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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Altice, le conte défait

Quand Patrick Drahi décrivait avec ses mots la chute possible de son groupe

Lors d'une émission de dette en 2021, le groupe listait les risques auxquels les futurs investisseurs allaient faire face. Etrangement, c'est exactement ce qui se profile aujourd'hui.

Extrait d'un des documents du projet "Bogosian" - © Reflets

Le groupe Altice a listé lui-même les conditions qui pourraient déclencher le feu nucléaire de la finance. En août 2021 Altice International émettait de la dette remboursable en 2029. Quelque 2,625 milliards en euros et en dollars. Au sein du groupe, ce projet est baptisé « Bogosian ». Dans un « Offering Memorandum » - un document de 662 pages - Altice décrit son offre aux investisseurs.

C'est barbant comme un document légal financier, mais intéressant pour comprendre comment le groupe qualifie lui-même le risque d'un investissement dans ses titres.

Nous vous parlions il y a quelques jours du « Système » et le la possibilité que Patrick Drahi soit lâché par ses créanciers, en période de hausse des taux, ce qui augmente considérablement les remboursements attendus de la part d'Altice, mais aussi au regard de l'enquête portugaise qui menace de s'étendre à d'autres pays.

Les investisseurs pourraient en venir à préférer un capitaine d'industrie ayant un vrai plan entrepreneurial.

La politique de prédation totale mise en lumière par l'enquête portugaise n'est en effet pas très engageante.

Bien qu'il s'agisse d'une précaution légale, la façon dont Patrick Drahi et ses troupes décrivent les risques liés à l'investissement dans la dette émise, conforte cette idée d'un débarquement du timonier. Il y a là comme une sorte de prescience.

C'est à la page 30 que démarre le descriptif des « facteurs de risque ». Il s'étend jusqu'à la page 97. Résumons...

Altice International, l'emprunteur, commence par décrire les risques liés à son profil financier : « L'importance de notre endettement pourrait avoir un effet négatif sur nos activités, notre situation financière et nos résultats d'exploitation et nous empêcher de nous acquitter de nos obligations liées à cette émission de titres ou entraver notre capacité à mobiliser des capitaux supplémentaires pour financer nos activités. »

Ça a le mérite de la franchise.

Organigrame du groupe Altice (juin 2022) - © Reflets
Organigrame du groupe Altice (juin 2022) - © Reflets

Le groupe va même jusqu'à estimer que son niveau de dette élevé pourrait bien le pousser à utiliser son cash flow (ce qui reste après les dépenses incontournables) pour rembourser la dette « réduisant ainsi les fonds dont nous disposons pour financer nos opérations, nos dépenses d'investissement, la recherche et le développement et d'autres activités commerciales, y compris le maintien de la qualité et la mise à niveau de notre réseau ». Bref, obérant toute politique de développement de la boite...

Que se passerait-il si l'entreprise était confrontée à l'un de ces risques ?

Elle serait obligée de vendre des bijoux de famille comme nous le suggérions ici : « Si nous ne sommes pas en mesure de faire face à nos obligations en matière de service de la dette, nous pourrions être amenés à vendre des actifs, à tenter de restructurer ou de refinancer notre dette existante ou à rechercher des financements supplémentaires sous la forme de dettes ou de capitaux propres. Nous pourrions ne pas être en mesure de le faire à des conditions satisfaisantes, voire pas du tout. »

Rassurant.

Autre souci qui pourrait amener Altice International à ne pas rembourser ces nouveaux titres : la dette existante, la nécessité de la refinancer et le risque que ce ne soit plus possible ou à un taux trop important.

« Notre capacité à refinancer notre dette à des conditions favorables, ou pas, dépendra en partie de notre situation financière au moment du refinancement envisagé. Tout refinancement de notre dette pourrait se faire à des taux d'intérêt plus élevés que notre dette actuelle et nous pourrions être tenus de respecter des engagements financiers et autres plus onéreux, ce qui pourrait restreindre davantage nos activités commerciales et avoir un effet négatif important sur notre entreprise, notre situation financière, nos résultats d'exploitation et nos perspectives, ainsi que sur la valeur des titres à émettre. Nous ne pouvons pas vous garantir que nous serons en mesure de refinancer notre dette à l'échéance à des conditions commercialement acceptables ou du tout ».

Comme nous l'indiquions dans notre précédent article, tant que l'argent coule à flots sur les marchés financiers, peu importe qui le reçoit et ce qu'il devient réellement. Aujourd'hui, la situation à changé et la vanne de l'argent gratuit (prêté aux institutions financières à taux zéro ou presque) a été brusquement fermée par toutes les banques centrales.

Dans ces conditions la situation financière d'Altice devient un vrai sujet d'inquiétude pour ses créanciers qui, au regard du grain de sable portugais, pourraient bien pousser Patrick Drahi, pris à la gorge, à prendre la porte. Le groupe serait ensuite dépecé. Il y a évidement toute une liste de précédents qui viennent à l'esprit... Jean-Marie Messier (Vivendi), Jean-Charles Naouri (Casino), Mario Conde (Banesto).

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