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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Le gouvernement déclare la guerre aux contestataires et à la presse

Et il n'a peut-être pas tort ?

Le virage droitier entamé très vite après le début du quinquennat est désormais un virage à l'extrême-droite. Pour la deuxième fois, l'ONU met en garde contre la dérive en cours. Mais finalement, en l'absence de réponse, pourquoi se gêner ?

Les voltigeurs d'Emmanuel Macron - © Reflets

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes que nous avons suivi, samedis après samedis en en rendant compte ici, nous martelons que l'extrême violence organisée par l'exécutif contre les manifestant est totalement disproportionnée. Nous avons documenté dès janvier 2019, dans deux articles, ici et , le fait que les blessés par LBD ne l'étaient pas par accident. Depuis le début du mouvement, nous documentons également les violences contre les journalistes. En vain, il faut bien l'avouer. Car à quelques exceptions près, la presse n'a que mollement relayé ces dérives. Il ne tient qu'à elle pourtant de harceler le gouvernement jusqu'à obtenir une réponse satisfaisante. La presse italienne l'avait fait pour Berlusconi : lui poser en permanence dix questions d'intérêt public. Plutôt que de servir la soupe aux politiques en les invitant sans les cuisiner, peut-être vaudrait-il mieux leur poser les questions qui fâchent, surtout lorsque ceux-ci déclarent une guerre ouverte à la presse, la liberté d'informer et à son rôle sociétal : celui de permettre aux citoyens de faire des choix éclairés.

Ces attaques, ce n'est pas spécifiquement un journal Reflets, ou un autre, par nature pas tout à fait neutre en la matière (juge et partie), qui les observe et les dénonce. C'est par exemple la Défenseur des droits, Claire Hédon, nommé par Emmanuel Macron, qui par deux fois a estimé que « cette proposition de loi soulève des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information. »

C'est aussi le conseil des droits de l’Homme de l’ONU qui estime que cette proposition de loi porte « des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique ». Déjà en mars 2019, la haut-commissaire aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, avait demandé aux autorités « une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force ».

Dans cette nouvelle lutte contre les droits fondamentaux et la presse, il y a d'abord eu le schéma du maintien de l’ordre mis en place par L'Intérieur et qui spécifiait mi-septembre que « Dès lors que des journalistes ou membres d’associations sont au cœur d’un attroupement, ils doivent, comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser. » Un bon moyen pour éviter les angles de vue défavorables aux forces de l'ordre lorsqu'elles chargent des manifestants.

Et puis il y a eu la proposition de loi sur la sécurité globale. Une compilation d'articles qui font rosir de joie un Éric Ciotti et dont même Charles Pasqua n'aurait pas rêvé. Le vieux bougre, ancien du SAC, c'est dire s'il n'était pas un islamo-gauchiste, avait même consenti au démantèlement des voltigeurs, responsables de la mort de Malik Oussekine. Voltigeurs que l'exécutif actuel a remis sur pieds sous la direction d'Emmanuel Macron.

Cette proposition de loi dont nous vous parlions le 2 novembre, égrène une masse de projets plus liberticides les uns que les autres et surtout, qui nous rapproche chaque jour un peu plus d'un État policier. Tous les outils juridiques qui sont mis en place depuis des années par la droite comme par la gauche préparent une avenir cauchemardesque pour le jour où le rassemblement national parviendra au pouvoir. Et nul doute que cela arrivera un jour. Ils sont les derniers menteurs que le peuple n'ait pas essayé comme gestionnaires de la copropriété France.

L'un des articles de ce projet prévoit d'empêcher les journalistes de documenter les violences policières. Les dénégations de l'exécutif et des députés LREM n'y font rien. Ce qui est écrit est suffisamment vague pour que l'interprétation par les forces de l'ordre soit à leur entière discrétion.

Refuser que les gens manifestent, les blesser avec une violence extrême quand ils persistent, refuser que les journalistes puissent publier des images de ces violences policières, cela ressemble de plus en plus à un État policier. Le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti a pour sa part annoncé vouloir revoir la loi de 1881 qui régit la presse et vouloir trier les « vrais » et les « faux » journalistes, une antienne reprise ce jeudi 19 novembre par, Valérie Gomez-Bassac, une députée LREM, un peu comme si des éléments de langage avaient circulé sur les boucles Telegram du parti au pouvoir.

