Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Hopium : voiture du peuple ou religion des affaires ?

La nouvelle marque qui roule à l’hydrogène... et au Crédit Agricole

Le Mondial de Paris vient de fermer ses portes. Aux dires des spécialistes de l’automobile le salon parisien ne fait plus vraiment rêver les visiteurs, mais pour un investisseur l’euphorie était à rechercher sur le Stand Hopium. Respirez à fond, l’hydrogène n’a pas d’odeur.

La Māchina d’Hopium présentée au salon de l’auto de Paris. - Reflets

Ni BMW, ni Ford, ni Citroën, ni Fiat, ni Mercedes, ni Toyota, ni Volkswagen… les plus grands ne se sont pas présentés au rendez-vous historique de la porte de Versailles. Charge est revenue à Renault, Dacia, Peugeot et jeep de faire acte de présence. A croire que les constructeurs eux même ne savent plus par quel bout prendre le dossier de la « bagnole » qui pollue …

Pourtant un spectacle feutré s’est joué entre initiés sur le stand d’une marque inconnue du grand public : Hopium, une dénomination provoc’ qui fleure bon le marketing étincelant. Sous les feux de la rampe, la Māchina faisait le show. Première surprise, en dépit de ces appellations aux consonances lointaines le nouveau constructeur se déclare plus Français qu’un camembert.

A vous de jouer avec la membrane : pile à combustible, ou face le marketing ?  - Capture d'écran
A vous de jouer avec la membrane : pile à combustible, ou face le marketing ? - Capture d'écran

Pour l’heure la starlette du salon n’est qu’un concept-car, une vitrine technologique destinée à ouvrir les précommandes : 1000 Māchina, virtuelles, auraient été achetées sur internet au prix, virtuel, de 120.000 €. Utile précision qui cette fois-ci tient du réel, le processus de réservation ne garantit ni les spécifications du véhicule, ni sa disponibilité, ni son prix, ni sa date de livraison. La marque évoque de probables livraisons pour 2025.

Cocorico, ce bruissement financier aura eu pour effet de susciter l’intérêt de la branche -Consumer finance- du Crédit agricole. Un protocole d’accord pour une commande prévisionnelle de 10.000 véhicules vient d’être conclu « en marge du salon de Paris » . Les jeux sont faits, rien ne va plus, la mise se porte à hauteur de l’émission d’un chèque de 1.200.000.000 €. Pas d’erreur, cela fait bien 1.2 milliard. Un chiffre qui précipite les souhaits du fondateur d’Hopium qui annonçait déjà en 2020 : « Notre objectif est de réaliser un milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2030, date à laquelle nous espérons être profitables » .

Nous avons cherché à comprendre comment un banquier refusant un crédit immobilier à ses clients pour cause de taux d’usure défaillant, ne voyait aucune contre-indication à signer un blanc seing de plus d’un milliard à un inconnu qui passe.

10 000 X 120 000 € = ? ??? ??? ??? €. Pas mal… - Capture d'écran
10 000 X 120 000 € = ? ??? ??? ??? €. Pas mal… - Capture d'écran

De prime abord Il n’y aurait donc rien d’affolant puisque le constructeur assure que la Māchina est, et sera, le futur de l’automobile électrique. La jolie machine s’abreuve en effet d’hydrogène et s‘équipe d’une pile à combustible. A ce tableau forcément idyllique s’ajoutent d’imparables arguments techniques: 500 chevaux sous le capot, 230 km/h en pointe, 5 secondes de 0 à 100 km/h, et seulement 3 minutes pour faire le plein. Ces chiffres ne sont-ils pas au cœur des soucis et des attentes de tous les conducteurs enfumés et embouteillés ?

