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Dossier
par Eric Bouliere

La Rochelle - Port du masque obligatoire : oui, mais pour les autres

La mauvaise foi ne serait-elle pas plus contagieuse que le virus ?

L’affaire s’est déroulée le 16 juillet dernier, en pleine chaleur estivale, dans les locaux dits de L’Encan, une ancienne criée aux poissons reconvertie en salle de réunion à La Rochelle. Un grand conseil s’y tenait afin d’élire le président et les vice-présidents de la Communauté d’agglomération rochelaise.

Un panneau virtuel pour mieux coller à la réalité du conseil de la CdA… - EB

Ni les honneurs d’un Grand Paris, ni le faste d’un Grand Lyon, nous sommes ici sur le quais Louis Prunier longeant le bassin de chalutiers de la belle cité Rochelaise. Anecdotique ? Pas tant que cela, car c’est bien du sort de 28 communes et de quelques 170 000 habitants dont il s’agissait de s’occuper. Pas négligeable.

Dans cette enceinte close de murs se sont ainsi regroupées environ 150 personnes : du public, des élus locaux, des journalistes, bref un rassemblement hétéroclite de citoyens, tous plus soucieux les uns que les autres de l’avenir de leur région. Il régnait là une ambiance détendue digne d’une chaude après-midi d’été. Chacun de se saluer, d’échanger, de se sourire de près ou de loin, tout en s’efforçant d’oublier les heurts et douleurs des dernières élections municipales.

Tout allait donc pour le mieux, et presque enfin, ça sentait bon les vacances ! Pourtant, une ombre portée sur les côtes de Nouvelle-Aquitaine assombrissait le tableau: ce satané virus du Covid-19 rôdait encore dans tous les esprits. Mais croix de bois, croix de fer, Monsieur le Maire de La Rochelle avait juré la veille au soir qu’il ne s’en laisserait pas compter par une seconde vague.

Lors du tout premier conseil municipal de la ville, il annonçait en effet la prochaine promulgation d’un arrêté imposant formellement le port du masque sur le port de la ville. Pour cause, cette foultitude de vacanciers venus respirer à plein poumon le bon air de la mer. Au lendemain d’une déclaration si forte, il nous avait donc paru logique (ou selon les humeurs, souhaitable, responsable, naturel, légitime, raisonnable…) que le conseil de l’agglo (CdA) allait se tenir dans des circonstances exceptionnelles.

Soudain une évidence : ici, personne ne porte un masque !

L’annonce faite le même jour par le Premier ministre, Jean Castex, sur l’obligation de porter un masque dans tous les endroits clos allait-elle davantage interpeller les élus de la CdA ? Hé bien non. Rien; rien de rien, sinon l’habituelle rengaine émaillée de prudes et bienveillantes affirmations sanitaires. Alors vive les vacances pour nous, et malheur aux autres ! Parce que oui, franchement, ces touristes parisiens, brésiliens, espagnols ou italiens qui débarquent sur le port, avec le virus dans leurs bagages, ils exagèrent tout de même…

Il était apparemment convenu que les masques pouvaient rester aux vestiaires - EB
Il était apparemment convenu que les masques pouvaient rester aux vestiaires - EB

Personne, entendez bien, personne parmi tous ces élus n’a porté de masque durant les cinq longues heures que dura le Conseil. L’effet meute a battu son plein en emportant toute raison : chacun regardant son voisin pour justifier son choix de respirer à l’air libre, et chacun s’assurant de l’unanimité de cette résolution interne. Les choses auraient sans doute été différentes si une consigne venue d’en haut était venue poser un cadre plus rigoureux en avant propos de l’ouverture du CdA.

Hélas, comme constaté par la suite, le président de séance avait ce jour-là bien d’autres soucis en tête. Au final, nos quelque 82 élus se sont rassemblés, approchés, touchés, respirés, et ce avec la plus parfaite innocence, dans un lieu somme toute bien confiné. Certains en sont même venus à s’auto-convaincre de l’efficience des mesures sanitaires proposées pour tenir à bien cette assemblée.

Plus protectrice que la pierre philosophale, plus fiable que la tablette d’Ahkmenrah, la table Rochelaise d’un mètre quarante était conçue pour protéger l’élu des éventuels miasmes de son voisin. Nous avons recueilli des propos invraisemblables sur l’autel de la mauvaise foi. Des réactions épidermiques, pré-enduites de mots-clefs comme "distanciation", "gel hydro-alcoolique" ou "mesures barrières". En fait, très peu se sont rendu compte de la situation dans laquelle ils évoluaient réellement.

