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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Nevis, un Éden pour Patrick Drahi

Le patron d’Altice a massivement investi dans cette île des Caraïbes

Son dernier projet ? Allonger la piste de l’aéroport… Trop courte pour faire atterrir ses jets ? Peut-être. Peut-être pas. Mais quoi qu’il en soit, le milliardaire y voit un bon moyen de faire un business rentable de cette histoire. Ses talents de grand homme d'affaires ne sont pas une légende.

Four Season Resort, Nevis - Copie d'écran - Site du domaine

Patrick Drahi s’en était amusé le 2 février dernier au Sénat, lors d’une audience sur la concentration de la propriété des médias en France : « Je dors mieux avec mes 50 milliards de dette, qu'avec les 50.000 que j'avais à mes débuts ! ». Selon ses propres mots, son groupe serait donc endetté aujourd'hui à hauteur de 50 milliards. Selon le Figaro, SFR ferait face à « une montagne de dette de 23,3 milliards ». Tout cela dans un contexte de remontée des taux d’intérêts, ce qui n'aide pas… Mais si son groupe croule sous une « montagne de dette », Patrick Drahi parvient à investir des sommes importantes dans des projets personnels. Nous l’avions raconté, via sa structure Forever, il a acquis pour près d’un milliard d’oeuvres d’art. Selon nos informations, il a aussi investi pour au moins 30 millions de dollars dans la construction d’une villa au sein du luxueux resort Four Seasons de Nevis. Cette petite île de 93 km² considérée (selon Wikipedia) comme un paradis fiscal est située dans les petites Antilles et constitue avec une autre île, l’État de Saint-Christophe-et-Niévès (en français, Nevis se dit Niévès). « L’Eden Estate », la résidence de la famille Drahi, est très en retrait de la plage mais c’est la plus grande du Four Seasons Resort. La famille Drahi est désormais très implantée sur Nevis. À tel point qu’elle a obtenu la nationalité de ce micro-État. Mieux, Patrick Drahi s’est engagé dans un vaste projet : allonger la piste de l’aéroport… Et par un pur hasard, cela pourrait même se transformer en un business rentable.

Le Figaro évoque une "montagne de dette" pour SFR - Copie d'écran
Le Figaro évoque une "montagne de dette" pour SFR - Copie d'écran

Parmi les avions utilisés par Patrick Drahi, on compte un Falcon 7X et un Bombardier Global 7500. Deux appareils qui ne peuvent a priori pas décoller sur une piste comme celle de l’aéroport « international » Vance W. Amory de Nevis. Cette dernière mesure 4.000 pieds (1.200 mètres) de long. Selon la presse spécialisée, il faut une piste de 5.505 pieds pour faire décoller un Falcon 7X et de 5.800 pieds pour un Bombardier Global 7500.

Est-ce cette problématique qui a poussé Patrick Drahi à s’engager dans un projet d’allongement de la piste de ce petit aéroport ? Ou simplement l’idée de faire une bonne affaire ? Peut-être les deux. On retrouve en tout cas ici aussi le souci permanent d’optimisation fiscale.

Allongement prévu de la piste
Allongement prévu de la piste

Selon nos informations, Patrick Drahi a mis en place une structure (Blue Airport ltd) qui signe en mai dernier un accord avec la Nevis Island Administration (NIA – le gouvernement) pour allonger d’environ 1.500 pieds la piste, améliorer les capacités de ravitaillement en carburant, améliorer les éclairages, construire un hangar pour avions et « améliorer/réorganiser » le management de l’aéroport. Une fois ces travaux effectués, pour un coût qui serait estimé par les équipes de Patrick Drahi entre 18,4 et 23,2 millions de dollars financés en cash et en emprunt, les recettes du nouvel aéroport seront partagées à 70/30 entre Patrick Drahi et la NIA.

En revanche, « Tous les coûts, par exemple : salaires des employés de l’aéroport, maintenance de la piste, coût des services publics, etc. seront pris en charge exclusivement par la NIA. Cet accord perdurera jusqu’à ce que Patrick Drahi ait récupéré tout son investissement, augmenté d’un taux d’intérêt de 2 % par an », précise l’accord. « Une fois le remboursement effectué les recettes seront partagées à 70/30 entre Patrick Drahi et la NIA pendant 7 ans. Ensuite, les recettes iront toutes à la NIA ».

Comme l’optimisation fiscale n’est jamais loin, Patrick Drahi négocie avec le gouvernement : « Patrick Drahi et Blue Airport ltd bénéficieront de la part de la NIA d’une exemption de taxes personnelles ou sur les sociétés pour tout ce qui concerne les recettes issues du projet, de la gestion de l’aéroport et/ou du leasing du hangar, pendant une durée de 15 ans ou pour toute la durée du remboursement ».

En termes de recettes, selon nos informations, l’aéroport représentait 827.000 dollars en 2016, puis 788.000 en 2017 et 563.000 en 2018. Toujours selon nos informations, les estimations internes dans l’entourage de Patrick Drahi pour les recettes à venir, après réalisation du projet, tourneraient autour d’une moyenne de 1,2 million de dollars par an.

Exemption de taxes

Le 25 mai 2022, selon nos informations, le ministre des finances de Nevis souhaitait « tout le succès possible dans ses projets » à Patrick Drahi et lui signifiait que la NIA accordait une exemption de droits de douane et sur la valeur ajoutée pour tous les matériels importés (c’est à dire à peu près tout), pour la construction de la villa, mais aussi sur l’importation de biens personnels, comme des œuvres d’art et des sculptures. Seule une taxe de douane de 6 % serait appliquée sur le matériel lié à la construction. Initialement, le ministre aurait inclus les œuvres d’art pour cette petite taxe. Mais les discussions entre gens de bonne compagnie auraient permis de les exclure. Patrick Drahi sera également exempt d’impôt sur le revenu et d’impôts sur les sociétés pour tous les développements entrepris sur Nevis. Ce traitement de faveur s’explique, selon le ministre, par les importants investissements de Patrick Drahi sur l'île et il est prévu pour une durée de dix ans. Mais bon… si nécessaire, pour terminer l’un ou l’autre des projets de Patrick Drahi dans de bonnes conditions, cette durée pourrait être réévaluée à la fin des dix ans.

Il faut dire que Patrick Drahi est aux petits soins avec Nevis. Selon nos informations, en février 2021, il aurait par exemple accepté de régler la facture du matériel permettant de réaliser des PCR sur l’île que le ministère de la Santé voulait désespérément acquérir, pour un montant d’environ 50.000 dollars.

Patrick Drahi n’est pas fermé à d’autres investissements sur Nevis. Il aurait ainsi regardé de près l’hôtel du resort Four Seasons via le Family Office Yafit (qui gère des investissements privés de la famille Drahi). Son entourage notait à cette occasion que la modernisation de l’aéroport pourrait être une bonne chose pour un tel projet de reprise d'un hôtel. Inversement, l’afflux de touristes pour l’hôtel du resort produirait plus de recettes d’exploitation pour l’aéroport qui sera opéré par Patrick Drahi. Et tout baignerait ainsi dans l’huile de noix de coco...

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