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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Les très chers et très polluants jets privés de Patrick Drahi

Il s’est acheté le plus gros avion d’affaire du marché

Toujours plus haut : Patrick Drahi s’est offert le plus gros avion d’affaires du marché, pour la modique somme de 61,7 millions d’euros. Un joli coucou avec lequel il survole la planète dans tous les sens, générant au passage des milliers de tonnes de CO2.

Un jet pour s'envoler vers un ciel sans nuages ? - © Caroline Varon

Si l’on en croit les portraits publiés dans la presse, Patrick Drahi est un homme très simple. On peut le croiser à l’arrêt de bus, habillé très casual. S’il circule peut-être en bus quand il est en Suisse, pour ses déplacements dans le reste du monde c’est une autre histoire. La planète, l’homme d’affaires la survole, plusieurs fois par semaine, dans son jet privé. Son Bombardier Global 7500 est un monstre des airs - le plus gros appareil de l’aviation d’affaires en circulation. Prix d’achat ? 61,7 millions de dollars.

Le jet de Patrick Drahi est rarement au garage. Pour les seuls cinq premiers mois de l’année 2022, il a effectué 56 vols sur quatre continents, note le magazine Complément d’enquête. Au total, l’appareil a avalé 128.000 kilomètres et émis 684 tonnes de CO2, soit plus de 70 ans de rejets d'un Français moyen. 

Les vols de Patrick Drahi en 2022 et 2023, avant qu'il n'interdise que son avion soit suivi - © Reflets
Les vols de Patrick Drahi en 2022 et 2023, avant qu'il n'interdise que son avion soit suivi - © Reflets

Ce méga-jet n’est pas le premier avion de Patrick Drahi. Comme Reflets, puis Heidi News l’ont raconté, la société Manjet fondée par le milliardaire a acheté un Falcon 7X, puis un Bombardier 6500, tous deux revendus par la suite. Un autre appareil (un Challenger 3500, toujours chez Bombardier) devait être livré l’an dernier. Les documents des Drahileaks montrent par ailleurs que l’entreprise de Patrick Drahi supervise aussi les rotations et la gestion d’un Global 6500 appartenant à son bras droit Armando Pereira et d’un Global 3000. Ces avions sont régulièrement mis en location. 

Détail de l'intérieur du Bombardier Global 7500 de Patrick Drahi - Copie d'écran - © Reflets
Détail de l'intérieur du Bombardier Global 7500 de Patrick Drahi - Copie d'écran - © Reflets

Pour ses avions comme pour absolument tous ses achats, Patrick Drahi fait plancher ses conseils, avec une mission : comment payer le moins de taxes possibles ? Cela passe par les méthodes et ficelles habituelles utilisées dans l’aviation d’affaires : création de sociétés dans des pays fiscalement attrayants, exemptions de TVA, facturation des vols à des sociétés du groupe, pertes déclarées pour la société Manjet qui viennent en déduction d’impôts pour le groupe… Au fond, rien de neuf sous le soleil de Nevis.

Vol all inclusive

Pas question donc pour le milliardaire de prendre un vol classique, même en classe affaires. Aucune compagnie il est vrai ne peut rivaliser avec la qualité de service à bord de son jet. Un document interne, à l’attention des équipages, liste les petites attentions prévues, et attendues. « Patrick Drahi est très simple mais il aime que les choses soient faites d’une certaine façon », prévient d’entrée le texte.

Quand on traverse les océans et les continents, on dort souvent à bord. « Pour les vols de nuit, il se réveille toujours lui-même le matin. Je lui propose un oshibori mais il ne le prend pas toujours", détaille ensuite le document à destination des équipes. "Il prend son café et sa brioche, puis quelque chose d'autre en fonction de ce que vous avez à lui proposer. Ne lui proposez pas de plats chauds après un vol de nuit, il déteste l'odeur du four et le bruit qu'il fait quand il se réveille !!! »

Photo de la préparation de l'appareil : le lit pour les vols transatlantiques - Copie d'écran - © Reflets
Photo de la préparation de l'appareil : le lit pour les vols transatlantiques - Copie d'écran - © Reflets

Dans son Global 7500, Patrick Drahi fait parfois voyager des célébrités. C’est le cas de la journaliste de CNews Laurence Ferrari et de son mari le violoniste Renaud Capuçon, du patron d’i24News Franck Melloul, d’une ambassadrice marocaine, Alahoi Zohour, et bien entendu de nombreux hauts cadres du groupe. Mais ceux qui, chez Altice, ne font pas partis du top-management sont priés d’emprunter les compagnies low cost.