L’hydre aux gènes électriques

Interrogé en 2021 sur les qualités de l‘hydrogène, le directeur d’Hopium arguait de « ses nombreux d’avantages, car déjà, c’est quand même la molécule la plus abondante dans l’univers…  » . Tout le monde n’est toutefois pas aussi affirmatif sur la question de la place de l’hydrogène et des bénéfices à en attendre dans le secteur de la voiture particulière. Certains y réfléchissent à deux fois en soulignant un inconvénient majeur : l’hydrogène pur n’existe pas dans la nature et il convient donc le produire. Pour cela plusieurs méthodes existent, dont la première, et la plus utilisée car la moins onéreuse, consiste à « casser » les molécules d’hydrocarbures par vaporeformage de combustibles fossiles. Rien de neuf sous la couche d’ozone, car on produit du même coup du dioxyde de carbone (CO2), l’un des principaux gaz à effet de serre. Pas terrible…

La seconde, plus respectueuse de l’environnement, impose une production d’hydrogène « vert » via un procédé d’électrolyse. Cette technique s’attache à décomposer chimiquement l’eau en dihydrogène grâce à l’action d’un courant électrique. Toutefois les vertus écologiques de cette technique ne s’obtiennent qu’à l’aune d’un processus d’entière décarbonation et sous l’apport d’énergies renouvelables. Car on a beau tourner les molécules dans un sens ou dans un autre, pour faire fonctionner une voiture équipée d’une pile à combustible, il faut de l’électricité, et même beaucoup d’électricité pour produire de l’hydrogène.

Cette problématique est bien connue de Bertrand Gatellier, responsable du centre moteur Hydrogène à l’IFPEN (institut français du pétrole et des nouvelles énergies) : « La meilleure utilisation de l’électricité est de l’utiliser sur un véhicule à batterie, l’hydrogène et notamment l’hydrogène décarboné va utiliser de l’électricité pour être produit, alors autant utiliser directement l’électricité en la stockant sous forme de batterie… » .

N’oublions pas que la destination de la Machina est d’alimenter en dihydrogène une pile à combustible afin de fournir de l’électricité à un moteur… électrique. Bertrand Gatellier considère l’intérêt premier de l’hydrogène sur des niches spécifiques, et notamment pour les camions et véhicules utilitaires lourds.

Un autre spécialiste de l’industrie automobile, Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux, rappelle que les grands constructeurs européens ont boudé l'hydrogène et que les États-Unis ou la Chine ont massivement voté électrique. Son avis n’est pas dénué d’évidences constatées : « La question de hydrogène face à l’électrique à batterie, n’est pas tellement de savoir laquelle est la meilleure solution, la seule question qu’il faut se poser c’est, quelle est la technologie qui est en train de devenir un standard. Et quand vous regardez les choix qui sont fait chez les uns et les autres, les choix qui sont faits par à peu près tout le monde, sauf Toyota et Hyundai, les choix qui sont faits par la Chine, vous avez une espèce d’unanimité, ce qui rendra très difficile à l’hydrogène de se maintenir…  » .

La Chine, l’une des hantises de Carlos Tavares, le président de Stellantis (PSA /FCA) qui s’est ému de la rudesse de la concurrence sur ce secteur : « Voulons-nous vraiment rendre la mobilité accessible à la classe moyenne, aux familles ? Ou pas ? Voulons-nous mettre la liberté de mobilité entre les mains des constructeurs chinois qui vendent des véhicules électriques à des prix très bas ? Les politiques doivent se positionner clairement par rapport à ces questions fondamentales ! » .

Il pose un constat plutôt acide sur la façon dont le miracle électrique s’est produit : « Combien de temps a-t-il fallu pour créer des véhicules électriques ? 5 ans. Il aurait donc d’abord fallu travailler sur la production verte d’électricité, ensuite sur le réseau et puis seulement sur les véhicules totalement électriques. Car où est l’énergie renouvelable ? Où est l’infrastructure de recharge efficace ? Pourtant, les véhicules électriques sont déjà au point. L’Europe a tout fait à l’envers en imposant à l’industrie automobile de produire des véhicules électriques si rapidement »

Et il affiche assez clairement ses positions par rapport à l’hydrogène qu’il réserve à ce jour à sa gamme de véhicules utilitaires. Selon lui la diffusion des véhicules à hydrogène « passera plutôt par les flottes des grandes entreprises qui pourront investir et installer des distributeurs dans leurs locaux, et où les chauffeurs viendront recharger les véhicules après leur journée… ».

