Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

LREM : peut-on être de gauche et d'extrême-droite à la fois ?

Panique à bord en prévision de 2022

En voilà une Une qui aura fait du bruit... Libé évoquant des électeurs qui ne feront pas barrage au FN en 2022 et c'est tout le landerneau LREM qui s'affole. Tous s'affirment désormais de gauche après avoir courtisé pendant des années les électeurs FN avec un discours toujours plus à droite.

Libé : la Une du 27 février 2021 - Copie d'écran

Il aura donc fallu qu'un quotidien national mette les pieds dans le plat pour que tout le monde se penche sur une réalité évidente depuis plusieurs années : le hold-up électoral d'Emmanuel Macron ne marchera pas deux fois... Jacques Chirac s'était comporté exactement de la même manière. Appelant à faire barrage contre Jean-Marie Le Pen, il avait, une fois élu avec les voix de gauche, pratiqué une politique de droite ultra-libérale. Emmanuel Macron n'a pas fait autre chose. Élu lui aussi avec les voix de gauche, il a également pratiqué une politique ultra-libérale, là n'est pas la surprise. La surprise, c'est d'avoir adopté un discours d'extrême-droite, une répression hors du commun des mouvements sociaux, d'avoir laissé libre-cours aux franges les plus radicales de la police, aboutissant à des violences policières sans précédent. Le tout, culminant avec un ministre de l'Intérieur, accusé de viol, mais restant en place, qui explique à Marine Le Pen qu'elle est « un peu molle », se plaçant donc de facto à droite de la présidente du Rassemblement national (RN).

En donnant la parole à des électeurs qui affirment ne pas vouloir faire barrage en cas de duel Macron-Le Pen en 2022, le journal a mis en panique la macronie qui n'a pas manqué de dérouler moult éléments de langage pendant tout le week-end qui a suivi la publication de la fameuse Une. C'était à qui était plus de gauche. Elisabeth Borne a explosé les compteurs avec un tweet hors-sol : « Je suis une femme de gauche. La justice sociale et l’égalité des chances sont les combats de ma vie. Et c’est en Emmanuel Macron que j’ai trouvé leur meilleur défenseur. Alors je le dis aux électeurs de gauche : regardez ce que nous faisons, ne baissez pas les bras face au FN ».

A priori déconnectée de cette affaire, lundi est tombée la condamnation de Paul Bismuth Nicolas Sarkozy à trois ans de prison dont deux avec sursis pour « corruption active » et « trafic d’influence ». Et pourtant, tout est lié.

Les envolées lyriques des membres de la majorité présidentielle sur leur engagement à gauche ou sur le fait qu'ils puissent être le seul rempart contre le RN laissent perplexe toute personne équipée pour une réflexion basique. Comment peut-on être un rempart contre le RN lorsque l'on manie les mêmes thématiques puantes visant à fracturer la société, lorsque l'on envoie autant de signaux aux électeurs du parti d'extrême-droite ?

La copie et l'original

Inventaire à la Prévert : Bruno Roger-Petit, « conseiller mémoire » du chef de l’Etat, a invité Marion Maréchal à déjeuner. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur est allé expliquer en plateau face à Eric Zemmour (condamné pour provocation à la haine raciale) combien il était en accord avec lui. Gerald Darmanin a expliqué à Marine Le Pen qu'elle était un peu molle. La loi sur les séparatismes visant principalement l'islam, « l'islamo-gauchisme » dont on accuse les universitaires, les journalistes et finalement, tout ceux qui ne boivent pas les paroles du gouvernement, tout cela laisse plutôt entrevoir un exécutif et des députés très perméables aux discours du RN. Solubles ? C'est donc la dichotomie entre les actes, les discours de ces derniers mois et les éléments de langages inverses distillés après la Une de Libé qui marquent les esprits. Comment peut-on raisonnablement se présenter comme un rempart au RN alors que l'on fait soi-même le lit de ce parti. Comme l'a toujours dit son fondateur, les électeurs « préfèreront toujours l'original à la copie »...

