Journal d'investigation en ligne
par Eliott Aubert

Le maire de Montrouge installe en secret de la vidéosurveillance algorithmique

Les obligations légales outrepassées ?

En 2024, la commune de Montrouge et sa police municipale ont doté leur réseau de caméras de vidéosurveillance d’un logiciel d’intelligence artificielle. Ni le conseil municipal, ni la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) n’ont été prévenus avant l’achat de ce dispositif, en dépit des obligations légales.

Mairie de Montrouge vue du Beffroi, et en arrière-plan, église Saint-Jacques le Majeur - Ibex73 - Wikipedia - CC BY-SA 4.0
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Montrouge, décembre 2024. Lors du conseil municipal, l’opposition interpelle Etienne Lengereau, maire UDI. Dans une longue intervention , Annabelle Huet, conseillère municipale (Montrouge Ecologique et Solidaire), critique avec virulence l’une des décisions prise par le maire en 2024 : l’achat du logiciel Nasle modules violence et smart city à la société Nepsis Engineering pour un montant de 38.088 €. « Le produit développé par Nepsis Engineering est un logiciel de vidéosurveillance algorithmique. Il faudrait l’écrire comme cela, je pense, noir sur blanc, plutôt qu’essayer de le cacher. »

Nasle modules violence et smart city : surveiller automatiquement

L’opacité règne dans l’industrie de la vidéosurveillance , largement plébiscitée par le personnel politique. Nepsis ne déroge pas à la règle : la start-up française, créée par Patrick Touitou et Franck Thelot, ne communique pas sur les projets qu’elle développe. Quelques vagues informations sont disponibles sur leur site internet. L’entreprise y explique que son logiciel, destiné principalement aux municipalités , permet de doper leur réseau de caméras grâce à de l’intelligence artificielle. Il détecte automatiquement les situations jugées « anormales » telles que des agressions, des personnes à terre, des rassemblements inhabituels de personnes, et des départs de feu. D’autres fonctionnalités sont en cours de développement comme le tracking automatique d’un individu sur un réseau de caméras et la détection des dépôts sauvages … En résumé, le logiciel analyse en temps réel les flux vidéo captés par les caméras de vidéosurveillance et alerte automatiquement la police en cas d’événement inhabituel.

Or, un cadre strict est imposé par la loi du 19 mai 2023, autorisant les villes, à titre expérimental jusqu’en mars 2025, à recourir à la surveillance algorithmique dans certaines conditions précises : 8 situations peuvent être détectées lors d’évènements sportifs et culturels* . Ces dispositifs ne peuvent également pas impliquer le traitement de données biométriques. L’expérimentation, initialement prolongée jusqu’en mars 2027 par un amendement glissé dans une proposition de loi, a finalement été retoquée par le Conseil constitutionnel, qui a jugé la mesure sans lien direct avec le texte, la qualifiant de « cavalier législatif ».

Un logiciel acheté sans prévenir la Cnil…

Mais, parmi les fonctionnalités citées précédemment, lesquelles sont utilisées par la police municipale ? « À l’heure actuelle, on ne sait pas à quoi sert concrètement ce logiciel. On nous répond seulement que c’est pour aider les agents du Centre de supervision urbain. Est-ce pour repérer des attroupements ? verbaliser le stationnement gênant ? » questionne Annabelle Huet. Lors dudit conseil municipal de décembre 2024, Etienne Lengereau balaie la critique d’un revers de la main, malgré les nombreuses réserves émises sur l’efficacité de ces dispositifs . Le logiciel d’intelligence artificielle « permet d’améliorer le fonctionnement de la vidéosurveillance, notamment en repérant les situations exceptionnelles », dit-il. Tout en assurant qu’il « ne s’agit pas de reconnaissance faciale et que tout cela est tout à fait encadré, tout à fait connu, reconnu.  »

Connu et reconnu ? Une affirmation contraire aux informations recueillies par Reflets : la CNIL et a minima l’opposition municipale n’ont pas été informées de sa mise en place. Aucun conseiller municipal de la majorité sollicité n’a souhaité répondre à nos questions. L’analyse d’impact relative à la protection des données personnelles (AIPD), que la commune est tenue de transmettre à la CNIL au regard de la loi, aurait pu offrir un éclairage utile sur l’usage de ce logiciel par la police municipale. Cependant, la Cnil assure de son côté ne pas avoir reçu ce document, malgré l’obligation légale, ni avoir été informée par la commune de Montrouge. « Je vous indique que la CNIL n’a pas retrouvé d’échanges avec la commune de Montrouge sur ce sujet et n’a pas été destinataire d’AIPD de sa part » précise une lettre de la CNIL, que Reflets s’est procurée, en réponse à une saisine d’Annabelle Huet.

Il revient à la préfecture de délivrer les autorisations nécessaires aux communes pour l'installation de la vidéosurveillance et des dispositifs VSA. L’élue municipale a contacté le sous-préfet des Hauts-de-Seine, Benoît Trévisani. Deux courriers lui ont été envoyés. Sa seule réponse à été de dire qu'il vient de « saisir le maire sur le sujet ». Le préfet du département n'a pas donné suite à nos sollicitations

… et sans débat au conseil municipal

Les communes n’ont rien à envier aux industriels de la vidéosurveillance lorsqu’il s’agit de dissimuler l’usage de la VSA par leur police municipale. « Le maire n’a pas sollicité l’avis du conseil municipal. On a pris connaissance de cette décision de manière fortuite et on ne sait même pas si le logiciel est déjà actif », s’indigne l’élu d’opposition Cyril Pasteau. En effet, les élus contactés affirment avoir été mis au courant de cet achat lors de l’assemblée permanente, au cours de laquelle la majorité présente les dossiers du prochain conseil municipal du 19 décembre 2024. « Nous n’avons reçu aucune information, alors que nous en avions demandé. Le maire affirme qu’il n’y a aucun problème. Si tel est le cas, pourquoi ne pas nous communiquer les informations ? Ça aurait été la bonne réaction » réagit aussi Joaquim Timoteo, conseiller Montrouge en Commun, un autre groupe d’opposition. Aucune délibération pour valider cet achat n’a été votée. Aucune réponse n’est apportée aux demandes des élus d’oppositions pour obtenir les contrats et des précisions. Annabelle Huet renchérit : « Lorsque le sujet est aussi sensible que celui relatif aux libertés publiques, un vote en conseil municipal devrait être le minimum. »

Making of

Questionnées sur l’absence de débat démocratique, les fonctionnalités du logiciel et l’oubli de la CNIL, ni la mairie de Montrouge, ni Marie-Sophie Lesueur - maire-adjointe en charge de ce sujet - n’ont souhaité répondre à nos questions.

*La présence d’objets abandonnés ; la présence ou utilisation d’armes ; le non-respect du sens de circulation par une personne ou un véhicule ; le franchissement d’une limite ou la présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible ; la présence d’une personne au sol à la suite d’une chute ; un mouvement de foule

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