Tavares et Macron sont dans une voiture à hydrogène : de quoi parlent-ils ?  - Capture d'écran
Tavares et Macron sont dans une voiture à hydrogène : de quoi parlent-ils ? - Capture d'écran

Peu de voitures particulières en somme dans ce discours, et un nombre de stations de ravitaillement qui pose un réel problème en la matière sur le terrain. Les chiffres avancés varient selon les sources, les ambitions, les intérêts ou les projections, et oscillent entre une trentaine et une centaine de pompes (54 en 2022 selon l’observatoire de l’hydrogène)

C’est ici que notre enquête va abandonner le -pour ou contre- du système pour se concentrer sur le –comment- naissent les légendes, et le –pourquoi- une banque souhaite investir une telle sommes dans un projet qui fait encore clairement pas consensus. Le tout devient intéressant lorsque l’on sait que le constructeur à « réuni une équipe d’experts à la pointe de l’innovation dans les secteurs des piles à combustible hydrogène et de l’ingénierie automobile, ainsi que des partenaires de premier plan ». Ce sont justement de ces partenaires particuliers dont nous allons parler, à commencer par Olivier Lombard, le jeune fondateur et directeur général d’Hopium.

Pilote d’abord, et Hop…ium !

Avant/après : de pilote de course à fondateur d’Hopium.  - Capture d'écran
Avant/après : de pilote de course à fondateur d’Hopium. - Capture d'écran

Au début était un pilote, Olivier Lombard, connu pour être un jeune trentenaire passionné de course automobile. Lorsqu’il tombe la combarde pour enfiler le costume on le considère de suite autrement: « Fondée par Olivier Lombard, le plus jeune vainqueur des 24h du Mans, Hopium est l’aboutissement de son expérience acquise sur les circuits de course automobile. Olivier Lombard a piloté pendant 7 ans des voitures de course propulsées à l’hydrogène, faisant de lui un expert dans le domaine ».

La course, ce « laboratoire à ciel ouvert » à permis à Olivier Lombard et son équipe de « réfléchir sur de nouvelles solutions de mobilité afin de répondre aux défis environnementaux contemporains » .

Interrogé de multiples fois sur la naissance de son projet, il narre volontiers sa rencontre avec Félix Godard, un designer français qui a travaillé pour Porsche, Tesla ou Lucid Motors : « C’était un jour de pluie, comme il y en a peu à Los Angeles. Je lui ai demandé de dessiner une voiture qui représente l’idée qu’on se fait de l’avenir…  ».

Dans les allées du Mondial l’histoire prend vie. Kerrian Jarry, le chief marketing officer de la marque, précise les origines de la Māchina: « Ça a démarré il y a 3 ans, entre Olivier Lombard, Felix Godart le chef du design et moi-même, autour d’une table de café… » .

Les esprits s’échauffent, après l‘abri de jardin de la famille Harley-Davidson, le garage en planches de Bill Gates, voici le troquet Californien d’Hopium.

Restait à trouver de l’argent pour payer le petit noir et potentiellement acheter le bar. En langue Startupienne cela s’appelle lever des fonds. Et de ce côté-là les trois amis savent y faire, car avant même d’être construites les Māchina sont déjà cotées en bourse.

Start-up and go !

Sur une ossature de constructeur automobile, Hopium s’est forgé une musculature de Startuper. De la trempe de ces licornes qui ne font pas rêver les enfants mais les traders du CAC 40. Et au pays de ces légendes-là l’imagination se nourrit de pas grand chose, sinon d’une petite idée et de grosses envies, comme aux meilleurs jours de la bulle internet.

Alors les affaires roulent vite et les communiqués de presses s‘enchainent :

« Hopium, constructeur français de voitures haut de gamme à hydrogène, annonce aujourd’hui le succès de son augmentation de capital » . Quelques dates en vrac pour illustrer cette accélération du capital…

Le 22 janvier 2021 : Augmentation de capital par placement privé pour un montant de l’ordre de 5 millions d’euros.

