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par bluetouff

Megaupload takedown : quelles leçons en tirer ?

Tout Internet attendait avec une grande impatience la réaction de la député Marland Militello.. non je déconne, on était deux... Kitetoa et moi même.  Et bien voilà, c'est fait. Dans un élan incontrôlé et surtout incontrôlable dont elle seule a le secret, la député nous gratifie de son avis d'expert sur l'impact de Megaupload sur les usages du Net et son architecture.

Tout Internet attendait avec une grande impatience la réaction de la député Marland Militello.. non je déconne, on était deux... Kitetoa et moi même.  Et bien voilà, c'est fait. Dans un élan incontrôlé et surtout incontrôlable dont elle seule a le secret, la député nous gratifie de son avis d'expert sur l'impact de Megaupload sur les usages du Net et son architecture. Pour elle, à n'en pas douter, il s'agit là d'une " étape importante dans l’histoire de l’internet responsable" la mise en gras n'est pas de moi, vous l'aurez bien compris. L'internet responsable (avec un petit i), ce n'est pas Internet. En fait l'internet responsable, c'est l'internet civilisé qu'elle défendait ici. Mais en temps de campagne présidentielle, on ne civilise plus Internet, on rend ces irresponsables d'internautes, responsables. À l'époque de la fermeture de Napster, la député Marland Militello pensait qu'Internet était une recette de dessert à la crème. Elle n'a donc pas vu, en ces temps anciens, jubiler les ayants-droit qui étaient persuadés d'en avoir terminé, une bonne fois pour toute, avec le piratage. Puis les ayants-droit ont découvert la General Public Licence... et ouais, pas de chance, c'était il y a plus de 10ans, séquence émotion : le code de Napster était libre, il donna ainsi naissance à un des dizaines de logiciels peer to peer. Chère Muriel, devinez quoi ... en cherchant bien, je suis persuadé qu'il existe des Megaupload like tout bien packagés, avec le code source, prêts à pulluler sur Internet (comme c'est déjà d'ailleurs le cas).

Première leçon à tirer donc, ce n'est pas un scoop, la député Marland Militello n'a pas la culture du réseau lui permettant de comprendre que la fermeture de Megaupload est une étape, logique, comme celle qu'Internet a déjà vécu, et dont il s'est toujours relevé, poussé par une base d'utilisateurs toujours plus importante, induisant une intelligence collective plus importante pour pallier ces petits désagréments.

Puis, la député menace : "Car, au final, ce sont les internautes eux-même qui feront les frais du piratage en n’ayant plus qu’une offre artistique appauvrie à cause du piratage." C'est bien connu, la création va mourir, Internet est plat, et on va tous mourir à cause de l'échange et de l'accès non marchand à la culture... pitoyable comme argument, mais tellement à l'image d'une politique de mauvaise foi pas fichue de faire la différence entre un échange non marchand et un échange marchand.

À chaque article à propos d'Internet, la député Marland Militello nous rappelle qu'« Internet est un formidable outil", c'est systématique, c'est en fait son second tic d'écriture... le premier vous le connaissez tous, nous allons y revenir plus loin. Cette formule "Internet est un formidable outil", c'est la formule magique qui précède à chaque fois une énorme connerie de sa part. Dans cet article, ça nous donne : "(NDLR : Internet) n’est pas un espace où toutes nos valeurs sont abolies, où l’on peut tout se permettre, ce qui serait d’ailleurs  la négation de la liberté, la négation de l’Internet et le début de l’oppression ». Et hop le couplet d'Internet, peuplé de gens sans foi ni loi... qu'il faut C I V I L I S E R !

Nous arrivons au tic d'écriture de la député Marland Militello : "Et  c’est grâce aux initiatives de notre Président de la République Nicolas Sarkozy que la communauté internationale est décidée à ne plus céder à un certain fatalisme qui pouvait exister en la matière." Vous vous souvenez ? "Notre président de la république Nicolas Sarkozy ».

Puis ça continue : " L’Histoire de la culture se souviendra de Nicolas Sarkozy comme de « l’homme qui a dit non ». Wow ! L'histoire de la culture ! Rien que ça ! Internet se souviendra surtout de l'homme qui a permis à une mafia comme Megauload de s'enrichir sur le dos des artistes en criminalisant le P2P avec 2 HADOPI et une offre légale inexistante.

Je vous passe le pavé du milieu, la député n'ayant rien mis en gras dans ces quelques lignes et fatigué que je suis de la lire, je passe aux trucs importants de son billet.. les trucs en gras.

"En France, grâce à la majorité présidentielle et à Nicolas Sarkozy, nous sommes en avance sur le monde entier : nous avons depuis 2010 l’Hadopi  dont la mission première est justement celle-ci."

Et oui il est important ce message, car au cas où vous ne l'avez pas encore compris, c'est "grâce à notre président Nicolas Sarkozy" que le soleil se lève et que la terre tourne. La France est une Nation pionnière sur Internet qu'un seul mandat de Nicolas Sarkozy aura suffit à torpiller. Bilan de la politique numérique de notre président, le poids du numérique dans l'économie en France est inférieur au poids du numérique dans l'économie de tous nos voisins européens, et la tendance est à la nette baisse. Et oui madame la député, vous pouvez vous féliciter de vos conneries, mais les internautes ne sont pas dupes. Et ils n'oublieront pas que la politique numérique de Nicolas Sarkozy s'est bornée à la vente de systèmes de surveillance à des dictatures. Donnez nous plutôt des explications à ce sujet au lieu de nous raconter votre soupe électoraliste ridicule ! Ne venez pas nous donner des leçons de morale alors que vous défendez implicitement la vente d'armes à des dictateurs, ce contre les principes fédérateurs de notre République.