Avant même que la loi sécurité globale soit votée, les forces de l'ordre, galvanisées par les promesses de leur ministre, ont fait du zèle. Le 17 novembre, en marge de la manifestation contre cette proposition de loi les forces de l'ordre ont successivement :

  • demandé aux journalistes de quitter les lieux en même temps que les manifestants ;
  • molesté plusieurs journalistes ;
  • arrêté deux journalistes alors qu'ils faisaient leur travail (plusieurs heures de garde-à-vue).

Tentant de justifier tous ces agissements délétères, Gerald Darmanin a même rêvé éveillé sa France parfaite, un pays où les journalistes se déclareraient auprès des préfectures pour pouvoir exercer leur métier de manière sûre :

« Je rappelle donc que si les journalistes couvrent des manifestations, notamment conformément au schéma de maintien de l’ordre, que j’ai évoqué; ils doivent se rapprocher des autorités, en l’occurrence du préfet du département, singulièrement ici le préfet de police de Paris, pour se signaler pour être protégé par les forces de l’ordre, pour pouvoir être distingués, pour pouvoir rendre compte dans son travail de journaliste dans ces manifestations ».

Une fois dûment signalé, le journaliste obtient-il un autocollant jaune visible de loin par les forces de l'ordre et qui lui évite les tirs de LBD ?

## Et toi, la presse qu'auras-tu fait ?

Il est déjà bien tard pour réagir, pour riposter avec ses armes. Et pourtant, il est nécessaire de le faire. Sans quoi, à l'avenir on nous posera la question : « Et toi, la presse qu'as-tu fait quand tu le pouvais, pour mettre un terme à cette dérive ? ».

Nous avons des armes : nos mots, nos images.

  • Nous pouvons cesser de servir la soupe aux politiques en leur ouvrant nos colonnes, nos caméras ou nos micros, sans leur apporter la contradiction systématique lorsqu'ils diffusent de fausses information ou simplement un discours partisan et donc biaisé.
  • Nous pouvons refuser de nous rendre aux conférences de presse des ministres.
  • Nous pouvons flouter toutes les images des politiques associés au vote de cette loi.
  • Nous pouvons leur imposer de se « rapprocher des rédactions pour obtenir le droit d'être interviewé ou même de voir leurs noms cités dans un article ».
  • Nous pouvons imiter la presse italienne et publier à la Une, tous les jours jusqu'à obtention d'une réponse satisfaisante, une liste de questions. La télé avait par exemple fait ce choix de communication lorsque des journaliste avaient été pris en otage
  • Nous pouvons faire le choix des mots justes.

Ce dernier point, semble essentiel. Pourquoi parler des « Brigades de répression de l'action violente motorisées » quand il existe le mot « voltigeurs » ? La guerre des mots est une vieille histoire. Les gouvernements de droite comme de gauche ont réussi à imposer « vidéo-protection » en lieu et place de « video-surveillance », plus anxiogène. L'exécutif se bat depuis des mois pour rayer de nos colonnes l'expression « violences policières ».

« Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit. », avait indiqué Emmanuel Macron à une femme lors du grand débat.

Gérald Darmanin avait fait encore mieux. « Quand j’entends le mot "violences policières", moi personnellement, je m’étouffe », avait lâché le ministre alors que ses troupes avaient justement étouffé Cédric Chouviat, le chauffeur livreur décédé lors de son interpellation le 3 janvier à Paris en répétant sept fois « J’étouffe ». George Floyd avait quant à lui prononcé plus de 20 fois « I can’t breathe » avant de mourir un genou policier appuyé contre son cou aux Etats-Unis fin mai. Le choix des mots...

Après l'assassinat de Samuel Paty, l'exécutif a fait sonner toutes les voix LREM pour instruire un procès en islamo-gauchisme contre les journalistes critiques du gouvernement, contre les opposants politiques. Une démarche honteuse et digne des procès de Moscou contre les « trotskyste-zinoviévistes ».

Le choix de nos mots devient doublement important en ces temps troublés. Il convient de dire clairement que ce gouvernement s'attaque aux libertés individuelles avec une violence rarement vue. Il convient de dire que ces attaques préparent le pire en cas de victoire de l'extrême-droite. Il convient de donner la plus grande visibilité aux attaques de ce gouvernement contre la liberté d'informer, quitte à bousculer la loi de proximité et la hiérarchie habituelle de l'information. Demain, il sera trop tard.

Message à caractère informatif - CC
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