Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Présidentielle : il est (re)venu, le temps des fans

Visiblement il reste des électeurs pour croire à l'homme ou la femme providentiel

Le mouvement des gilets jaunes et la désaffection des jeunes générations pour la politique pouvaient laisser croire que les "fans" des politiques étaient une espèce en voie de disparition. Pas du tout. Ou alors, les réseaux sociaux et la presse amplifient leurs voix ?

Veut-on vraiment de cette potion amère que l'on nous prépare ? - Stephan Burlot - Wikipedia - CC BY-SA 3.0

Et c'est reparti pour un tour... A l'approche de l'échéance présidentielle, une espèce d'odeur putride se répand dans l'espace médiatique. Nous l'avions déjà repérée en septembre 2016. Il semble bien que les acteurs de ce rendez-vous institutionnel, politiques, militants, presse, population... aient décidé de remettre le couvert.

L'espace politique et par extension médiatique, est envahi par des polémiques puantes. Le débat politique qui devrait se concentrer sur les moyens à mettre en place pour améliorer le "vivre ensemble", ce qui fait société, les communs, est quasiment inexistant. N'est relayé que le bruit généré par les tenants de positions radicales, clivantes. Le juste milieu, la réflexion, l'analyse semblent ne plus intéresser grand monde, en tout cas pas la presse mainstream. Et dans ce grand brouhaha, surgissent comme pour chaque élection présidentielle depuis le début de la Vème République, une cohorte de militants énamourés vantant les mérites supposés de leurs champions.

Pour les uns, c'est Sandrine Rousseau qui révolutionnera -évidemment- l'offre politique, pour d'autres c'est Jean-Luc Mélenchon, le seul -bien sûr- à avoir un programme digne de ce nom, mais pour d'autres encore, c'est -forcément- Éric Zemmour avec ses idées rances. Tous sont l'homme ou la femme providentiel(le). Ce sont ceux qui vont changer le monde. Vraiment ?

Emmanuel Macron, l'actuel locataire de l'Élysée, est justement l'archétype de l'homme providentiel, inexistant sur le plan politique avant une élection mais qui par la magie de la presse, devient l'homme nouveau, vierge de toute action (il était pourtant l'artisan de la politique économique décriée de François Hollande), pouvant détenir une sorte de martingale qui permettrait de régler tous les maux du pays. Pourtant, son grand entretien face à la rédaction de Mediapart en novembre 2016 exposait, sans laisser la moindre place au doute, le vide du discours :

Les mêmes qui s'offusquent aujourd'hui de cette construction ex nihilo affirment haut et fort partout que leurs champions, leurs championnes, vont faire bien mieux. On se demande par quelle magie.

Les politiques, dans une économie mondialisée au service de marchés financiers désincarnés mais omnipotents, ont-il une marge de manœuvre ? Pas vraiment. Il ne s'agit ici de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose, c'est simplement un constat.

Le mouvement des gilets jaunes avait révélé, nous expliquaient les toutologues, une grande défiance de la population envers les hommes et femmes politiques. Il s'agissait d'un tournant nous affirmait la presse avec gravité, après avoir ignoré superbement la violence de la répression qui s'était abattue sur le mouvement. On allait voir ce que l'on allait voir, les politiques allaient enfin devoir composer avec la population. Résultat ? Un grand débat national pipé, des résultats enterrés avec les honneurs de la nation reconnaissante et on reprend les bonnes habitudes. Exactement comme la crise du covid qui devait façonner les contours d'un monde d'après. Monde d'après qui ressemble désormais comme deux gouttes d'eau au monde d'avant. En pire.

Et la jeunesse alors ? N'est-elle pas massivement engagée dans des mouvements pour sauver la planète. Tous derrière Greta Thunberg, tous dans le sillage d'Extinction Rebellion ? N'en a-t-elle pas soupé des politiques venus d'un autre siècle, de LREM, issue de ce siècle mais peuplé de vieux briscards et de lanceurs de promesses creuses sur le climat ?

Partant, les prochaines élections devraient être une terrible déculottée. Le taux d'abstention devrait atteindre un niveau tellement élevé que la crédibilité du gagnant serait définitivement écornée. Ou pas...

Là où l'on imaginait les Français fâchés avec le processus électoral, il semble, si l'on observe les chaînes d'information en continu, la presse en général, ou les réseaux sociaux, que la population s'est choisie de nouveaux champions. Des champions tout neufs, tout frais : Michel Barnier (LR), élu depuis 1978, Valérie Pécresse (LR), dans le sillage de Jacques Chirac depuis 1997, Yannick Jadot (EELV), membre des Verts dès 1999, Sandrine Rousseau (EELV), membre de son parti depuis 2009 dans lequel elle a un parcours très rapide, Jean-Luc Mélenchon (LFI), entré en politique en... 1968, Arnaud Montebourg (Gauche) qui a fait ses premiers pas en politique en 1985, Éric Zemmour, polémiste et toutologue œuvrant dans la presse écrite et l'étrange lucarne depuis les années 90 pour y distiller des idées d'extrême-droite...

Les médias et les RS fabriquent-ils la réalité ?

Les chaînes d'information en continu sont-elles représentatives de la population française ? Ou les réseaux sociaux ? Pas certain.

L'audience de CNews est par exemple inversement proportionnelle au bruit que la chaîne génère. Le navire amiral de la flotte radicale de Bolloré obtient le meilleur score de son histoire sur la saison 2020-2021, et ce n'est pas énorme : 1,8% de part d'audience en moyenne sur les 10 derniers mois. Pourtant, cette mini-chaîne est partout dans la presse. Tout le monde en parle. Un article sur une polémique ici, un papier sur le départ de son animateur multicondamné, là... C'est la fête à la Foire à la saucisse.

Sur les réseaux sociaux, la portée des tweets de la chaîne laisse perplexe. Un message sur le pass sanitaire qui sera prolongé récolte 57 likes, 80 retweets et 183 réponses. Un autre sur une procédure visant à dissoudre 6 lieux de cultes et des associations musulmans obtient 67 likes, 30 retweets et 63 réponses. Sur une population de 67 millions, ces chiffres sont ridicules.

De là à dire que la presse et les réseaux sociaux fabriquent une réalité bien éloignée de celle de millions de français, il y a un pas que l'on peut probablement franchir sans trop se tromper. De la même manière, les intentions de vote pour Éric Zemmour seraient-elles à ce niveau si la presse cessait de parler de lui (il n'est même pas officiellement candidat) ? Là encore, le système médiatique fabrique un homme providentiel, comme elle avait créé de toute pièce le phénomène Macron.

En termes de votants, pour l'élection présidentielle, il est probable que ceux qui se déplaceront jusqu'à l'isoloir seront les fanboys et fangirls des politiques qui continuent de les idéaliser et de voir en eux des sauveurs. Probablement aussi une partie des 6 millions de personnes qui regardent encore le journal de 20 heures de TF1. Peut-être également quelques personnes qui pensent devoir voter puisque l'on est en démocratie et que ce privilège nous est offert. Sans oublier quelques électeurs qui penseront "faire barrage", comme en 2017, avec le succès que l'on connaît aujourd'hui.

Tout cela ne fait probablement pas une majorité d'inscrits. La démocratie s'appauvrit. Mais pas toute seule. Avec l'aide des politiques, des médias, des réseaux sociaux et des électeurs qui ne sont pas les derniers à faire vivre, justement, la presse et les réseaux sociaux et leurs polémiques clivantes permanentes.

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