Telle personne déclarant ne jamais quitter sa place, pouvait être aperçue ici ou là en pleine conversation rapprochée avec un collègue et ami, telle autre jurant se badigeonner de gel de la tête aux pieds, se frottait tout aussi régulièrement le visage en passant d’une poignée de main à une autre. Au final, on finissait même par ressentir un vent de force 12 en provenance de la petite porte de derrière entrouverte pour l’occasion… Bref, chacun y trouvait-là son compte ou sa vérité tant le port du masque, aussi obligatoire soit-il aujourd’hui, correspond à une mesure physiquement contraignante. Nul doute que la gêne est à la hauteur de la protection offerte. Qui dira le contraire ? Sûrement pas les soignants et tous les autres travailleurs obligés qui ont effectivement bien du talent de supporter ce calvaire journalier.

Mais pour autant peut-on être déclaré coupable de chercher à contourner une difficulté pour accéder à un plus grand confort ? Bien évidemment non. C’est même peut-être là l’une des plus naturelles inclinaisons de l’humanité. Encore faut-il éviter de se draper de mauvaises excuses pour justifier du seul bien être de sa personne.

Il est parfois si tentant d’obliger les autres à des contraintes dont on s’exonère soi-même. Toujours est-il que depuis le 22 juillet, et sur décision de monsieur le Maire, le port du masque est devenu obligatoire, en vase clos ou à l’air libre, et dans tout l’hyper centre de la ville.

Sur le site officiel de la mairie, un rappel à l’ordre publié le 10 juillet et remis à jour dans l’urgence le 20, ne manque pas de rappeler : Montrons l’exemple à nos enfants, enfilons nos masques pour nous protéger et protéger les autres ! Souhaitons seulement que l’exemple en question soit effectivement donné par tous les citoyens, rochelais, vacanciers ou élus d’ici ou d’ailleurs.

Petite collation en fin de réunion : qui a parlé d’attroupement sur le port ? - EB
Petite collation en fin de réunion : qui a parlé d’attroupement sur le port ? - EB

Alors Mesdames et Messieurs les élus, ne voyez ici aucune attaque perfide ou personnelle, ni aucune chausse-trappe politico-sanitaire, ces quelques lignes n’ont d’autre ambition que de souligner les contours d’une mauvaise foi générale contre laquelle il s’agirait de se vacciner collectivement au plus vite.

Après les valses hésitations gouvernementales sur l’utilité de porter un masque, ne pensez-vous pas qu’il serait temps de croire localement aux bienfaits de la mesure ? Sinon pourquoi se fendre de si hauts discours quand on oublie jusqu’aux précautions les plus élémentaires une fois le bel arrêté signé par le maire ?

Enfin un dernier détail, je vous l’avoue sans honte, c’était aussi pour moi la toute première fois que je portais un masque aussi longtemps. Mais très honnêtement, et à tête reposée, qui pourra encore prétendre que ce Conseil s’est déroulé dans la plus parfaite sécurité sanitaire ? A bien y réfléchir, ce n’était pas encore les vacances M’sieurs-dames, il nous reste même un sacré boulot !

La question qui fâche : "Vous ne portiez pas de masque durant ce Conseil, pourquoi ?"

Voici les explications, désolantes, désarmantes, et parfois même grotesques, de ceux, peu nombreux, qui ont accepté de se soumettre à l’exercice à visage découvert. Parmi une quinzaine d’élus, seule Mme Mathilde Roussell, aura eu le courage et l’intelligence d’affronter et de commenter une réalité toute simple: aucun élu ne portait de masque.

A tout élu tout honneur, Mr Giat souhaitait être reconnu. C’est fait.
A tout élu tout honneur, Mr Giat souhaitait être reconnu. C’est fait.

M. Patrick Giat

Président de séance au conseil de la CdA

Conseiller municipal à Lagord

Elu, donc reconnu !

« Pourquoi ? Parce qu’il n’y a aucune raison de porter un masque quand on a des distanciations suffisantes. Et en plus on est des élus, c’est normal que l’on voit notre visage.»

Mme Catherine Benguigui

2eme adjointe au maire de La Rochelle (Culture et Patrimoine)

De la distance et des mesures.

« Parce qu’on était suffisamment éloigné, voilà ! » Pour information : la mesure de distanciation semblait pourtant tout autre lors de la venue de Mme Bachelot à La Rochelle. Ce jour-ci, en plein air, face caméra, et comme tous les autres élus présents à cette occasion, Mme Benguigui n’approchait pas son ministre à moins de 5 mètres sans s’être masquée au préalable.

