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par Julien Mucchielli

L’ex directeur de St-Jean-de-Passy et Stanislas condamné à 5 ans de prison avec sursis

Il était prévenu d’agression sexuelle sur un collégien de 14 ans

À l’issue d’une deuxième journée d’audience consacrée aux témoignages en faveur du prévenu, qui ont dépeint un homme extraordinaire accusé par un adolescent menteur et « détraqué sexuel », la procureure avait requis trois ans de prison avec sursis. « Sans surprise, appel sera interjeté », a commenté son avocat.

Entrée du tribunal de Nanterre - Caroline MONTAGNE/DICOM/MJ
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Le lundi 2 juin, la 20e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre devait juger en une demi-journée sept dossiers, dont six affaires d’agression sexuelle, incluant deux cas d’inceste. Faute de temps, elle a dû en renvoyer deux au mois de janvier 2026 - il n’y a aucune date disponible avant. Mais le vendredi 6 juin, la même chambre a entendu pendant six heures, onze des douze témoins cités par la défense de Daniel Chapellier, prévenu d’agression sexuelle sur Vincent*, un collégien de 14 ans. De 9h30 à 16h30 - pause méridienne comprise - le tribunal fut le réceptacle d’intarissables éloges de la part d’anciens élèves et collaborateurs au bénéfice de cette sommité de l’enseignement catholique, « éducateur intégral » passé par les plus prestigieuses institutions du pays (lire notre article précédent).

L’ancien directeur adjoint de Daniel Chapellier à Saint-Martin-De Pontoise a résumé ce long tunnel de témoignages peu utiles à la manifestation de la vérité : « Je suis venu aujourd’hui pour dire ce que je ne sais pas.  »

Le premier témoin a enregistré une vidéo que le tribunal a projeté à l’audience. Un homme courtois s’était filmé devant une bibliothèque avant de remercier la vie d’avoir eu le bonheur d’éprouver l’autorité bienveillante de Daniel Chapellier. Le deuxième témoin n’est autre que le fils du prévenu, « sous la direction de papa du CE1 à la terminale », ému à l’évocation d’un père attentionné, « exceptionnel ». « Ce qu’il adorait, c’était le contact avec ses élèves », a-t-il d’ajouté.

La témoin n°3, assistante de direction, est celle qui est entrée durant l’entretien du 3 février 2021, entre le garçon de 14 ans et le directeur, et qui n’a rien vu, puisque c’était avant la scène discutée. On lui montre des photos du bureau du directeur, de son bureau, du vestibule et de la porte qui les sépare ; elle confirme qu’il s’agit bien de ce que l’on pensait que c’était.

Le 5e témoin est un ancien élève de Daniel Chapellier, en vérité si reconnaissant envers ce pédagogue inouï, qu’il a accouru à la barre pour dire que, père de deux garçons, il les confierait sans hésiter à son ancien mentor.

« Cette fable qu’on nous raconte aujourd’hui me révolte »

Cette longue litanie de louanges a permis à la défense de dessiner en creux le portrait d’un collégien menteur et doté d’une perversité sexuelle stupéfiante pour un enfant de 14 ans. « Ces deux jours de débat m’ont donné une impression d’effroi : de faire face à un espèce de secte », s’est exclamée Me Karine Bourdié, avocate de Vincent. Le discret père du plaignant, qui semble ruminer en silence cette audience éprouvante, a tenu à réagir : « Cette fable qu’on nous raconte aujourd’hui me révolte, et je sens une trahison ; depuis quatre ans, c’est un cauchemar éveillé quand je vois cette communauté. Il y a une scission entre ceux qui protègent une institution, un commandeur, un chef spirituel et une modernité qui veut se débarrasser de ces relents des années 70. ». Il a rappelé que, certes absent, son fils, qui passe son bac en Angleterre, a été confronté à trois reprise à Daniel Chapellier.

Le témoin n°6 côtoie le prévenu à la paroisse Saint-Ferdinand-des-Ternes, dans le 17e arrondissement de Paris, ses enfants sont scolarisé à Saint-Jean-de-Passy. Un de ses fils, dans la classe de Vincent, lui a dit : « Tout le monde le connait, c’est le détraqué sexuel de la promo, il va s’enfermer aux toilettes pour se masturber sur des films pornos. » Il tenait à le dire au tribunal.

« J’ai été très éprouvée, puis très choquée par le dogmatisme par lequel on a asséné une hypersexualité d’un garçon qui venait à peine d’avoir 14 ans », a réagi son avocate Clotilde Lepetit, dans sa plaidoirie. Au sujet de l’habitude du directeur de Saint-Jean-de-Passy d’interroger ses collégiens sur leur habitudes masturbatoires, les témoins choqués par la moralité du jeune Vincent n’ont, en revanche, aucun commentaire à faire.

La témoin n°8 a également un fils, éperdu d’admiration pour son camarade Vincent, qui rapportait à sa mère l’extraordinaire capacité de ce dernier à mentir « avec un aplomb déstabilisant, de manière répétitive », répète-t-elle. « Je ne voudrais pas qu’une personne soit condamnée à tort pour des accusations aussi graves et qui pourraient être fondées sur des mensonges. » L’avocate Karine Bourdié, qui représente aussi les intérêts de Vincent, intervient : « On parle de chiper 10 euros dans le portefeuille de sa maman, de mentir pour échapper à un contrôle : vous avez quelque chose de plus grave ?

J’ai considéré que c’était important que j’apporte des éléments de contexte.

