Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Hopium : après les vapeurs du mondial de Paris

Quand on lit ce qu’on lit et quand on sait ce qu’on sait…

Au sortir du dernier salon parisien, une presse peu regardante s’était mise à envisager un avenir radieux pour la planète automobile sur la bonne mine d’un prototype. Face à cette Mãchina d’Hopium les yeux s’embuaient, les esprits s’emballaient, et le cours de la bourse grimpait. Quatre mois plus tard, la belle histoire sent un peu le soufre…

Et soudain l'orage. Imprévisble, vraiment? - capture écran

À peine les portes du salon refermées, Reflets s’était penché sur le cas de cette voiture équipée d’une pile à combustible. Nous avions alors noté l’étrangeté structurelle d’une start-up pré-naissante que certains présentaient déjà comme un constructeur à part entière. Peu touchés par la grâce de sa carrosserie nous en étions restés à nous intéresser à la technique d’un véhicule qui, certes, roulait à l’hydrogène, mais aussi, et surtout sur la réserve financière du Crédit agricole.

Fallait-il être grincheux pour ne pas saluer la jeunesse d’une marque qui n’arrivait pourtant pas les mains vides au Mondial. Sous les sunlights du stand, on pouvait admirer un unique proto de près de deux tonnes, un jeune directeur-pilote ayant couru les 24 Heures du Mans, un ex-ministre des transports reconvertis dans les affaires, un banquier agitant un gros chèque virtuel d’1,2 milliard…

Le beau paquet se voyait même ficelé d’un bolduc d’avenir radieux comme la construction d’usines, dont l’une de 35 hectares basée en Normandie, l’embauche de milliers de salariés, et la promesse de livraison de véhicules précommandés à l’horizon 2025. Somme toute, la situation était aussi bien assurée que l’équilibre d’un aveugle au bord d’un précipice.

Oui, mais patatras, la -Presse bouton- vient encore de gagner ses galons. Car les choses ne se déroulent pas aussi idéalement qu’annoncé dans le dossier de presse. On ne compte plus les titres cinglants et affolés qui viennent de s’abattre comme une pluie de mousson sur le projet Hopium. Alors quand bien même il n’est pas très élégant de s’autocongratuler, nous ne pouvons que vous souhaiter d’avoir lu Reflets avant d’avoir effectué une précommande de quelques 656 € pour acquérir sur le net une Machina livrée, peut-être, en 2025.

Et pour tout dire, notre inquiétude s’accroit au fil des communiqués : « Hopium renforce sa gouvernance et fixe de nouvelles priorités stratégiques pour le développement de l’Hopium Mãchina » . Olivier Lombard, l’ex-DG/pilote, se voit ainsi nommé directeur adjoint. Le coup des chaises musicales n’augure généralement rien de très bon dans ce type de structure, si ce n’est le besoin d’exprimer une volonté haute de modifier la trajectoire originelle d’une société. Jean Baptiste Djebbari, le président du Conseil d’administration et ex-ministre en mal de reconversion, doit-il s’inquiéter de ce remaniement d’urgence ou bien au contraire se féliciter de ces nouvelles orientations ?

Et l'on frissonne d’autant plus pour les promesses d’embauche en apprenant que : « Ces mesures consisteront notamment à séquencer le développement de prochains prototypes et à ajuster les effectifs en fonction des priorités stratégiques. Elles permettront de mieux répartir le besoin de financement de la société dans les prochains mois ».

Hopium en vient à préciser : « Dans le cadre de ce nouveau plan, la Société étudie différents scénarios y compris le séquençage et le calendrier de la commercialisation de l’Hopium Mãchina, et la possibilité de commercialiser ou de licencier dans un premier temps sa pile à combustible. Conçue pour répondre aux caractéristiques haut de gamme de l’Hopium Mãchina, notamment en termes de compacité, de durabilité et de performance, cette pile à combustible représente un actif technologique différentiant ayant fait l’objet de 16 dépôts de brevets ».

Faut-il ici entendre que la monétisation de brevets ou de licence serait à ce stade une piste plus intéressante à suivre que celle qui consisterait à produire une poignée d’hypothétiques voitures ? Cette éventualité ne serait pas sans résonner avec la conclusion de notre précédent papier : « Encore serait-il bon de bien préciser les contours et la destination d’un tel placement pour éviter la déconvenue des petits porteurs ou les grandes désillusions des conducteurs de Mãchina » .

Dans ses derniers écrits, le journal Les Echos enfonce sévèrement le clou : « Le fondateur Olivier Lombard est redescendu au rang de directeur général adjoint chargé du produit ».