Le 02 août 2021 : Augmentation de capital par placement privé pour un montant de l’ordre de 6 millions d’euros.

Le 23 décembre 2021 : Augmentation de capital par placement privé pour un montant de l’ordre de 5.5 millions d’euros.

Le 13 juin 2022 : Mise en place d’une ligne de financement en fonds propres d’un montant maximum de 50 millions d’euros.

Le 21 septembre 2022 : Mise en place d’une ligne de financement obligataire convertible d’un montant brut maximum de 21.5 millions d’euros.

Notons qu’au fil des cagnottes et de l’approche d’investisseurs étrangers (LDA Capital LTD, Tortola), le drapeau tricolore d’Hopium se teinte des couleurs des Îles Vierges Britanniques. Une région mieux connue pour sa fiscalité que pour son hydrogène naturel. Mais les nouvelles sont bonnes et la société se développe à l’international via des filiales en Allemagne et aux États-Unis. HOPIUM SA créée en Californie, la société UNA BLOCKCHAIN INC qui sera constituée à terme « d’une équipe de spécialistes, le projet d’Hopium est de doter la Māchina des dernières technologies et de contribuer à apporter une réponse pertinente aux enjeux de développement durable du secteur automobile dans sa globalité ». Le rapport d’activité 2021 fait part du capital de cette filiale : 8,2 € ! A moins d’une lourde faute de frappe de nature à sidérer un comptable sérieux, il y a bien là de quoi impressionner un banquier. Cette entité apparaît dans divers PV d’assemblée sous forme d’une société de droit Américain, inscrite au Delaware. Un autre état ou l’air et la fiscalité sont bleu-blanc-rouge.

Vu d'ici, une Blochain Américaine, ça en impose... - Capture d'écran
Vu d'ici, une Blochain Américaine, ça en impose... - Capture d'écran

Le spectre d’un achat ?

A ce stade, toujours rien d’étonnant à ce que le Crédit Agricole verse son petit milliard et plus, quand bien même il n’existe qu’une seule et unique voiture dans la corbeille de la mariée. Qu’importe puisque : « la présentation de l’HOPIUM Machina s’est accompagnée d’une pré-commercialisation des 1.000 premiers exemplaires au tarif de réservation de 410 euros, en référence au spectre lumineux de l‘hydrogène » .

Hopium s’en félicite : « La totalité du carnet de commande était réservée dès septembre 2021 ». Notons à ce titre qu’il doit sûrement être plus simple pour un constructeur Français de recourir à une plateforme de réservation basée à San-Francisco.

Réserver une Māchina : un principe atomique ! - Capture d'écran
Réserver une Māchina : un principe atomique ! - Capture d'écran

Pour ce qui est des futures entrées d’argent : « La réservation de 1.000 véhicules permet d’envisager un chiffre d’affaires embarqué de 120 millions à l’horizon 2025. Le montant de ces précommandes s’élève à 410 k€ au 31/12/2021 ».

Hier encore estimé à 410 € en référence au spectre lumineux de l’hydrogène, le montant des prochaines pré-réservations se trouve désormais conditionné aux 656 € de « la longueur d’onde atomique de l’hydrogène ».

La banque du pari agricole

Stéphane Priami du C.A et Olivier Lombard: une poignée de main à 1.2 milliard - Capture d'écran
Stéphane Priami du C.A et Olivier Lombard: une poignée de main à 1.2 milliard - Capture d'écran

Avec autant de précommandes en poche, Hopium rassure pleinement les investisseurs potentiels. La lecture du rapport annuel financier finit de lever les derniers doutes sur la santé financière de cette jeune entreprise. En effet « la Société a procédé à une revue des risques  » qui repose sur l’analyse conjointe de la probabilité de voir se réaliser le risque et l’ampleur estimée de son impact négatif. Les résultats annoncés à propos des Risques financiers imposent la confiance. Risque de liquidité : élevé ; risque lié aux besoins de financement complémentaires : élevé ; risque lié aux pertes futures : élevé.

