils - D.R.

Ce bout de papier est un "produit dérivé". Bref, un machin complexe que seuls les financiers peuvent expliquer et comprendre. Et c'est fait pour. Un peu comme le jargon financier. Si personne ne comprend ce que vous faites, personne ne vient vous empêcher de faire ce que vous faites...

La période est spéciale. Cela explique un peu la chute enregistrée hier. Les Etats-Unis produisent beaucoup de pétrole de schiste très cher à produire, avec un secteur maintenu en vie artificiellement, pour lequel on ne peut pas "fermer" des puits et les rouvrir facilement. Bref, il y a trop de pétrole que personne ne consomme et que l'on ne peut plus stocker. Un signal pour se défaire de ce type d'investissement. Mais au delà ce ce problème conjoncturel, les investisseurs, à l'approche de la fin du mois ont commencé à vouloir se défaire de leurs bouts de papiers. Logique. Vous imaginez que des traders en costumes dans des tours de verre à New-York, Londres, Paris, Chicago, vont se faire livrer des tonnes de barils de pétrole dans leurs bureaux ? Non, le vrai pétrôle, le vrai cacao, le zinc, le fer, l'or, il n'en veulent pas. Ils ne veulent que jouer avec le jeu de grattage. Le bout de papier. Bilan, ils ont voulu vendre. Et cette fois, la période étant un peu tendue, à n'importe quel prix. D'autant que dans la période, personne ne veut de ce pétrole que l'on ne pourra pas écouler. Voilà comment on arrive à un prix aberrant.

Mais ce genre de délire marche aussi avec le cacao, par exemple, si un météorologue se plante dans ses prévisions. Et oui, le cours du cacao ne varie pas seulement en fonction de ce que peuvent produire les producteurs et des besoins en cacao. Ils varient parce qu'un type en costume cravate dans un immeuble de verre a la tête plongée dans les prévisions de tempêtes au dessus de l'Amérique Latine pour les trois prochaines semaines. Une prévision de tempête ? La récolte va en souffrir, les prix augmentent. Dans le vrai monde, il y a un type qui s'arrache le dos et les mains pour produire son cacao et qui ne comprend absolument pas pourquoi le cours de son produit fait de tels mouvements de yoyo...

Les produits financiers complexes, c'est ce qui a failli tuer game en 2008... A cette époque, comme en 2012, les États ont raté le coche. Ils avaient la possibilité de désarmer les marchés. Leur seule et dernière prérogative est de fabriquer la loi. Ils peuvent de concert, décider d'interdire telle ou telle pratique financière. Ils ne l'ont pas fait. C'est un choix, une responsabilité dont ils doivent être tenus pour responsables. Cette fois encore, pour éviter, pensent-ils l'effet domino et la fin du système capitaliste, les États ont donné du mou aux banques au lieu de les encadrer. Le 27 mars dernier, ils ont repoussé la mise en place des contrôles imposés par Bâle III : c'est à dire les règles prudentielles appliquées aux banques. En d'autres termes, si tu veux jouer avec noter argent, il faut que tu gardes de côté, au cas ou, si tout partait en vrille, un montant minimal de fonds propres...

Les dates initiales sont repoussées. What could go wrong ? - Copie d'écran
Les dates initiales sont repoussées. What could go wrong ? - Copie d'écran

Le volume global des produits dérivés était estimé (qui a une vision précise ? Personne) à quelque 640.000 milliards de dollars en juin 2019...

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