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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Avisa Partners : les gendarmes en vacances

Sont-ils partis à Saint-Tropez pour préparer le Forum international de la cybersécurité ?

La gendarmerie nationale n'a toujours pas trouvé quelqu'un qui puisse s'exprimer sur ses liaisons avec Avisa Partners pour l'organisation du FIC. Tout le monde est en vacances, et en plus, c'est la période des mutations. Merci de rappeler en septembre, nous explique-t-on.

Louis de Funès dans le rôle du gendarme Ludovic Cruchot, près de la gendarmerie de Saint-Tropez, en 1978. - Rolf Gebhardt - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Les révélation s’enchaînent sur Avisa Partners. Fakir, Mediapart, Reflets, Marianne, Arrêt sur Images, la presse aligne les informations qui dressent un tableau très noir de cette entreprise « d’intelligence économique ». Arrêt sur Images en vient même à décrire ses activités comme l’une « des plus grandes opérations de désinformation contre rémunération du 21e siècle ». Reflets, de son côté, mettait à jour une communauté de pensée entre Avisa, ses dirigeants et ce que l’extrême droite produit de pire en France depuis des décennies. L’image de l’entreprise est très sérieusement écornée. Depuis 2013, elle co-organise avec la gendarmerie nationale le Forum international de la cybersécurité. Personne n’a rien vu venir ? Qui a pris la décision chez les pandores, de s’associer avec une entreprise de ce type ? Personne n’a pensé à faire un peu de « due dilligence » ? Vous le saurez, peut-être, à la rentrée, parce que là… Il n’y a personne pour répondre à nos questions.

En 2007, à l'instigation du général Marc Watin-Augouard, la gendarmerie lance le Forum international de la cybersécurité avec l’aide financière de la région Hauts-de-France. Cette réunion d’experts en sécurité informatique se tiendra dès lors chaque année à Lille. En 2013, la Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique (CEIS), qui sera par la suite absorbée par Avisa Partners, commence à co-organiser l’événement. Alors que les premiers articles décrivant les méthodes d’Arnaud Dassier, l’un des actionnaires d’Avisa Partners, datent de 2003, alors que le Journal du Net, sous la plume de Nicolas Arpagian (ici, ici, ici et ), mettait en lumière dès 2013 les agissements d’iStrat/Avisa Partners, personne, dans la communauté de la sécurité informatique n’a tiqué. Ni les gendarmes, ni l’ANSII, ni Hexatrust, ni les dizaines d’experts en sécurité informatiques qui se sont pressés au FIC au fil des ans. Ces derniers sont excusés, on ne peut pas tout lire et être au courant de tout. Mais les gendarmes ? L’ANSSI ? Hexatrust (« les champions du cloud computing et de la cybersécurité ») qui accueille la CEIS mais aussi Ercom, un fleuron français de la vente d’outils d’interceptions à des dictatures et des États policiers ? Personne n’a rien vu ?

Les membres d'Hexatrust - Copie d'écran
Les membres d'Hexatrust - Copie d'écran

Lorsque nous avions publié notre article sur les liens entre Avisa, Arnaud Dassier et la galaxie de site et de personnes liées à l’extrême-droite, nous avions contacté la gendarmerie. Nous voulions savoir pourquoi l’institution s’était alliée à Avisa Partners, dans quelles circonstances ? Qui a pris la décision ? Quelles sont les retombées financières éventuelles du FIC et comment elles se répartissent entre les organisateurs ? Nous avions une longue liste de questions. Le service de presse de la gendarmerie nous avait indiqué rechercher un interlocuteur mais ne garantissait rien dans les délais imposés par la publication de notre article. Un peu trop court alors que nous sommes en période de vacances et de prises de postes (les mutations). De fait, nous n'avions pas eu de nouvelles.

Pour qui connaît le monde de la sécurité informatique, ce n’est pas la première fois que ce dernier s’égare et est totalement incapable de faire le ménage en son sein. Citons les affaires Tegam, Amesys, Qosmos, Ercom… Rien n’a vraiment changé dans l'écosystème depuis que la presse a révélé ces scandales.

La maison brûle à nouveau en cet été caniculaire. Avisa Partners, le co-organisateur de l’un des événements les plus prisés de la sécurité informatique est pris la main dans le sac : il s’adonne à la désinformation en masse. Et pourtant, la désinformation a souvent été au cœur d’interventions au FIC. L’OTAN, l’UE, l’ANSSI et de nombreuses institutions apportent par ailleurs leur imprimatur au FIC et à ses co-organisateurs par leur simple présence.

"Personnalités" de l'édition  2022 - Copie d'écran
"Personnalités" de l'édition 2022 - Copie d'écran

Au sein même d’Avisa Partners, la Banque Populaire, actionnaire via Rives Croissance, mais aussi les clients, tous contribuent à lisser l’image de l’entreprise. Matthieu Creux, l’un des co-fondateurs avait d’ailleurs ces mots très pertinents et candides en février dernier : « il s’agissait aussi de valoriser notre entreprise, de faire venir des auditeurs et des investisseurs de tous horizons et casser une certaine image un peu vieillotte de l’intelligence économique, toujours un peu sulfureuse vue de l’extérieur. Avisa Partners travaille pour les plus grandes entreprises du monde, les plus belles start-ups, des fonds d’investissement, et nous avons des contrats majeurs avec l’État français, l’un de nos premiers clients. » Une activité « sulfureuse » vue de l’extérieur (et peut-être aussi de l’intérieur vues les révélations de ces dernières semaines) mais qui attire tout de même l’État français et séduit la gendarmerie ?

Recontacté après publication de notre article sur les liens d’Avisa et la galaxie d’extrême-droite, le service de presse de la gendarmerie, un peu surpris de notre nouvel appel, nous a renvoyé à septembre car en cette période de vacances et de mutations, il est définitivement impossible de nous trouver un cybergendarme pour nous parler. Ils sont tous à Saint-Tropez ?

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