La stabilité financière de l’entreprise s’y trouve copieusement remise en cause : « Au premier semestre, la perte nette atteignait 9,5 millions, et la trésorerie disponible était descendue au 20 juin à 20 000 euros seulement, contre 4,9 millions un an plus tôt. Des rumeurs de fournisseurs non payés ont commencé à circuler, et les salaires des mois d'octobre, novembre et décembre ont été versés avec retard ». Un mauvais présage qui ne devrait pas fatalement effrayer les - cinq plus hauts salaires de la société - qui se sont partagé 776 264 € en 2021 alors que tous les comptes étaient dans le rouge.

Selon l’une des sources des Echos : « L'objectif est de se concentrer dans un premier temps sur la pile à combustible, qui est un véritable atout de cette entreprise, avec de nombreux brevets déposés, et qui peut faire l'objet d'une commercialisation séparée, et donc de premiers revenus, dès 2024. Les moyens sont réorganisés dans cette optique ».

Se profile de nouveau l’idée qu’industrialiser un système de propulsion serait plus profitable que de vendre de la belle bagnole dans une éventuelle concession Normande à Douains… Une destinée qui ne devrait pas forcément déplaire à J-B. Djebarri qui souhaitait s’engager dans l'épopée du transport maritime et spatial.

À cet égard le site H2-mobile.fr, qui semble très proche de la filière hydrogène, relaye les tendances mondiales de ce modèle énergétique en relatant les envies du marché à l’internationale. Leurs titres parlent d'eux même: -Hydrogène, l’Europe domine la production mondiale de brevets; L’Inde se prépare à produire massivement de l’hydrogène vert; MG Motor s'attaque à la voiture à hydrogène en Chine- . Nul doute qu’un brevet semble valoir de l’or dans la grande marmite des énergies nouvelles. On y apprend aussi que : -Renault accélère sur le moteur à hydrogène- . De quoi tisser des liens puisque le Losange est déjà installé en Normandie avec son usine de Cléon, et que la marque Alpine entend par la suite faire courir au Mans un proto alimenté à l’hydrogène (inspiré du concept-car Alpenglow). D’autre part le site indique que « GRTgaz lance un appel à intérêt pour une infrastructure de transport d’hydrogène à Fos sur mer ».

Thierry Trouvé, le directeur de GRT gaz (Gestionnaire réseau transport gaz) connait bien le problème pour en avoir souvent débattu dans une carrière menée tambour battant au sein de grandes entreprises nationales ou au service du ministère de la Défense, de l’Industrie, ou de l’Écologie et du Développement Durable. Mais attention à l’hydrogène qui brûle, cette carte de visite soignée ne doit pas faire perdre la tête à J-B. Debarri qui, sur avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : « devra s'abstenir de toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, avec des membres du gouvernement qui l'étaient en même temps que lui, des membres de son cabinet et ceux des ministres successivement chargés de la transition écologique, tant qu'ils occupent encore des fonctions publiques, des services dont il dispose en tant que ministre délégué chargé des Transports ».

La HATVP lui ayant auparavant retourné ses vœux d’intégrer le pôle du groupe CMA-CGM au titre que : « Compte tenu des risques déontologiques substantiels relevés, qu’aucune réserve n’est susceptible de neutraliser, le projet de Monsieur Djebbari est incompatible avec les fonctions gouvernementales qu’il a exercées au cours des trois dernières années ».

Décidément, toutes ces fructueuses affaires d’hydrogène s'avèrent plus complexes que prévu...

Et pourtant tout roulait si bien sur la meilleure déroute...

Finissons d'un sourire avec quelques morceaux choisis d’avant le retour sur terre de certains martiens hydrogèniques.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Sous le label du journal Auto Plus Cécile de Ménibus joue les effrontées avec des questions pièges face à un Olivier Lombard cloué au pilori : « Vous êtes le 1er fabricant français, haut de gamme, à hydrogène... Qui sont les acheteurs aujourd’hui, quel type de clients, des Français des étrangers, pardon de rentrer dans cette vie intime du constructeur, mais il est intéressant de savoir qui sont les clients aujourd’hui, est-ce que se sont des femmes, des hommes ? ».

Et paf, prends ça et ce n’est pas fini mon bonhomme : « Vous aimez Jules Vernes ? Vous savez ce qu’il a dit en 1874 dans l’île mystérieuse ? Il a dit je crois que l’eau sera un jour utilisé comme combustible…. Vous êtes le nouveau Jules Vernes ? ».

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Pour le quotidien Paris-Normandie il s’agissait de faire courir « la formidable nouvelle ». Le président du Département, Sébastien Lecornu y faisait déjà les comptes : « On peut tous être très fiers que l'Eure soit à l'épicentre d'une révolution technologique qui va bouleverser les mobilités au bénéfice de l'environnement… Si on ajoute les 700 emplois générés par l'arrivée de McArthurGlen qui ouvre ses portes en 2023, on arrive à 2.200 emplois créés sur ce secteur. Je n'ai pas d'exemple récent d'une telle quantité d'emplois créée sur une ZAC dans l'Eure ».