M. El Abbès Sebbar

Conseiller municipal délégué à La Rochelle

Directeur d’Ehpad

Fallait préciser.

«Si si, je porte le masque ! _ » Mais pas aujourd’hui ? «Ah… il y avait suffisamment de distanciation_ »

Mme Catherine Léonidas

Conseillère déléguée à la CdA

1ere adjointe au maire de la Rochelle (Sport et Affaires générales)

Embarrassée, mais bien attablée.

« Non, on l’a, on l’a, y’a, les tables, les tables, moi j’ai posé la question à l’administration, les tables font 1,40 mètre. J’ai posé la question à l’administration, on ma dit y’a 1,40 mètre, maintenant dès que ça été terminé, j’ai remis mon masque, parce que je sais que, voilà, moi j’ai posé la question, parce que je me suis dis effectivement, on m’a dit 1,40 mètre, voilà… »

M. Jean Philippe Plez

Conseiller délégué à la CdA

2ème adjoint au maire de la Rochelle (Chargé de secteur, Urbanisme) Ça vous regarde ?

« Je suis obligé de répondre ? Non, je ne suis pas obligé de répondre, merci… »

M. Tony Loisel

Maire d’Aytré

Hein ? Qui, quoi, où ?

« J’ai pas du tout entendu votre question, non mais, j’ai pas entendu la fin… »

Mme Chantal Vetter

9ème adjoint au maire de la Rochelle (Nature, Cimetière)

Injoignable.

Madame Vetter ? Madame Vetter ? Madame Vetter ? ...

Mme Fleuret Pagnoux en petite marinière qui ne jure que par la distanciation…
Mme Fleuret Pagnoux en petite marinière qui ne jure que par la distanciation…

Mme Marylise Fleuret Pagnoux

Vice-Présidente à la CdA

Conseillère municipale à La Rochelle (Habitat, Politique de la Ville)

Prise en flag !

«Mais si je l’ai !»

Mais vous ne le mettez pas ?

«Bah là, il y avait la distanciation Monsieur, donc quand il y a distanciation respectée on n'est pas obligé»

Mais parfois on se rapproche, non ?

«Non, quand même !»

M. Jean Marc Soubeste

Conseiller municipal à La Rochelle

Militant écologiste

Manque pas d’air…

«Houlà, on a suffisamment de distance, et c’est aéré !»

Mr Blanchard, scientifique reconnu, en lutte entre science et conscience.
Mr Blanchard, scientifique reconnu, en lutte entre science et conscience.

M. Gérard Blanchard

Vice-Président à la CdA

Conseiller municipale à La Rochelle

Président d’université, Zéro carbone

D’accord, de principe.

« Je n’ai pas porté de masque ? C'est-à-dire ? Là ? Bah je porte un masque dès que je sors…»

Imaginons que demain le conseil de la CDA soit la cause d’un Cluster à La Rochelle ?

« Là, vous êtes dans de la politique fiction, d’abord il n’y aura pas de cluster, donnons-nous rendez-vous dans 14 jours. A un moment donné, on ne peut pas enfermer tout le monde, d’accord... Tout le monde en prison dans ce cas-là, vous plaisantez ou quoi ?!!»

Ne serait-ce pas ce qui s’appelle le confinement de la population ?

« Je pense que vous cherchez la petite bête monsieur, je pense que le maire fait exactement ce qu’il fallait faire et si vous voulez retenir quelque chose je suis totalement d’accord avec monsieur le maire et président de l’agglomération. »

M. Fountaine, Président de l’Agglo, en pleine séance de distanciation sociale.
M. Fountaine, Président de l’Agglo, en pleine séance de distanciation sociale.

M. Jean-François Fountaine

Président de CdA

Maire de La Rochelle

Seul au monde.

«Mais oui, mais là, j’ai personne devant moi quand je parle, la disposition des tables faisait que c’était pas obligatoire.»

Mme Evelyne Ferrand

*Maire de Saint-Xandre *

Douce romance…

« Quand je suis arrivée, j’avais un masque, c’est la réalité, j’en ai trois dans mon sac, on m’a demandé de faire une photo pour le trombinoscope et après je suis rentrée, j‘ai cherché une place, je suis une grosse fumeuse, je suis allé fumer dehors, et je suis rentrée, et j’ai été assez surprise, parce que j’ai été… »

M. Christophe Bertaud

Conseiller délégué à la CdA

4ème adjoint au maire de La Rochelle (Vie nocturne, Eclairage) Parole biaisée.