On est là au coeur de ce qui tue à petit feu la Démocratie : la parole des politiques est totalement déconsidérée par leurs actions, par leurs discours opposés à leurs réalisations. C'est aussi ce qui pousse les électeurs vers les extrêmes. Vers ceux que l'on n'a pas encore essayés, qui n'ont pas encore déçu. Le « dégagisme » symbolisé par l'élection de Macron (un faux nouveau visage) en est l'expression la plus récente.

Ces sujets, l'appauvrissement de l'offre politique, le fait que la parole des politique est déconsidérée, l'extrême-droitisation du discours politique, ont été traités abondamment sur Reflets.info depuis des années.

En avril 2012, nous écrivions :

Oui, nous sommes bien à une charnière, celle d'un système politique et d'une économie à bout de souffle, et d'une population qui se raidit dans la crainte du lendemain, cherche des boucs émissaires et entre dans une vision du monde réduite qui la mène à "penser fasciste" sans même parfois s'en rendre compte.

Ces lignes n'ont pas pris une ride. Le phénomène s'est simplement accentué.

En mai 2017, nous écrivions :

Blâmer les abstentionnistes ou ceux qui voteront nul est une réaction épidermique. C'est planquer sous le tapis en urgence la poussière accumulée depuis des années dans les armoires. Par les partis politiques et leurs leaders, certes. Mais aussi par la presse.

Au soir du premier tour de 2017, nous écrivions :

Si les Français étaient assez dingues pour choisir Marine Le Pen comme présidente, il n'y a aucun doute, le pays sombrerait plus vite qu'il ne le faut à un membre du Front National pour évoquer Führer et ses bienfaits supposés.

Si les Français se décidaient pour Emmanuel Macron... Là, ce serait un peu plus lent, mais le pire est à craindre également. Voilà un homme dont on nous dit qu'il veut faire de la France une "start-up nation"... Que ceux qui ont déjà travaillé dans une start-up se lèvent et viennent parler à la TéVé, s'il vous plaît. Une start-up, c'est avant tout des gens qui font du marketing, pour vendre une idée, qui n'ont pas d'argent, qui en cherchent, qui séduisent des investisseurs et qui une fois qu'ils ont 5 millions de users ou de visiteurs, dont 3 millions de bots et 1,5 million de comptes inactifs, revendent leur belle idée une fortune. Avant, si possible, d'aller placer le fruit de leur dur labeur dans un paradis fiscal. En voilà un beau projet : transformer la France en start-up. Avec 90% des employés qui sont des stagiaires ?

Ce soir, l'avenir ni rose, ni bleu. Il est sombre.

Prémonitoire ?

« Évidemment, c'est toujours ma faute »

La récente condamnation de Nicolas Sarkozy envenime encore les choses. A peine condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis pour « corruption active » et « trafic d’influence », l'ancien président est venu expliquer dans le journal de 20H de TF1 ce qui lui était arrivé. Comme n'importe quel délinquant. Dès qu'ils sont condamnés, ceux-ci s'expliquent devant les Français à 20h, c'est normal :

« Je suis venu dire aux Français que je suis un homme qui a toujours assumé ses responsabilités, je ne baisserai pas la tête parce qu'on me reproche des faits que je n'ai pas commis. C'est une injustice, je me battrai jusqu'au bout pour que la vérité triomphe. Je ne le fais pas simplement pour moi, je le fais parce que ceux qui nous regardent doivent savoir que ce qui m'arrive pourrait arriver à n'importe lequel d'entre nous ».

C'est un tout petit peu exagéré de la part de Nicolas Sarkozy mais l'on sait qu'il s'emporte facilement. « N'importe lequel d'entre nous » ne risque pas de se retrouver cité dans 10 affaires pour, entre autres choses, corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournements de fonds.