Comme Reflets l’a déjà raconté, la piste d’atterrissage de l’île de Nevis, dans la mer des Caraïbes où Drahi s’est fait construire une jolie petite villa, est trop courte pour poser son gros Global 7500. Qu’à cela ne tienne, pour éviter de devoir monter dans un hélico ou un petit avion depuis l’île principale de Saint-Kitts et rejoindre Nevis (environ 400 dollars, par personne), l’homme d’affaires a proposé au gouvernement local d’allonger la piste. Mais pas tout à fait gratuitement... Les affaires sont les affaires.

Allongement prévu de la piste, selon nos informations
Allongement prévu de la piste, selon nos informations

Sous prétexte d’aider l’île à attirer d’autres milliardaires ayant de gros jets, Patrick Drahi a proposé de prendre à sa charge les travaux, estimés entre 18,4 et 23,2 millions de dollars, financés en cash et en emprunt. En retour, les recettes du nouvel aéroport seront partagées à 70/30 entre lui et la Nevis Island Administration (NIA).

En revanche, précise l’accord, « tous les coûts, par exemple : salaires des employés de l’aéroport, maintenance de la piste, coût des services publics, etc. seront pris en charge exclusivement par la NIA ». Jusque-là, ça paraît couler de source. Chacun sa part de l’effort, après tout. La suite montre qu’avec le fondateur d’Altice, tout se paie : « Cet accord perdurera jusqu’à ce que Patrick Drahi ait récupéré tout son investissement, augmenté d’un taux d’intérêt de 2 % par an ». Ce n’est pourtant pas suffisant.

« Une fois le remboursement effectué les recettes seront partagées à 30/70 entre Patrick Drahi et la NIA pendant 7 ans," lit-on plus loin. "Ensuite, les recettes iront toutes à la NIA ». Au passage, le milliardaire négocie une exemption fiscale pour les recettes de la société qu’il a créée pour les travaux de l’aéroport.

Sur la petite île des Caraïbes, tout le monde ne s’est pas laissé ensorceler par les promesses de Patrick Drahi et ses millions. Soumis à un conseiller économique, le projet du milliardaire ne lui semble pas à l’avantage du gouvernement. Il l’écrit au Premier ministre : « J'ai examiné la proposition présentée par M. Drahi. Je ne suis pas satisfait de la clause qui donne tous les revenus à M. Drahi alors que la Nevis Island Administration doit assumer tous les coûts, y compris le personnel, les services publics, le coût de l'entretien de la piste, etc. » Inquiet, le fonctionnaire pose la question qui fâche : « Comment allons-nous les financer ? »

Constructif, l’homme a bien proposé des solutions alternatives, mais elles sont restées lettre morte. Décidément, le gouvernement local ne pouvait rien refuser à celui qui a acheté un scanner pour l’hôpital, mais aussi les tests et les vaccins pour le covid pour les habitants de l’île.

Complément d'enquête avait fait le déplacement après la publication de notre article pour aller interroger les autorités de Nevis...

Contacté, Patrick Drahi n'a pas donné suite à nos sollicitations

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Patrick Drahi est un homme d’affaires puissant. L'une des plus grosses fortunes françaises. Bien que domicilié en Suisse, il est à la tête du groupe Altice. Un empire tentaculaire qui réunit notamment des entreprises de télécom (SFR, Cablevision…), des médias (BFM TV, RMC…) ou de commerce d’art (Sotheby’s).

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