« Vous avez remarqué quand je parle aux gens, je parle souvent de biais, à part avec Marie [Mme Nédellec, ci-après] parce qu’on est toujours ensemble, autrement quand j’ai pas le masque, comme avec le maire, je parle en biais…»

Mme Nédellec et ses collègues au dépouillement de centaines de bulletins de vote.
Mme Nédellec et ses collègues au dépouillement de centaines de bulletins de vote.

Mme Marie Nedellec

Conseillère déléguée à la CdA

13ème adjointe au maire de la Rochelle (Commerce, Information numérique)

Ni gants, ni masque, tout au gel !

«Je me suis déplacée pour aller faire assesseur, je me lavais… je me mettais du gel hydro-alcoolique à chaque fois qu’on avait des nouveaux bulletins.»

A droite, Mme Roussel, la seule à reconnaître les évidences avec tact et dignité.
A droite, Mme Roussel, la seule à reconnaître les évidences avec tact et dignité.

Mme Mathilde Roussel

Vice-Présidente à la CdA

Conseillère municipale à La Rochelle (Restauration scolaire)

Libre et honnête.

«Oui, je ne l’ai pas porté pendant tout le Conseil, je suis d’accord avec vous, ce n’est pas bien, mais pour autant, je ne l’ai pas porté. Non, c’est plus, qu’au bout d’un moment, vous le savez c’est dur, au bout d’un moment, je tombe dans les pommes quoi. On n'est pas bien. Mais on est d’accord, il faudrait que l’on soit plus exemplaire. Je plaide coupable.»

Et dans les coulisses…

A défaut de se protéger efficacement contre le virus, écartons nous de la morosité et sourions un peu pour assainir l’atmosphère. Les nominés pour la palme de non-port du masque en réunion sont :

  • Une mention spéciale pour Guillaume Krabal, élu Vice-Président d’agglo et jeune maire de la commune de Dompierre-sur-Mer, ainsi que pour Jean-François Fountaine, Président de la Communauté d’agglo et maire de La Rochelle. Surpris par une envie bien naturelle, M. Fountaine s’est éclipsé en pleine élection des vice-présidents de la CdA. Mais avant de partir se soulager, il a pris soin de confier son bulletin de vote à son voisin de comptoir tout en lui confiant : « tiens si tu peux le mettre dans l’urne, je vais pisser un coup ! ». Amateur de bonnes blagounettes, M. Krabal l’avertira de suite à son retour des pissotières : « J’ai mis ton bulletin, j’ai changé, j’ai marqué Falorni dessus ». Pour rappel, il s’agit d’Olivier Falorni, député de Charente Maritime et féroce opposant à la municipalité en place, battu lors des dernières élections municipales. Jean-François Fountaine, hilare, ferma le ban d’un amical : «Ducon !!!». Qui a dit qu’on ne se marrait pas à un conseil de la CdA ?

  • Un César d’honneur pour Mme Valérie Signogneau, directrice de la communication de la CdA, à qui nous avons tendu le micro. Elle nous a effacés de son horizon tout en éludant nos questions d’un simple : «Bah oui, c’est bien, vous êtes gentils.». Puis de tourner les talons pour s’entretenir avec un petit four bien plus digeste. La grande classe.

  • Le prix Albert Londres pour le Journal Sud-Ouest qui, au lendemain de la tenue du Conseil, s’est appliqué à souligner dans ses colonnes : "Mais l’essentiel était ailleurs, au sein de la salle d’exposition de l’Encan, choisie pour sa capacité à accueillir les élus, l’administration, le public et la presse dans le respect de la distanciation". Une précision très bien sentie en effet.

  • Le masque d’or de la propagation de virus pour tous ceux qui ont émaillé ce Conseil de leurs sonores quintes de toux et autres retentissants éternuements. Durant les cinq heures de cette interminable séance de vote, nous avons comptabilisé très exactement 155 dons anonymes de microbes en tout genre. Le coude étant passé de mode, le creux de la main aura souvent fait office de barrière asociale.

Le record de M. Grau, maire de Lagord et 1er Vice-Président d’agglo : 3 quintes de toux en 4 minutes de temps de parole.
Le record de M. Grau, maire de Lagord et 1er Vice-Président d’agglo : 3 quintes de toux en 4 minutes de temps de parole.

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