Nicolas Sarkozy a martelé dans l'étrange lucarne qu'il n'avait rien fait. Sa condamnation reposerait donc sur du vide. Ce n'est pas une condamnation politique, mais tout de même...

« Je ne peux pas le penser, et je ne peux pas le dire", a indiqué Nicolas Sarkozy, questionné sur une "vengeance" de certains magistrats. "Justement, parce que j'ai été président de la République. Je ne tomberai pas dans le piège d'un combat politique contre une institution que je respecte. Sur un plan de fond, j'ai toujours été contre les juridictions spécialisées. (...) Je ne demande la dissolution d'aucune institution. Je demande simplement s'il est normal d'être condamné à trois ans de prison quand il n'y a pas un centime, pas une preuve, pas un avantage et quand après sept ans d'enquête, on n'a rien trouvé. Absolument rien. »

Et à peine cela dit, l'ancien président explique sans ciller :

« Je ne demande aucun avantage. D'ailleurs, qui peut dire que j'ai bénéficié du moindre avantage ? Mais, là encore, j'apprends qu'au parquet général, la personne qui requerra contre moi, est une ancienne membre du cabinet de Mme Royal. Je ne fais de procès à personne, mais est-ce que M. Hollande aurait été d'accord d'être jugé par un magistrat qui aurait été à mon cabinet ? Est-ce que c'est une pratique démocratie, est-ce que c'est normal ? Je demande le droit, l'application du droit, simplement. »

Justement... L'application du droit, c'est ce qui vient d'être fait. Trois magistrats indépendants ont jugé un justiciable qui a eu accès à un procès équitable durant lequel il a pu être représenté par un avocat. C'est justement l'application du droit tel qu'à n'importe quel autre justiciable qui est insupportable à Nicolas Sarkozy et à tous ses soutiens, au nombre desquels, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

Fabrice Arfi de Mediapart s'est livré à une intéressante analyse des inepties proférées par Nicolas Sarkozy :

Comme tous les politiques, Nicolas Sarkozy est prompt à fustiger la Justice et plus précisément les juges (ces petits pois) lorsqu'elle s'intéresse à eux. Ils sont pourtant les premiers à réclamer des sanctions lourdes pour les délinquants.

Tweet de Nicolas Sarkozy (avant d'être condamné)
Tweet de Nicolas Sarkozy (avant d'être condamné)

L'augmentation de l'abstention aux élections est probablement l'une des conséquences les plus visibles de la perte de crédibilité des politiques. L'élection du président est marquée par cet abstention (25% en 2017 contre 14% en 1981) mais c'est bien plus visibile pour les législatives où l'on passe de 20% dans les années 80 à 57% dans en 2017... Quelle est la représentativité des élus dans cette configuration de la Démocratie ? Et quelle est la responsabilité des politiques dans cet état de fait ?

Cette abstention dont les politiques sont les premiers responsables bénéficie à l'extrême-droite. Traditionnellement très engagés et au service de leur chef(fe), les sympathisants du Front National RN se déplacent. Les abstentionnistes sont plutôt des voix perdues pour la gauche et la droite. Il n'en sera sans doute pas autrement en 2022, mais cette fois, une partie de ceux qui avaient soutenu le président au LBD, risquent bien de s'abstenir. De même, comme le relèvait Libération, pour ceux qui avaient voté pour lui afin de « faire barrage » à Marine Le Pen.

Reste l'inconnue du Parti des chapeaux en alu (PCA). Voici une force peu prise en compte par la presse. Vers qui vont se porter tous les Français qui ont plongé dans le délire des Qanons ? Ils sont nombreux. Sur leurs canaux de discussion, on trouve, très actifs tous les tenants d'une extrême-extrême droite. Mais aussi des antisémites, des anti-illuminati, des anti-vaccins, des anti-reptiliens, beaucoup de fanatiques de Donald Trump... Auront-ils un candidat ? Voteront-ils pour Marine Le Pen ? Mystère et boule de gomme.

6 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée