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Dossier
par Eric Bouliere

La Rochelle - Port du masque obligatoire pour les autres: Acte 2

La Poste fermée et un centre de loisirs infecté : cluster ou pas cluster ?

Le 16 juillet dernier, le 4ème vice-président de la communauté d’agglo se fendait d’une prophétie très assurée avant de nous fixer un rendez-vous informel pour corroborer ses dires sous quinzaine. Nous y sommes…

Au bureau de poste de l’hôtel de ville, on informe de la fermeture sans trop s’appesantir sur les raisons - D.R.

De l’Acte 1 de cet épisode Rochelais nous ne retiendrons que l’inconsciente prédiction de M. Gérard Blanchard, fraîchement élu à la Communauté d'agglomération (CdA) et responsable du projet territoire zéro carbone. Ce scientifique de formation déclarait alors : « vous cherchez la petite bête monsieur, il n’y aura pas de cluster, donnons nous rendez-vous dans 14 jours ! ». Pourtant ce vendredi 31 juillet, les portes des deux plus grandes agences postales de la ville sont restées closes : au bureau de l’Hôtel de ville un postier venait en effet de se déclarer positif au Covid-19. A l’agence de Cap Ouest l’inquiétude est également de mise car plusieurs cas y ont été suspectés. Branle-bas de combat, la désinfection des locaux fut prescrite dès le lendemain matin.

A la réouverture des agences, nous nous sommes rendus sur place pour s’enquérir des mesures de protection du public et du personnel mises en place. Peine perdue, à défaut d’utiles précisions, nous avons joué au -c’est pas moi c’est l’autre- : l’agent d’accueil nous adressant au postier en chef, lui-même tenu d’en référer à sa responsable d’agence, elle-même nous renvoyant vers l’e-mail de la directrice de communication qui, flûte quel manque de chance, venait justement de partir en congé. Un petit tour dans les deux bureaux incriminés nous confirmera la difficulté à faire respecter les si magiques mesures barrières « pour de vrai ». Mais nous aurons toutefois l’occasion de comprendre qu’un conseil extraordinaire du CHSCT (Comité Hygiène, sécurité et condition de travail) avait été réclamé en urgence par les salariés. De source officielle, cette réunion du CHSCT se serait: « très bien déroulée, très très bien passée, donc voilà, voilà, oui, tout à fait tout à fait… », mais de source officieuse les débats furent pour le moins houleux. Parmi les plus explicites divergences d’opinion retenons ces quelques remarques émanant d’un communiqué de presse du syndicat majoritaire :

  • « La Poste refuse toutes les propositions CGT au CHSCT d’aujourd'hui et préfère envoyer les agents de Cap ouest (le second site en alerte) dans d’autres bureaux pendant la désinfection des locaux, en renforcement et sans être testés. La Poste joue à la roulette russe avec la vie de ses agents et des usagers. Elle n’hésite pas à envoyer des agents potentiellement contaminés au contact des collègues et des usagers au bureau de Mireuil. »

  • « Demain, le bureau de poste de l’hôtel de ville, où un cas positif est confirmé, va ré-ouvrir avec le même personnel. La CGT dénonce l’amateurisme dans la prévention… »

  • « La CGT FAPT 17 par son représentant syndical et son représentant du personnel aux CHSCT demande que leurs propositions (test de tous les agents, mise en quatorzaine de tous les agents remplacés sur les sites par des agents rouleurs pour conserver les bureaux ouverts et la continuité du service public) soient entendues et mises en place immédiatement sans attendre le nouveau CHSCT de vendredi 7 août. »

On comprend à quel point l’entente dut être cordiale durant ce conseil classé confidentiel défense. Mais on découvre aussi à travers ces quelques lignes que les agents qui ont eu à tenir les guichets lors de la réouverture des bureaux furent ceux-là mêmes qui ont côtoyé le collègue atteint par la maladie. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, chaque employé est resté libre de se faire tester, ou non, et aucune mise en quarantaine ne fut imposée par la direction à l’ensemble du personnel. A croire qu’il fallait faire tourner la baraque… Les syndicats s’insurgent du procédé et dénoncent la disparition du service d’agents de remplacement. On pourrait bien sûr se montrer moins sévère en évoquant un manque d’entrainement face à ce genre de situation d’urgence, mais il se dit que l’agence de Cap Ouest n’en est pas à son coup d’essai pour avoir déjà essuyé cinq fermetures/désinfections pour des cas de suspicion de Covid-19.

Alors bis repetita placent : « vous faites de la politique fiction, vous cherchez la petite bête monsieur, donnons nous rendez vous dans 14 jours… ». Hélas, voyez comme les faits et le virus sont têtus : un foyer de contamination s’est également déclaré dans une maison de quartier de la ville. Ici, trois animateurs et trois enfants du centre de loisirs se sont avérés positifs. Atterré par cette nouvelle, le directeur du centre assure : « avoir été très vigilant, alors que d’autres structures faisaient n’importe quoi, il fallait que cela tombe sur nous. On se sent tous responsables… ». Une dépêche de l’ARS (Agence Régionale de Santé) fera remarquer que les animateurs concernés ont un état de santé rassurant, et sans risque de gravité.

