Des nouvelles de la nébuleuse Sarkozy-Kadhafi
En marge du dossier libyen, l'affaire du Benghazi Medical Center jugée à Paris
L’équipement de l’hôpital libyen a servi de monnaie d’échange pour la libération des infirmières bulgares à l’été 2007. Son financement a été ordonné par les plus hauts cercles de l’État, puis l’Agence française de développement a servi d’intermédiaire vers la société IMPE, toutes deux mises en cause aujourd’hui avec leurs dirigeants, pour favoritisme et recel de favoritisme.
Nous vous en parlions déjà ici en février, lors du procès de Nicolas Sarkozy dans l’affaire libyenne : les mécanismes de financement du Benghazi Medical Center (BMC) ont fait l’objet d’une enquête du Parquet national financier, déclenchée par les révélations de Jacques Duplessy en 2014 dans le Canard Enchaîné – une investigation censurée au préalable par Le Point.
Flash back : selon la version officielle, peu après l’élection présidentielle de 2007, l’Élysée a réussi, à force de diplomatie - et grâce à l’intervention de Cécilia Sarkozy en personne - à négocier la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien retenus par le régime libyen.
En contrepartie de ces libérations, la France s’est aussi engagée, plus discrètement, à fournir les équipements médicaux du BMC, l’immense hôpital universitaire de Benghazi, avec une capacité de 2.000 lits, construit dans les années 80 et qui n'avait pas, jusque-là, commencé à fonctionner.
Un an après, pressé par le régime Kadhafi de tenir son engagement, le gouvernement français charge la société Ideal Medical Products Engineering (IMPE) d’équiper le BMC. L’État finance la première tranche d’équipements de l’hôpital par le biais de l’Agence française de développement (AFD). Mais pour ce gros contrat de 30 millions d’euros, aucun appel d’offre n’est lancé. L’instruction ayant écarté les soupçons de corruption et de détournement de fonds publics, reste maintenant au tribunal à déterminer si ce contrat était un marché public, qui aurait dû être soumis à des obligations de concurrence, ou une subvention déguisée. À l’époque, les services juridiques de l’AFD avaient d’ailleurs émis les plus vives réserves sur le risque encouru, sans conséquence.
Un ordre donné par Guéant
Jean-Michel Severino, ancien dirigeant de l’AFD, explique à l’audience que les ordres étaient donnés par Claude Guéant – alors secrétaire général du président Nicolas Sarkozy – qui l’avait convoqué tout exprès à l’Élysée. L’ancien fonctionnaire précise que Boris Bouillon, alors conseiller à la présidence et en charge de ce dossier « avait déjà eu des échanges à ce sujet avec le ministère des affaires étrangères, et avec IMPE ».
Et Guéant, enfin, lui aurait indiqué que la société chargée de l’opération avait été choisie par l’Etat. « Il n’y avait aucun projet de développement…c’était une contrepartie de la libération des infirmières bulgares » lâche Jean Michel Severino, qui précise : « « et il fallait faire vite » ». Un argument repoussé par la procureure qui pointe une « époque ou ne comptait que la volonté, pas la règle de droit ».
Alors que tout le monde est d’accord sur le déroulé des faits, la question se pose du caractère licite de la procédure. Le transfert de ces 30 millions d’euros est-il une subvention ou un marché public soumis à appel d’offres ? Cette absence de mise en concurrence relève-t-elle du favoritisme ? Autre question : le tribunal peut-il juger des actes issus d’une décision diplomatique du gouvernement ?
Les débats s’enlisent alors un long moment dans des arguties techniques et juridiques complexes sur la notion de favoritisme, la défense avançant aussi que la raison d’État et l’urgence de la situation prenaient alors le pas sur les règles habituelles de passation des marchés public, et que, vu la date, les faits seraient prescrits.
La procureure, après une somme de références à la doctrine et à la jurisprudence, qualifie au passage l’affaire de « grenouillage dans les plus hautes instances de l’État » avant de requérir un million d’euros d’amende pour l’IMPE ; six mois de prison avec sursis assorti de 50.000 euros d’amende pour son dirigeant de l’époque Olivier Carli ; 150.000 euros d’amende contre l’AFD ; six mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende contre son ancien dirigeant Jean-Michel Severino.
« On a payé une rançon »
Pour leur défense, Jean-Michel Severino, l’ancien dirigeant de l’AFD, et Olivier Carli, l’ex-patron de la société IMPE, expliquent qu’ils n’avaient pas d’autre choix que celui d’exécuter la mission que l’État leur avait confiée : « pour moi c’est l’état français ou l’état libyen… on ne se pose pas de question » tranche Olivier Carli. Pour son avocat, Me Poynard, l’affaire peut se résumer très simplement : « sans langue de bois : on a payé une rançon ».
A la fin de son réquisitoire la procureure a rappelé que Olivier Carli, ex-patron d’IMPE est également poursuivi pour des faits de corruption en Roumanie. Condamné en appel en décembre, il s’est pourvu en cassation.
En revanche, il n’a jamais été question du lien qui pourrait être fait entre l’affaire de l’hôpital de Benghazi et deux faits divers : l’agression de Jean Dufriche, consul de France, blessé par balle en 2013, et le meurtre de Patrice Réal, agent de sécurité du BMC, en 2012. Ce possible lien avait été, lui aussi, révélé lors de notre enquête, en février dernier.
L’affaire a été mise en délibéré au 2 octobre, la décision du tribunal interviendra donc peu après celle sur l’affaire du financement, par la Libye, de la campagne de Nicolas Sarkozy.