Si votre fils avait baissé son pantalon dans le bureau du directeur, lui avait montré son sexe et lui avait dit : "je voudrais que vous me suciez", qu’est-ce que vous attendriez comme réaction ?

Ça s’est pas passé pour lui.

Ça ne vous évoque pas de réponse ?

Je n’étais pas dans ce bureau. »

« Un élève se met nu devant vous et vous propose de lui faire une fellation, que faites-vous ? »

C’est en effet la thèse soutenue par le prévenu. Celle qu’il a maintenue devant le tribunal.

À Monsieur Guillaume L. (témoin n°4), préfet des 5e à Saint-Jean-de-Passy, la présidente du tribunal demande : « Si un enfant baisse son pantalon et demande une fellation, on peut concevoir que ce soit tu ?

Au-delà de la sidération, on partagerait tout de suite, voire, l’enfant ne sortirait pas de l’établissement. »

À l’ancienne prof d’histoire géo de Vincent, qui n’a « pas de vrai souvenir », l’avocat représentant les intérêt de Saint-Jean-de-Passy demande : « Un élève se met nu devant vous et vous propose de lui faire une fellation, que faites-vous ? » Elle bafouille et bredouille : « Honnêtement, je sais pas quoi faire. »

Enfin, Philippe M., toujours préfet des 4e, a confié avec franchise qu’il aurait réagi d’une manière différente que son ancien patron : « Moi je pense que j’aurais fini à la brigade des mineurs parce que je lui aurait mis une claque ; c’est un attentat à la pudeur, c’est un manque de respect. Je crois que je serais sorti de mes gonds, ça se serait entendu dans tout l’établissement ».

Car en effet, Daniel Chapellier n’a pas réagi, ce qui avait déjà laissé la présidente circonspecte après qu’elle eut fini d’interroger le prévenu, mercredi 21 mai. A en croire le prévenu, l’inflexible commandeur ultra autoritaire, qui inspire autant le respect que la terreur, a fait un mot excusant son retard à un élève qui venait de lui demander une fellation en agitant son sexe, a reçu son rendez-vous suivant, et n’a pas ébruité l’affaire. Ce n’est que deux jours plus tard, après avoir appris que Vincent avait été inscrit dans un autre établissement, qu’il a écrit un mail aux parents du collégien.

« C’est pas juste parole contre parole »

« C’est pas juste parole contre parole. C’est pas du tout un dossier 50/50 », a martelé Me Lepetit, avocate de l'adolescent. Elle parle de la réaction de son client, selon elle caractéristique de victimes d’agressions sexuelle qui vivent une « effraction psychique et se sentent coupable de la scène sexuelle », décrit-elle. Elle rappelle que les enquêteurs ont retrouvé, dans l’ordinateur du mis en cause, 53 images mettant en scène des mineurs dans des positions sexuelles. Qu’il a tapé dans le moteur de recherche : « teens boys wank » en prétextant - sans convaincre - être curieux des sites consultés par ses élèves (dont, au passage, on peut penser qu’ils ne recherchent pas « teens boys wank » sur leur smartphones démoniaques). « C’est pas du tout des sentiments, c’est matériel ! »

La procureure a finalement requis 3 ans de prison avec sursis et l'interdiction d’exercer une profession en lien avec les mineurs à titre définitif, avec exécution provisoire.

« Je ne crois pas une minute à la scène du délit ! »

Me Yassine Yakouti aurait préféré que son client garde le silence. Mais « Monsieur Chapellier c’est pas un voleur de poule, c’est pas un narcotrafiquant : c’est pas quelqu’un qui ment. C’est pas quelqu’un qu’on drive : il a eu d’emblée la seule attitude qui correspond à ce qu’il est : un homme entier, quelqu’un de franc, de droit dans ses bottes. »

Dans cette scène de deux minutes, « il n’y avait que deux personnes », et « les gamins peuvent mentir, pour bien des raisons : personne n’a de totem d’immunité, personne n’est sacré ». Pourquoi un gamin de 14 ans dirait ça ? « J’en sais rien, et c’est pas à moi de l’expliquer. » Il raconte un garçon à la personnalité « problématique », « manipulateur », rappelant qu’on a trouvé des traces de sperme de l’adolescent sur son pull, ce qui prouverait qu’il est un masturbateur compulsif - et justifierait les questions de Daniel Chapellier sur leurs habitudes de masturbation ? L’avocat ne le dit pas explicitement. « C’est une scène impossible : je ne crois pas une minute à la scène du délit ! », hurle l’avocat.

Pourquoi n’a-t-il pas réagi après la scène ? « Son logiciel n’est pas adapté : il a un logiciel qui date, mais ce n’est pas quelqu’un qui est dans la manipulation », « Son nom est sali depuis un certain nombre d’année, sur la base d’un plaignant corroboré par aucun élément factuel, votre tribunal ne peut entrer en voie de condamnation. On peut pas décider que, parce qu’un gamin a pu dire quelque chose, parce que sa mère a pu être crédible, que quelque chose se soit passé. Votre tribunal n’est pas là pour faire passer des messages à l’enseignement catholique ».

Sitôt que Daniel Chapellier est interpellé, l’information est relayée dans tous les médias. « Est-ce que vous pensez que Vincent peut reculer ? » s’interroge Me Marie Violleau, qui assure également la défense du prévenu. « Non, il est coincé. » L’engrenage infernal le contraint à maintenir sa version tout au long de la procédure. Comme son confrère, elle a demandé la relaxe.

Ils n'ont pas convaincu.


*Le prénom a été modifié.

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