La presse locale fait clairement écho de la situation: vous avez dit cluster ? - Copie d'écran
La presse locale fait clairement écho de la situation: vous avez dit cluster ? - Copie d'écran

Sans risque de gravité, ok, est-ce là un constat suffisant pour ne pas s’inquiéter du nombre de petits copains qui furent approchés en dehors du centre de loisirs par ces trois gamins couvant un Covid asymptomatique ? Et combien de personnes fragiles se seront approchés en toute innocence de ces trois animateurs avant qu’eux-mêmes ne se découvrent porteurs du virus? Enfin quel est le nombre exact de clients anonymes ayant croisé la route du postier de l’Hotel de ville ? Ne serait-on pas alors en présence d’un véritable départ de feu. La presse locale n’hésite pas à poser les termes qui conviennent en première page : Premier cluster en Charente maritime.

Pour qui la patate chaude ?

Sentant venir le coup de la deuxième vague, la municipalité Rochelaise s’était pourtant protégée d’un arrêté généralisant l’obligation de port du masque dans tout le centre ville. On pourrait à ce titre, si l’enjeu n’était pas aussi sérieux, s’amuser de la multiplication de textes législatifs dont la teneur s’avère plus contraignante que les lois émanant du plus haut sommet de l’Etat. Rappelons que les velléités du maire de Sceaux (92), désireux de faire plus et mieux que le gouvernement en matière de mesures sanitaires, ont été balayées par le Conseil d’Etat, alors que la ville de Strasbourg (67), attachée elle aussi à revoir à la hausse les prescriptions étatiques s’est vue déboutée par le tribunal administratif.

Mais apparemment les choses changent d’un jour à l’autre et face au nombre de municipalités édictant son code pénal en propre, il n’est plus interdit de confondre masque FFP2 et cagoule de marins : l’arrêté rochelais dispose qu’à défaut d’un masque adapté à la lutte contre la propagation du virus, il est possible de porter une protection réalisée par d’autres procédés à condition que ceux-ci couvrent totalement le nez et la bouche.

Bref, chacun fait ce qui lui plait dans son coin, et cela semble bigrement arranger le gouvernement qui laisse les petites baronnies locales gérer cette inextricable affaire d’Etat. Et si problèmes..., voir monsieur le Maire SVP ! Mais en matière de patate chaude, l’échevin rochelais n’est pas en reste car son arrêté dispose que les commerçants peuvent se voir frappés d’une fermeture administrative en cas de non respect du port du masque par leur clientèle. Messieurs les bistrotiers et autres restaurateurs, faites la police vous-mêmes. Et si problèmes..., voir le patron SVP !

Certains restaurateurs surinforment leurs clients, mais se refusent de faire la police à la place de la police.
Certains restaurateurs surinforment leurs clients, mais se refusent de faire la police à la place de la police.

Sur le terrain, il faut bien reconnaître que les choses s’avèrent d’une effarante complexité. Les sans masque côtoient les masqués, les uns risquent l’amende, les autres pas, ici on s’invective, là-bas on se reconnait, et tout cela se joue à une bordure de trottoir près. Ainsi ce piéton marchant seul et non masqué peut être verbalisé alors que ces joyeux drilles attablés en grappe autour d’une bonne bière ne risquent rien. Du moins lorsqu’ils restent assis, car debout en terrasse rien ne va plus selon les us et coutumes locales. Passer du statut de piéton debout masqué à l’état de consommateur assis non masqué est devenu un sport local sur le vieux port de La Rochelle. Et que dire de l’efficacité réelle de ces milliers de masques qui pendouillent de l’oreille à la bouche, qui passent du menton au nez et de la table de bar à la poche sans autre forme de désinfection. Quid aussi du temps d’usage préconisé par le milieu médical pour ces masques chirurgicaux que l’on réemploie à tout va et à toutes heures de la journée.

De l’arrêté à la réalité : à gauche, on verbalise pour non-port du masque, à droite, c’est open bar… - D.R.
De l’arrêté à la réalité : à gauche, on verbalise pour non-port du masque, à droite, c’est open bar… - D.R.

Alors quoi, que faire d’autre : arrêter d’arrêter ou continuer d’éternuer ? En avez-vous, vous, des idées lumineuses sur la question, en ai-je seulement moi-même, des solutions efficaces ? Eh bien non. Il faut dire que je n’y comprends plus grand-chose, tout comme ceux qui obéissent de bonne grâce aux consignes désordonnées qu’on leur donne ou aux signaux contradictoires qu’on leur envoie.

Naïvement, il me semblait pourtant que certains hommes de sciences parviendraient à s’accorder pour nous trouver une bonne solution. Peut-être pas la meilleure, mais au moins la moins mauvaise, voir la moins saugrenue. Une solution qui vaudrait ici ou là-bas, pour un individu assis ou debout, dehors ou dedans, bref une directive générique, un plan de seconde vague qui ne saurait être revu et corrigé selon les humeurs des uns ou l’idéologie politique des autres, une solution qui mettrait à égalité un Rochelais sur le vieux port, un Parisien au bord du canal Saint-Martin, un Toulousain flânant autour du Grand Rond ou un Malouin déambulant sur les remparts.

Mais il parait que la Covid-19 n’a que faire de ces principes d’égalité et de droit, sur le territoire national comme dans les couloirs de La Poste rochelaise. A bien y réfléchir, la mauvaise foi n’est certainement pas plus contagieuse que le virus, mais une chose est sûre, elle ne concourt en rien à se protéger ni de la maladie, ni du ridicule.

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