"_ Continuons à lutter contre la gangrène idéologique qui tente de justifier le piratage. Continuons à lutter contre cette menace pesant sur notre création et notre patrimoine culturel"._

Je passe sur la suite, vous voir parler de sécurité des échanges et de chiffrement me fait mourir de rire, il faudrait peut être commencer par assimiler les bases avant de vous lancer dans des concepts que vous ne maîtrisez pas.

Madame la député, si je devais me faire une image de ce qu'est une gangrène pesante, vous figureriez en très bonne place.

Passons maintenant au résultat de la politique que vous défendez, je vais vous la faire simple, avec des petits dessins.

La mise à mort de Megaupload (que nous ne pleurons toujours pas) intervient dans un contexte un peu particulier, celui d'une levée de boucliers anti SOPA/PIPA, faisant suite à une minitellisation du Net. Cette minitellisation a été engagée en France par les lois iPred et HADOPI. Les ayants-droit ont pour rêve ultime de devenir les producteurs exclusifs des contenus disponibles sur Internet, monnayables selon un business model dont ils maîtrisent la chaine de A à Z. S'ils le pouvaient, les ayants-droit vous interdiraient d'uploader tout contenu, y compris les contenus que vous produisez vous même. Philippe Capron, directeur financier de Vivendi Universal, par ailleurs principal actionnaire du fournisseur d'accès Internet SFR, expliquait, il n'y a pas si longtemps que ça, que la fibre optique ne servait qu'à pirater... ça vous donne une idée du niveau de compréhension qu'on ces gens d'Internet.

Dans l'optique d'un ayant-droit, il faut comprendre que chaque contenu qu'il ne vend pas et qui est visualisé des millions de fois sur Internet, c'est autant d'argent perdu pour lui, autant de temps de cerveau disponible qu'il ne vous vendra pas... on parle bien ici d'industrie culturelle, les créateurs on s'en fout : tout comme HADOPI se fout des créateurs, tout comme iPred se fout des créateurs, tout comme PIPA et SOPA se foutent des créateurs. Le but n'a jamais été de rémunérer la création, les créateurs ne vivent pas mieux depuis HADOPI, ce malgré les 35% de "Magic" Nicolas.

Le législateur a criminalisé les échanges non marchands (le P2P), il a donc par ce biais, et ce n'est pas faute de lui avoir expliqué à maintes reprises, participé très directement à l'émergence puis au succès du direct download, dont Megaupload.

Le service de Megaupload, société fiscalement optimisée à Hong Kong et dont l'infrastructure physique se trouvait aux USA, dans l'AS de Carpathia Host et aux Pays-Bas, dans l'AS de Leaseweb, posait déjà de sérieux problèmes aux fournisseurs d'accès européens.

Les premiers à se réjouir de la fermeture de Megaupload, en France, ce ne sont donc pas les ayants-droit, mais les fournisseurs d'accès. En deux schémas, vous allez vite comprendre pourquoi

Avant HADOPI, les internautes échangeaient comme ça :

Dans ce premier schéma, les internautes échange d'AS français à AS français (de l'AS de Free à l'AS d'Orange, de l'AS d'Orange à l'AS d'SFR ... etc). Le coût de la bande passante est quasi nul, car pour peu que le trafic s'équilibre, la bande passante fait l'objet d'accords de peering. Tout le monde est content, ça coûte pas un rond, il faut juste entretenir les infrastructures nationales, grassement amorties sur vos abonnements.

Comme HADOPI a criminalisé le P2P, les internautes ont commencé à utiliser des services de téléchargement, centralisés aux USA. Ce qui nous donne un truc comme ça :

Sur ce second schéma, tous les internautes qui autrefois échangeaient entre eux, en P2P, et consommaient une bande passante qui n'empruntait que les infrastructures de nos FAI nationaux, passe par des points de centralisation, l'arrivée des fibres transatlantiques, <message subliminal>un endroit rêvé pour exercer une surveillance de masse </message subliminal> , du shaping pour brider vos téléchargements, j'en passe et des meilleures.

Vous commencez donc à comprendre le problème. Personne, dans le petit monde d'Internet, n'a intérêt en France à ce qu'un service de type Megaupload, dont le trafic accusait ces derniers temps une croissance bien superieure à celle de Youtube, prospère, surtout s'il est situé de l'autre côté de l'Atlantique.

En France l'épisode Cogent avec le magnifique Stéphane Richard, qui place des douaniers dans ses routeurs pour affirmer que tout ce qui provient de Cogent est illégal, est une illustration assez connue de la problématique que nous expliquons ici.

On peut facilement en déduire qu'il en était de même pour les FAI Néo Zélandais. La collaboration avec les services américains a donc été naturelle. Il y a même fort à parier que les autorités du monde entier ont collaboré au takedown de Megaupload, poussées, non seulement par les ayants-droit, mais aussi par les fournisseurs d'accès, un peu agacés d'avoir à faire croitre leur facture de transit à sens unique.

Contrairement aux débilités éructées par la député Marland Militello sur son blog, Nicolas Sarkozy n'est pour rien au takedown de Megaupload, il n'arrêtera pas le piratage et la France n'est en avance que sur sa dette publique.

 

 

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