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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

La France délocalise la peine de mort

L'Irak chargé de la basse besogne avec la bénédiction de Paris

Le dossier des "revenants", les djihadistes français partis "sur zone" empoisonne la vie de l'exécutif. La condamnation à mort de 12 d'entre eux rappelle les pires heures des années Bush...

Quand l'Amérique torturait à Abu Ghraib au nom de la lutte conter le terrorisme - D.R.

Au fil des ans, depuis le 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme a donné lieu à toutes les expérimentations, à tous les renoncements. L'exemple vient des Etats-Unis. On pouvait penser le pire derrière nous. Il y a eu les enlèvements partout dans le monde, hors de tout cadre judiciaire, les vols secrets de la CIA et les prisons secrètes, les éliminations ciblées (ou pas) par drones, la légalisation de la torture, il y a eu les emprisonnements sans perspective de procès ... A cette époque, les Etats-Unis trouvaient tout à fait normal de déposer dans un pays fâché avec les droits de l'homme un terroriste présumé pour qu'il y a soit interrogé avec des méthodes "musclées". En 2019, douze djihadistes (Un Tunisien résident en France et 11 Français) ont été expulsés de Syrie, où ils avaient été arrêtés puis détenus par les forces kurdes et les Etats-Unis, vers l'Irak. Ils y ont été jugés et y ont été condamnés à mort par pendaison. On peut penser ce que l'on veut de ces djihadistes, nombre d'entre eux ont un passé long comme un jour sans pain. Mais rien ne justifie que l'on délocalise leur jugement en Irak, que l'on délocalise leur condamnation à mort, qu'on l'accepte. On ne peut pas abandonner ses principes au nom de la lutte contre le terrorisme.

Les procès des potentiels "revenants" ont duré entre 10 minutes et quelques heures. Le simple fait d’avoir rejoint une organisation terroriste est passible de la peine de mort. Voilà qui leur laissait peu de chances d'échapper à la pendaison. Les avocats étaient commis d'office, prenaient connaissance du dossier à l'audience. Les procès étaient tout sauf équitables. Human Rights Watch s'est ému de ces parodies de procès. Quarante-cinq avocats se sont insurgés dans une tribune contre ce reniement : "_ Exécuter ces peines de mort ou même en permettre le prononcé est donc contraire à notre ordre public et reviendrait à répondre à la barbarie par une peine que nous prohibons catégoriquement. Nous rappelons notamment que nos juridictions refusent les demandes d'extradition lorsqu'il existe un risque pour la personne dont la remise est demandée d'être condamnée à la peine capitale par la justice de l'Etat requérant_", martèlent-t-ils.

"C'est se mettre à leur niveau que de réclamer la peine de mort (…) Nous défendons la vie, nous défendons l'humanité, nous défendons un certain nombre de valeurs et il ne faut pas qu'on abandonne ces valeurs au prétexte qu'elles ont été spoliées par eux", a pour sa part affirmé Guillaume Denoix De Saint-Marc, directeur de l’Association française des victimes du terrorisme (AFTV).

On ne peut pas être contre la peine de mort "sauf pour...". Comment en est-on arrivé au point qu'il faille, en 2019 rappeler cela ? Comment passe-ton de l'abolition en 1981 à un déferlement de haine se félicitant de la condamnation à mort de ces djihadistes en 2019 ?

On ne peut pas accepter de délocaliser l'emprisonnement ou l'administration de la justice. Surtout dans des pays fâchés avec les droits de l'homme et qui ont encore du mal à pouvoir être qualifié d'État. On ne peut pas délocaliser la peine de mort.

Et pourtant, on a pu entendre le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye parler de "procès équitable"...

« Je voudrais vous dire, contrairement à ce que j'entends ici et là : le procès est équitable », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Driant à l'Assemblée nationale. Façon de faire oublier que la France n’a pas réclamé de juger ses ressortissants sur son sol. Il s’agit de « terroristes, bien connus de nos services » a martelé le ministre. De fait, le gouvernement n’a pas envie de faire revenir des djihadistes endurcis, pour certains; membres des premiers groupes salafistes djihadistes en France dans les années 2000. Comme d’autres pays (La Grande-Bretagne, la Russie, la Belgique, par exemple), la France s’accommode très bien de cette « délocalisation » des procès de ses ressortissants.

L'opinion publique est plutôt opposée au retour de ces djihadistes en France. Le gouvernement ne veut pas froisser les électeurs potentiels. Gouvernance à courte vue... D'une part, il y a plus de chances de voir ces djihadistes s'échapper des prisons irakiennes et reprendre les armes que de les voir s'échapper d'une prison française. Abou Bakr al-Baghdadi a recruté des partisans dans une prison irakienne supervisée par les Etats-Unis... D'autre part, la force d'un homme politique est de savoir s'opposer à l'opinion publique lorsqu'elle est dans l'erreur. Un sondage du Figaro publié le lendemain du vote de la loi d'abolition indiquait que 63 % des Français étaient pour le maintien de la peine de mort.

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