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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Anonymat sur Internet : ce fantasme instrumentalisé sans vergogne

Les dérives sont le fait des humains, pas des réseaux sociaux ou le fruit de l'anonymat

Au moindre fait divers auquel Internet est mêlé, les politiques et toutes les pseudo-autorités morales s'insurgent : ils blâment le réseau, les réseaux sociaux et un supposé « anonymat ». Pourtant, derrière la haine, il y a des humains, pas des machines...

Identification de l'adresse de terroriste

Depuis la tête de l'État jusqu'aux plus obscurs politiques, en passant par tous ceux qui s'érigent en autorité morale, tous réclament depuis des lustres « la fin de l'anonymat sur Internet ». Jean Castex avait qualifié le 15 juillet 2020 l’anonymat des réseaux sociaux de « choquant ». Pire, le premier ministre s'enflammait : « Les réseaux sociaux c’est le régime de Vichy : personne ne sait qui c’est ! (...) On peut vous traiter de tous les noms, de tous les vices, en se cachant derrière des pseudonymes. ». En 2019, Emmanuel Macron expliquait quant à lui, être favorable à « une levée progressive de toute forme d’anonymat » sur Internet. Il faut « réguler les torrents de boue qui se déversent sur les réseaux sociaux », avait expliqué le président LR du Sénat, Gérard Larcher. Pour le député LREM du Rhône Bruno Bonnell, il faudrait lutter contre les « déviances que l’anonymat cautionne, comme la calomnie ou la diffamation ». L'assassinat de Samuel Paty a été une occasion pour tous les politiques de remettre une pièce dans ce juke-box (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Jean-Michel Blanquer, ...). Bien sûr, le rôle des plateformes ne peut être écarté. L'hystérisation sur les réseaux sociaux et particulièrement Youtube, du cours sur la liberté d'expression de Samuel Paty a contribué à désigner ce professeur comme une cible pour le terroriste. Mais l'enquête a largement démontré que personne n'était anonyme. Ni le tueur dont les policiers ont trouvé tous les comptes sociaux, quel que soit le pseudonyme utilisé. Ni Brahim Chnina qui, sur la base des mensonges de sa fille, a jeté en pâture Samuel Paty à tous ceux qui estiment qu'un dessin peut mériter, au mieux une bastonnade, au pire, la mort. Ni Abdelhakim Sefrioui, vieux routier du salafisme en France, connu de tous les services de renseignement et de police...

L'infrastructure technique du réseau Internet empêche toute forme d'anonymat durable. Au mieux, il permet le pseudonymat. Mais il est plus facile de rester anonyme en distribuant un tract, signé d'un pseudonyme, dans la rue que de rester anonyme sur Internet en utilisant un pseudo.

Nous avions déjà expliqué tout cela dans cet article titré « Anonymat sur Internet : le gros mensonge des politiques, qui ne résiste ni à l'analyse technique, ni à la réalité judiciaire » et dans lequel nous avions rendu ridicules tous les politiques qui appellent à la « levée de l'anonymat sur Internet » en à peine 18 paragraphes.

Dans cet article, nous avions démontré que toutes les solutions (Tor, VPN, etc.) présentées comme étant des moyens efficaces pour rester anonyme ne survivraient pas à une volonté affirmée et des moyens :

Mais nous vous voyons venir amis politiques avec vos arguments tirés d'un emballage Carambar. Et si, l'utilisateur est muni d'un VPN ? En effet, le VPN permet à l'utilisateur de se voir attribuer une adresse IP différente de celle qu'il utilise pour se connecter au réseau. GéGéDu92 va donc se voir attribuer une IP en Laponie alors qu'il est confortablement avachi dans le canapé, dans le salon de ses parents à Chambrois-Les-Lorettes. Ah ! Le voilà notre anonyme. Oui, mais non. Car si une procédure judiciaire était enclenchée pour savoir qui est ce GéGéDu92 qui insulte tout le monde depuis la Laponie sur notre réseau social préféré, sa véritable adresse IP serait révélée. Il suffit que les enquêteurs demandent poliment au fournisseur de VPN par la magie des réquisitions judiciaires. Pas du tout, nous rétorquerez-vous, avec la mauvaise foi qui vous caractérise, il y a des fournisseurs de VPN qui ne gardent aucune trace, c'est même leur argument commercial. Alors là, ce ne sont pas des connaissances techniques qui vous font défaut. Vous avez des lacunes en entrepreneuriat de base. Comment croyez-vous que le fournisseur de VPN « qui-ne-garde-aucune-trace » fait pour facturer GéGéDu92 ?

À ce stade, un peu en manque d'arguments, et sentant approcher le moment où vous allez être ridicules, les plus hardis d'entre-vous vont s'aventurer sur le terrain du darkweb des tréfonds du Net. On vous voit venir... Il nous semble inutile de barber le lecteur avec des arguments qui ont été largement développés ailleurs sur le site. Nous allons donc vous renvoyer sur nos articles traitant de la désormais star d'Internet, l'Agence H. Tor n'est pas une garantie d'anonymat. La preuve, l'Agence H est devenue célèbre alors que son employé voulait justement rester anonyme en utilisant ce réseau. Une vraie réussite, digne d'un discours de Marlène Schiappa.

