Milipol : le marché de la peur
Le salon de l'équipement des policiers, militaires et espions ne connaît pas la crise
Flingues de toutes tailles, drones, systèmes d'interception, gaz lacrymogènes, LBD, gants électriques, tout est bon pour faire face à « la menace ». Des menaces, justement, il y en a de toutes sortes et c'est bien pratique pour alimenter un marché de la peur très prospère. Surtout à l'approche des JO qui seront prétexte à toutes sortes d'expérimentations jusque là refusées.

Années après années, les déambulations dans les allées du salon Milipol, où viennent se fournir États, policiers, militaires et espions en tous genres, restent aussi déprimantes. On y comprend que si l'on est « contre », on va se retrouver face à des armes innovantes, des instruments de répression toujours plus inquiétants, des outils de surveillance toujours plus intrusifs.
Même si l'on voit apparaître comme « argument de vente » l'aspect non létal de certaines armes, il est aisé de percevoir que celles-ci seront utilisées beaucoup librement que celles qui sont létales. Le risque de tuer est moindre, donnons-nous en à coeur joie... Comme dans un jeu vidéo. On tire, en misant sur le fait qu'avec ces armes, la victime aura plusieurs points de vie et pourra continuer à vivre. Mais avec quelles séquelles... Nous avions largement documenté dès janvier 2019 les ravages du LBD en France pendant la crise des gilets jaunes et le choix très contesté des munitions de la société Alsetex par les autorités françaises. Dans un climat social tendu, l'exécutif est de plus en plus tenté, depuis Nuit Debout, de désigner les opposants comme des ennemis. Non plus des adversaires politiques avec lesquels un dialogue peut s'enclencher, mais des ennemis à soumettre. Par la force. La traduction sur le terrain de cette vision des rapports sociaux par les politiques et les forces de l'ordre est désastreuse la plupart du temps. Surtout à Paris avec un préfet qui pense que les citoyens s'opposant à ses idées sont dans un autre camp.
En 2019 nous avions interrogé le fabriquant du LBD utilisé par les forces de l'ordre françaises et l'analyse qu'il portait sur le nombre effarant de victimes était pour le moins troublant. Il confirmait notre analyse : les munitions Alsetex utilisées par la France occasionnent des blessures que ces tirs n'auraient pas produits s'il s'était agi de munitions Brügger &Thomet. Mais le fabriquant suisse soulignait, comme nous, que les viseurs olographiques EOtech permettent une grande précision de type « point visé, point touché ». Voilà qui aurait pu servir de base à une discussion au sein d'une commission d'enquête parlementaire si... Si nous n'étions pas en France et si l'exécutif ne considérait pas les opposants politiques comme des individus à soumettre par la force.
Mais revenons à l'édition 2021.
Il y a toujours cette espèce d'impression que les exposants et les visiteurs voient dans tout cela une sorte de jeu. Lorsque l'on vend des masques de clown aux forces de l'ordre, lorsque l'on fait faire des petits bonds à des robots chiens que l'on imagine aisément armés dans quelques années, c'est que l'on prend pas toute la mesure de ce à quoi vont servir toutes ces armes. A tuer et blesser. Même le polémiste toutologue d'extrême-droite porté par la galaxie Bolloré trouve cela drôle de pointer des armes vers les journalistes. Un peu comme ce policier devant l'Assemblée nationale, qui visait l'auteur de ces lignes, portant pourtant un casque siglé PRESSE qui se voit de très loin. Tout cela est comme un jeu, n'est-ce pas. C'est sans danger...


Dans les allées, les outils non létaux sont multiples. Ici un gant électrifié, là un Taser, là-bas, un Flash Ball...







À Milipol, il n'y a pas que des armes à feu. Il y a aussi beaucoup d'outils technologiques pour écouter les communications. Téléphones, Internet, ondes variées, tout y passe. Et puis aussi beaucoup de systèmes de reconnaissance faciale. Avec les drones, c'est le truc à la mode du salon. Si pour les drones, il va falloir attendre un peu parce que le conseil d'État a mis un frein à leur utilisation, les vendeurs ne désespèrent pas. Alsetex continue d'afficher (comme il y a deux ans), son drone lâcheur de gaz lacrymo et autres projectiles, si affinités. Et ils ont raison : le gouvernement vient d'intégrer l'usage des drones par les forces de l'ordre dans son projet de loi sur la Responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, examiné à l'Assemblée nationale en septembre et actuellement en commission mixte paritaire.
Alsetex, que nous avions épinglé dans un article évoquant leurs ventes à certains pays un peu fâchés avec les droits de l'homme, n'a pas été plus disert sur le salon (voir notre vidéo en fin d'article) que lorsque nous les avions interrogés pour notre article.
Les vendeurs de sécurité sont en forme olympique. Plusieurs fabricants d'outils technologiques tablent sur les JO pour pouvoir propulser leurs solutions. Ce terrain d'expérimentation à venir annonce des lois et des décrets « qui vont dans le bon sens ». Alors c'est à fond le lobbying.
Parmi les absents notoires cette année, NSO, prise dans le scandale Pegasus. Nous avions rencontré NSO un an plus tôt dans des conditions rocambolesques. Un vendeur de chez Celebrite à qui nous demandions s'il proposait des outils pour pirater des téléphones nous avait proposé de nous présenter une société qui faisait cela. Et il nous avait amenés à un vendeur de NSO. Lequel, en dépit d'une couverture parfaite de notre journaliste, avait vertement tancé son collègue de Celebrite pour lui avoir amené un inconnu. Ambiance parano quand tu nous tiens...
Autre absent de marque : Nexa, l'un des avatars de la désormais célèbre société Amesys. Les dirigeants d'Amesys (devenue Nexa et Advanced Systems) ont été mis en examen l'été dernier pour complicité de torture dans l'affaire de la vente d'outils d'interception massive à la Libye de Kadhafi.




Et pourtant... Nous sommes allés poser quelques questions sur le stand Alsetex, à la personne qui se trouvait derrière cette affiche annonçant un silence total.
Vous découvrirez cela, entre autres choses, dans cette petite vidéo de notre déambulation dans les allées de Milipol version 2021.