Mais hélas le journal se désespère aujourd’hui de s’apercevoir que « Jeudi 12 janvier 2023, l’action Hopium était cotée à moins de 7 € à la bourse de Paris. En juin 2021, elle avait atteint un plafond à plus de 37 euros ». Une formidable mauvaise nouvelle, donc.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Pour le poids des mots, Paris Match se questionne sur la voiture qui fait rêver : « Et si l’Hopium Machina Vision incarnait un équilibre entre l’homme, la nature et la technologie ? ».

L’image ne risquerait-elle pas de trop choquer ?

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Pour Auto Moto, « le projet se concrétise » enfin puisque « les optiques sont inspirées par les vagues à la surface de l’eau et l’imposante calandre est active ».

Et de façon certaine « la version définitive de la Machina sera produite en Normandie dès 2025. Un nouveau site industriel sortira de terre dans la commune de Douains, à mi-chemin entre Paris et Rouen » . Sûr, sûr, sûr, de Seine source sûre !

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Pour Ouest-France, plus aucun doute ni dans les titres ni dans les prédictions. La première voiture à hydrogène est, et sera, construite en Normandie. Le journal ne relève que 3 bémols soufflés par le directeur d’Hopium lui-même : « Une production d’hydrogène encore marginale, la rareté des stations de recharge -Il n’y en a pas autant que l’on voudrait- admet Olivier Lombard et la production à partir d’électricité et de gaz qui émettent des gaz à effet de serre. L’hydrogène vert, sans émission de CO₂, ne représente encore que 8 % de la production » . Rien que du menu bémol en effet.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Le média TV Turbo, explique qu’un « protocole d'accord prévoyant la livraison de 10.000 voitures pour Crédit Agricole Consumer Finance est la preuve que, oui, il est encore possible d'acheter des voitures au Mondial de l'Auto ! ». Et le célèbre et indéboulonnable présentateur de l’émission de ponctuer le doigt levé : « Et c’est Français !! » Du Djebbari dans le texte ou du Montebourg ?

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Pour le site internet 100 bornes qui s’enthousiasme d'un accueil « quasi monastique, quasi initiatique » à son arrivée sur le stand Hopium « C’est une automobile, t'es heureux de la voir, de la découvrir, et c’est drôle elle a en plus, tu sais les étoiles européennes, c’est génial ! Et les jantes… c’est super les jantes !! » . Des infos de première. Dans cette vidéo ne manquait même pas le p’tit salut complice de J-B. Djebbari qui passait par là.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

À La Dépêche on compare et on s’avoue convaincu : « Alors que certains constructeurs tentent d’adapter leurs véhicules existants à une nouvelle énergie, Hopium met la technologie hydrogène au cœur de son ambitieux projet automobile. Créée en 2019, l’entreprise bénéficie de l’expertise terrain de ses équipes, à commencer par celle d’Olivier Lombard. Entre 2012 et 2019, son fondateur et CEO travaillait déjà au développement de l’une des premières voitures de course à hydrogène dans le cadre de la mission H24 des 24 Heures du Mans ». On est jamais aussi bien sourcé que par soi même.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Chez Caradisiac, sur le stand du salon, un journaliste se déclare « Totalement séduit par la Mãchina tant au niveau de ses lignes que des solutions techniques quelle propose et notamment son carburant, l’hydrogène, qui est pour moi, celui de demain ! » . Moi est séduit et vous ?

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Chez H2 mobile.fr « Pour Hopium, c’est Noël avant l’heure ! » . On rapporte que la commande réalisée par le Crédit Agricole représente un investissement de 1,2 milliard d’euros et que l’événement est à saluer comme « le plus gros deal de toute l'histoire du Mondial de l'Auto  ». Un peu d'histoire ne fait pas de mal dans ce monde de réflexes immédiats.

Débats sous Hopium - Capture d'écran
Débats sous Hopium - Capture d'écran

Sur Europe1 la question est dans le titre. La réponse est étayée et formelle : « Si les véhicules hydrogène conçus par Olivier Lombard ne sont pas encore disponibles sur le marché, ils ont déjà rencontré leur public. Ainsi, plus de 1.000 exemplaires d'une berline noire à hydrogène - renommée "la Machina" - ont déjà été précommandés. Le dispositif plaît aux Français. En effet, l'installation de kits hydrogène dans les voitures est en pleine croissance avec une augmentation de 33 % entre la fin de l'année 2019 et 2021 » . Un public conquis de kits (De quoi parle t-on au juste ? ? ?) mais un public encore à pied.

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