La société maitrisant son sujet n’omet pas d’évoquer « la faiblesse actuelle du maillage de stations hydrogène » . Elle déplore la situation et prévient des impacts possibles: « Si le développement du maillage de stations hydrogène devait se faire moins rapidement qu’envisagé par la Société, ou de façon moins dense dans les zones ou Hopium envisage de commercialiser son véhicule, cela pourrait avoir un impact défavorable sur l’activité de la Société, son chiffre d’affaires, sa situation financière, ses résultats et ses perspectives de développement ». Mais bien dans son projet, la société propose une solution propre à tranquilliser les plus inquiets : « Hopium envisage la possibilité de déployer son propre réseau de stations ». Il suffisait d’y penser.

Résumons-nous : une start-up pré-naissante, des résultats d’exploitation dont l’exercice clos le 31 décembre 2020 se traduit par un déficit de 792.426 € et de 8.033 € en 2021, aucune voitures livrées avant 2025, un carburant dont la volatilité pose des problèmes de stockage dans les réservoirs et qui, pour l’heure, ne compte qu’une poignée de stations de ravitaillement sur tout le territoire, oui vraiment, tout est en place pour attiser la convoitise du plus tricolore des banquiers. L’attestation du commissaire aux comptes rapportant de façon légale « la rémunération versées aux cinq personnes les mieux rémunérées dans l’entreprise » laisse présager que le meilleur reste à venir : au 31 déc. 2021, cinq dirigeants anonymes se sont partagé 776.264 € .

155.253 € par tête. La loi impose de ne pas citer les bénéficiaires…  - Capture d'écran
155.253 € par tête. La loi impose de ne pas citer les bénéficiaires… - Capture d'écran

Ce sera donc une enveloppe de 1.2 milliard qui viendra abonder l’avenir d’Hopium. Cette manne fera dire au fondateur d’Hopium : « Je remercie les équipes du Crédit Agricole Consumer Finance de leur confiance avec cette commande inédite de 10.000 Hopium Māchina. Cette annonce, qui intervient en clôture du Mondial de l’Auto, est un signal fort qui réaffirme le rôle central de l’hydrogène dans la mobilité de demain » .

Stéphane Priami, le Directeur Général de Crédit Agricole Consumer Finance se montre tout aussi ravi: « Nous sommes fiers de soutenir un constructeur français de véhicules à hydrogène comme Hopium et ainsi de contribuer à la transformation vers une mobilité verte dont le Crédit Agricole veut devenir le leader en France et en Europe » .

Le Président du Conseil d’Administration d’Hopium confirme: « Nous nous réjouissons de ce protocole d’accord avec un partenaire financier de premier rang. Cela permet de renforcer la stratégie commerciale avec une commande prévisionnelle à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Cela participe du renouveau industriel français et européen dans la production de véhicules propres » . Mais qui donc est ce président du conseil… lui qui semble si bien connaître les partenaires financiers de premier rang ?

Pilote au volant, ministre au tournant...

Djebarri aussi : d’abord ministre, et ensuite vendeur d’Hopium.   - Capture d'écran/Reflets
Djebarri aussi : d’abord ministre, et ensuite vendeur d’Hopium. - Capture d'écran/Reflets

Cette euphorie radieuse émane de Jean-Baptiste Djebbari, l’ex-secrétaire d’état et ministre délégué aux transports. Il est aujourd’hui à la tête du conseil d’administration d’Hopium. Sous le gouvernement Castex il avait assisté la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, sur le projet de loi de finance 2021 lié à l’environnement. A cette époque M. Djebbari avait un avis assez tranché sur le rôle de l’électricité dans le transport routier : « La philosophie qui préside à tout cela n’est pas de faire de l’électrique partout et pour tous les usages, mais bien d’agir dans une complémentarité des modes d’énergie en fonction de ce qu’il s’agit de propulser. Si je caricature un peu, l’électrique a plutôt vocation à propulser du léger, de l’urbain, éventuellement sur de la moyenne distance, puisque nous constatons aujourd’hui qu’avec une autonomie de 400 à 500 kilomètres pour les modèles les plus performants, le niveau d’autonomie est suffisant pour donner confiance et développer un marché » .