Ce que met en évidence l'épisode gaguesque de l'Agence H, c'est qu'aujourd'hui, prenez-en note, amis politiques, à part quelques informaticiens de talent, il est quasiment impossible pour un utilisateur lambda de rester anonyme plus de quelques instants sur Internet.

Bien entendu, il en restera toujours quelques-uns parmi vous qui voudront à tout prix prouver, explication techniques complexes à l'appui que l'anonymat est de mise sur Internet. N'hésitez pas, dans ce cas, un opérateur Reflets prendra alors votre demande en compte et se chargera de vous transformer d'un coup de clavier magique en clown du Net pour l'éternité.

En d'autres termes, si les autorités souhaitent véritablement trouver qui se cache derrière un pseudo ou une adresse IP, elles y parviendront. La corrélation est l'ennemi de celui veut rester anonyme. Celui qui a accès aux milliards de traces que nous laissons à chaque instant sur le réseau peut, par corrélation, nous désanonymiser. Évidemment, ce type de méthode ne sera pas déployé pour un cyber-vol de Carambars. Mais qui sait ce que l'avenir nous réserve ? Le développement hyperbolique de certaines technologies comme la biométrie, les systèmes d'exploitation de moins en moins transparents et de plus en plus communicants, les masses de données collectées par de puissants acteurs privés comme Google, Apple, Amazon ou Facebook, sont autant de monumentales menaces contre le pseudonymat. Pour ne pas dire contre le droit à une vie privée. Ne parlons même pas des programmes mis en place par les services de renseignement pour collecter nos données personnelles.

Il y a encore des choses pour lesquelles les machines ont besoin des humains
Il y a encore des choses pour lesquelles les machines ont besoin des humains

Mais dans le discours des politiques et autres autorités morales auto-proclamées, il y a un point qui est particulièrement problématique. Ce n'est pas le réseau, ce ne sont pas « les réseaux sociaux » qui produisent la haine, la violence, le harcèlement. Ce sont des humains. Avant de tenter de trouver des réponses techniques ou des moyens de « modération » pour ce qui se passe sur le réseau ou les réseaux sociaux en termes de haine, il faudrait sans doute essayer de travailler sur les humains qui la déversent. Quel processus mène une personne à proférer des menaces de mort, souvent contre des gens qu'elle ne connaît pas, sur la base de conflits n'ayant aucun intérêt intellectuel... Voilà un mystère qu'il faudrait résoudre si l'on veut avancer.

Interview à Europe 1 accordée par Gérald Darmanin qui évoque la haine en ligne et les fatwas...

Dans une dystopie dont rêvent nombre de politiciens, il serait assez simple de mettre en place des « sondes » qui arpentent le réseau à la recherche de menaces de mort, d'appels à la violence, de corréler tout cela avec les identités de ceux qui les professent, de passer leurs identités à la moulinette des bases de connaissances des services de police et de renseignement, bref, de prévenir nombre de passages à l'acte. Mais est-ce de ce monde-là dont nous rêvons ? Ou d'une société apaisée, capable d'échanger paisiblement en vue de créer une intelligence collective plutôt que de la division ? En d'autres termes « faire société ».

Image du film Minority Report dans lequel les auteurs de crimes et délits sont arrêtés avant de les commettre
Image du film Minority Report dans lequel les auteurs de crimes et délits sont arrêtés avant de les commettre

L'attentat contre Samuel Paty

L'assassinat sauvage de l'enseignant n'aurait jamais dû être instrumentalisé par les politiques pour relancer le débat sur le supposé anonymat sur les réseaux.

Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov ne faisait pas mystère de ses idées djihadistes sur ses comptes sociaux. Que ce soit sur Twitter ou ailleurs, même s'il utilisait des pseudos, ses écrits étaient explicites. Une fois l'enquête ouverte, les policiers ont interrogé toutes les plateformes et obtenu toutes les informations voulues, comme le révèle le dossier d'instruction consulté par Reflets.

Lorsqu'ils interrogent Twitter pour savoir qui se cache derrière le pseudonyme @Tchetchene_270, utilisé par le tueur pour revendiquer l'assassinat, le réseau social transmet toutes les informations nécessaire et notamment, l'IP correspondant à une box SFR. Les policiers identifient immédiatement cette box comme étant celle des parents du tueur.

La vidéo tournée par Bahim Chnina, sa fille et Abdelhakim Sefrioui, avait été signalée par des internautes à la plateforme Pharos, les numéros de téléphones des deux hommes apparaissaient à la fin de la vidéo, c'est dire si personne ne recherchait l'anonymat...

Fin de la vidéo de Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui
Fin de la vidéo de Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui

Mais qu'importe, la stigmatisation de technologies mal comprises est sûrement plus porteuse pour les politiques que de réfléchir à l'échec, en tant que société, que représente un attentat ou l'expression d'une haine de tout et de tous.

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