Déjà il ne tarissait pas d’éloges pour une autre source d’énergie : « …s’offrent aussi à nous des enjeux d’avenir, notamment grâce au saut technologique apporté par l’hydrogène. Dans ce domaine, en effet, près de 1.000 millions de tonnes d’hydrogène sont fabriquées en France, dont 95 % issues du vapocraquage de produits fossiles de l’industrie. Si nous pensons – et nous le pensons – que, demain, l’hydrogène peut fournir une énergie satisfaisante pour la mobilité et d’autres usages, il faudra en produire massivement, probablement de façon décentralisée et décarbonée ».

Et quand il s’agit de trouver des fonds pour faire avancer la République, un ministre sait à quelle porte frapper: « Nous sommes dans un _momentum politique » intéressant, puisque nous disposons tout à la fois de très importants soutiens publics – 7 milliards d’euros sur dix ans –, d’un plan européen en miroir du plan français, d’un marché pertinent, celui de l’Union européenne, porté par une notion nouvelle de développement d’une souveraineté économique industrielle européenne pour contrer nos concurrents chinois et américains _» .

Un ministre très rapide sur l’anneau de vitesse de Montlhéry - Capture d'écran
Un ministre très rapide sur l’anneau de vitesse de Montlhéry - Capture d'écran

Sitôt débarqué du gouvernement Castex, le 16 mai 2022, sitôt nommé président chez Hopium, le 21 juin 2022. Le ministre hyperactif avait quasiment devancé l’appel puisqu’il s’était rendu huit mois plus tôt, le 21 septembre 2021, sur le circuit de Montlhéry pour essayer le prototype Alfa 0 d’Hopium. Ce tour de chauffe se soldera par un salut presque prémonitoire à l’adresse d’Olivier Lombard : « Merci à toi, et à très bientôt ». Il louera les qualités du proto et l’honorera du titre de première voiture à hydrogène civile. Sans doute emporté par l’élan, il en oubliera la réalité d’une Toyota Mirai ou d’une Hyundai Nexo, qui, elles, étaient vraiment en vente libre.

Les remerciements d’Olivier Lombard pleuvent: « Ce soutien du ministre est une formidable récompense pour l'ensemble des collaborateurs qui se mobilisent au quotidien pour réussir ce projet d'avenir ».

Le ministre lui éclaire la route en retour : « C'est l'histoire de l'automobile française qui continue avec la décarbonations et l'usage de l'hydrogène. Un produit français qui a vocation à ouvrir une nouvelle page de l'histoire de l'automobile avec des collaborateurs extrêmement motivés. Une motivation qui parait contenir tous les ingrédients d'un succès à venir… ». Quelques mois plus tard, mais pourtant toujours en poste au gouvernement, le ministre Djebbari se verra officieusement intronisé au sein du conseil d’administration d’Hopium.

Un ministre désireux particulièrement désiré. - Capture d'écran
Un ministre désireux particulièrement désiré. - Capture d'écran

Cet empressement fut moyennement apprécié de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui s’empressa de rappeler que l’accès aux pantoufles ministérielles s’accompagnait encore de quelques principes élémentaires. La commission statuera en conséquence et rendra un avis de compatibilité avec réserve. La HATVP dressera la liste des personnes auprès desquelles l’ex-fonctionnaire d’état « devra s'abstenir de toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, avec des membres du gouvernement qui l'étaient en même temps que lui, des membres de son cabinet et ceux des ministres successivement chargés de la transition écologique, tant qu'ils occupent encore des fonctions publiques, des services dont il dispose en tant que ministre délégué chargé des Transports… » . Le tout pour trois ans à partir de la cessation des relations de travail. Une longue peine pour qui a travaillé en tant que secrétaire d’état avec une ex-ministre des transports, ex-ministre de la transition énergétique, aujourd’hui devenue première ministre.

Il est aussi vrai que le futur congédié du gouvernement semblait avoir urgemment besoin d’une reconversion professionnelle. Comme en témoigne cette précédente délibération, datée du 5 avril 2002, où la HATVP avait cette fois-ci posé son véto : « Compte tenu des risques déontologiques substantiels relevés, qu’aucune réserve n’est susceptible de neutraliser, le projet de Monsieur Djebbari est incompatible avec les fonctions gouvernementales qu’il a exercées au cours des trois dernières années ». Il faut reconnaître que le ministre des transports n’y allait pas avec le dos de la cuillère en visant la présidence d’un pôle spatial au sein du groupe : « CMA CGM, dont le chiffre d’affaires consolidé est de plus de 55 milliards d’euros, l’une des principales entreprises mondiales du transport maritime en conteneurs. Il propose en outre des prestations de transport intermodal combinant les transports maritime, fluvial, ferroviaire et routier. Depuis peu, le groupe est également présent dans le secteur du fret aérien et développe des activités dans le secteur spatial, ainsi qu’il ressort d’un partenariat récent entre le CNES et le groupe CMA CGM, qui envisage également de concevoir un véhicule orbital avec Thalès et le CNES » . Oublions les hautes sphères de ce méga-complexe industrialo-mondial pour revenir sur terre, Hopium, c’est déjà bien.

Et puis il va sans dire que ce nouveau boulot ne présente aucun risque d’interférer avec le précédent mandat du ministre. La preuve, en tant que président d’Hopium « Monsieur Djebbari travaillerait également à identifier, mettre en place, et participerait à des initiatives stratégiques créatrices de valeurs pour la société, notamment des acquisitions, des joint-ventures, ainsi que des investissements clés. Il contribuerait ainsi activement à élargir et à approfondir les relations de la société avec des partenaires stratégiques, à développer des relations de confiance avec le monde institutionnel et à nouer des alliances solides avec des parties prenantes dans des pays d’importance critique pour la société » .

Ces nouvelles tâches sont à l’évidence très éloignées des propos tenus par le ministre Djebbari en 2021, alors qu’il s’exprimait sur les 7 milliards d’aide d’État en faveur de la filière hydrogène : « Il y a une révolution de l’électrification des transports et elle inclut l’hydrogène, qui en découle. Notre pays, avec son énergie bas carbone, peut se doter là d’avantages compétitifs à l’échelle planétaire. Cela va bien au-delà du train. Pour moi, l’hydrogène est un chemin d’avenir pour décarboner les mobilités lourdes. La technologie commence à être mature pour les trains, les bus. Pour l’aviation, il faudra encore attendre une décennie… » .

Un café, un pilote, un ministre, what else ?

Fort de sa jeunesse et de son coup de volant sur circuit, Olivier Lombard n’est pas du genre à ignorer l’expérience d’hommes d’âge mûr lorsqu’il s’agit de négocier des contrats. Au gré de son investissement personnel au sein d’une société de spectacle, il en viendra même à partager la présidence du conseil de surveillance du -Bal du Moulin Rouge- avec François Bolloré ; un cousin direct, mais moins médiatique que Vincent. L’épopée des Autolib’ parisiennes à moteur électrique pourrait peut-être donner matière à réfléchir aux dirigeants d’Hopium.

Dans la queue de comète auréolant la création d’Hopium, et sous forme d’actionnariat plus ou moins affiché, on retrouve également trace de quelques célébrités issues du monde de la finance comme Benoist Grossman (CEO d’Eurazéo et président de France-Digitale) ou du secteur de l'évènementiel comme Franck Attal (Event & Cie : l’affaire bygmalion en 2012). Plus récemment se sont rassemblés autour de la Māchina des as de la stratégie commerciale, des conseils en communication, des hommes d’affaires passant sans faillir de la gestion des placements boursiers en ligne à la prospection immobilière. Nous ne retiendrons qu’un seul membre issu de l’organigramme de la société: Pascal Chevalier. Il fut administrateur d’Hopium dès décembre 2020 avant d’être « appelé à exercer d’autres fonctions » en 2021.

Pourquoi lui ? Parce que Pascal Chevalier coche toutes les cases et n’est pas vraiment un inconnu ni des affaires, ni de la bourse, ni de la presse, et encore moins de la sphère ministérielle. Il dirige, entre autre et parmi un bouquet d’entreprises diverses et variées, Reword-Media, l’un des plus importants groupes de presse magazine en France (Franck Attal précédemment cité fait d’ailleurs partie de l’équipe dirigeante). Dans son giron se trouvent trois titres essentiels du monde de l’automobile (Auto Plus, l’Auto-Journal et Sport Auto). Des supports pour le moins dédiés où des « chargés de contenus » pourront être amenés à s’exprimer en toute objectivité sur les valeurs d’une Māchina.

En 2019 il fut élu homme des médias dans une soirée parrainée par le ministère de la culture. Festivité au cours de laquelle Frank Riester, le ministre idoine, fut lui même consacré homme de l’année. Au hasard des rencontres, il sympathisera avec Cedric O, le secrétaire d’Etat chargé de la transition numérique venu lui rendre visite en son royaume. Les liens seront encore plus étroits avec Fleur Pellerin, une autre ex-ministre de la culture, qui fera son nid au sein du groupe de Pascal Chevalier en intégrant le directoire de Reword-Média.

Une exception à la règle viendra du côté de Roselyne Bachelot qui s’est refusée à encenser la stratégie de management de Pascal Chevalier alors qu’il venait de percevoir 33 millions d’aides publiques pour pallier les effets du Covid.

Pascal Chevalier, un financier de la presse de contenus - Capture écran
Pascal Chevalier, un financier de la presse de contenus - Capture écran

Démissionnaire en juin 2021, Pascal Chevalier reste cependant actionnaire du groupe. A ce jour il détient une participation, en son propre nom ou sous couvert d’une société amie (CPI), de près de 16.5% du capital d’Hopium.

Et au pire, si ça ne va pas…

Pascal Chevalier « appelé à exercer d’autres activité » a donc quitté son poste tout en laissant ses valises dans le coffre de la Māchina. Il est certain qu’un tel projet à bâtir sur le long terme doit réclamer un engagement personnel constant et régulier. Heureusement les statuts de la société précisent que le mandat de chaque administrateur se clôture au bout de trois années. Les derniers entrants en 2022 devront donc se repositionner ultérieurement pour continuer, ou pas, l’aventure. Aventure qui s’annoncera passionnante puisque que 2025 sera justement l’année où devraient être livrées, ou pas, les premières Māchina.

Quand on lui parle de son éventuel retour aux 24h du mans, Olivier Lombard se projette dans son rêve à lui: « J’aimerais remporter la compétition et, pourquoi pas, au volant d’une voiture Hopium adaptée pour l’événement à l’horizon 2030 » .

Drive beyond : Conduire vers l’infini et au-delà... - Reflets
Drive beyond : Conduire vers l’infini et au-delà... - Reflets

A bien y réfléchir, et au su des capitaux Européens et des dizaines de milliards censés venir prochainement soutenir la cause écologique, il n’est pas si étonnant de voir un banquier se ruer sur ce type de projet. Premièrement parce que le paiement des 10.000 véhicules précommandés s’échelonnera en plusieurs versements pour alléger la créance. Et parce que prendre le volant d’une auto de salon pour mieux se retrouver un jour ou l’autre aux commandes d’une flotte de camions H2O, d’une escadrille d’avions à piles à combustible, d’une flotte de porte-conteneurs hybrides ou d’un escadron d’électrolyseurs d’hydrogène vert, n’est peut-être pas un si mauvais calcul.

Encore serait-il bon de bien préciser les contours et la destination d’un tel placement pour éviter la déconvenue des petits porteurs ou les grandes désillusions des conducteurs de Māchina. Enfin il serait souhaitable de se rendre aux évidences premières qui n’ont que faire du cours de la bourse ; si la nécessité et la raison l’emportent la voiture individuelle de demain sera plus légère et infiniment moins puissante. Encore faudrait-il que la recherche ne s’encombre plus des envies des uns ou de l’intérêt des autres. Mais là, chuuut, impossible d’en dire davantage, secret des affaires…

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