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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Altice doit 1,3 milliard d’euros à Armando Pereira, l’homme d’affaire accusé de malversations

Drahi tente de minimiser l’influence de Pereira sur le groupe

Patrick Drahi propriétaire d’Altice (SFR, BFM…) essaie de minimiser l’importance de l’homme d'affaires Armando Pereira mis en examen pour des malversations. Pourtant selon des documents issus des DrahiLeaks, Altice lui doit 1,3 milliards d’euros.

Patrick Drahi et Armando Pereira, les (anciens ?) meilleurs amis du monde - © Caroline Varon

Le groupe Altice, propriétaire de plusieurs sociétés de télécom dont SFR est dans la tourmente. Au creux de l’été, la justice portugaise plaçait en détention, Armando Pereira, l’homme avec qui Patrick Drahi a construit son empire. Il a depuis été relâché mais demeure assigné à résidence et mis en examen dans le cadre d’une affaire portant sur 11 délits de corruption et de blanchiment d’argent. 

Drahi prend immédiatement ses distances. Pereira n’était pas un proche, tout juste une connaissance. « Cette affaire a été un choc et une déception. Je me sens trahi et trompé. Si les suspicions du fisc se révèlent vraies, cela voudrait dire qu'un petit groupe d'individus a caché ses actions et profité de certaines de nos acquisitions au détriment d'Altice et de ma réputation. », explique-t-il aux créanciers cet été. Il laisse aussi entendre que la procédure n’aurait aucune incidence sur le groupe. Mais la stratégie de communication ne prend pas et Patrick Drahi est contraint de changer son fusil d’épaule. Il est prêt à vendre les bijoux de famille : le pôle médias, une partie du capital de SFR ou de l’opérateur portugais Meo seraient sur le marché… Visiblement, les créanciers que le milliardaire a réunis trois fois dans l’été ont fait passer un message clair : il faut vendre pour désendetter le groupe, sinon il sera vendu à la découpe dans des conditions moins favorables.

Selon nos calculs basés sur des documents internes, les DrahiLeaks, la dette cumulée du groupe Altice atteint quasiment 70 milliards d’euros. Comment une affaire de malversations portant sur environ 200 millions d’euros, un montant presque modeste au regard de la taille du groupe, peut-elle ébranler ainsi tout le groupe ? Surtout si, comme Patrick Drahi l’affirme Armando Pereira, n’a jamais été actionnaire direct d’Altice. Il a toutefois précisé que l’homme d’affaires portugais s’était vu attribuer un intéressement de 20 % indexé sur des investissements privés d’Altice. Explications.

Selon plusieurs documents issus des DrahiLeaks, il ressort qu’au termes d’un accord entre Patrick Drahi et Armando Pereira, ce dernier a une créance de 1,3 milliard d’euros sur le groupe. Une somme rondelette pour quelqu’un qui n’est pas « actionnaire » et que Patrick Drahi peine désormais à nommer. C’est une forme d’intéressement, comme un « management package », qui passe par un portage des actions de plusieurs sociétés par les entreprises du groupe. Juridiquement, en effet, Armando n’est pas actionnaire. Ses actions sont temporairement détenues par des entreprises d’Altice. Mais il touche quand même une part du pactole en cas de vente d’actifs.

Sommes dues par Next Alt Sarl à Armando Pereira - Copie d'écran, © Reflets
Sommes dues par Next Alt Sarl à Armando Pereira - Copie d'écran, © Reflets

Par exemple, lors de l’introduction en bourse d’Altice USA, Next Alt, société mère d’Altice vend 15 millions d’actions pour 396 millions de dollars. Quelque 86 millions sont rétrocédés à Armando Pereira, soit, 21,7% du total. Ce même type d’accord existe pour Sotheby’s ou la « participation » d’Armando Pereira dans Altice, maison-mère. Mais à chaque fois, les termes de l’accord permettent de dire que, juridiquement, Armando Pereira n’est pas actionnaire. Les actions sont « portées » par une entreprise ou par Patrick Drahi. 

Le portage des actions d'Armando Pereira. Document DrahiLeaks - Copie d'écran, © Reflets
Le portage des actions d'Armando Pereira. Document DrahiLeaks - Copie d'écran, © Reflets

Ces montages visent à fidéliser le top management de certaines entreprises, explique un analyste financier consulté. « En effet, cela ressemble à un "management package", c’est une façon de les associer à la bonne réussite de la société : s’ils parviennent à faire faire de gros bénéfices, ils seront récompensés par un pourcentage conséquent, poursuit l’analyste. Mais en France, par exemple, le fisc considère cela comme des traitements et salaires et n’hésite pas à taxer sévèrement les bénéficiaires de tels schémas. Je ne sais pas comment seraient traités ces arrangements dans le pays de résidence fiscale d’Armando Pereira ». 

Le montage pourrait cependant permettre à Patrick Drahi de se tirer de ce mauvais pas, sans rembourser les 1,3 milliards que le groupe doit à l’ex-meilleur ami. Selon L’Informé, Patrick Drahi a indiqué aux actionnaires le 7 août que Armando Pereira avait « un carried interest [une part sur les plus values] d’environ 20 % sur mes intérêts personnels [...] Je ne veux pas parler de cela aujourd’hui. Mais, si les malversations sont confirmées, dans tout carried interest, vous avez une possibilité de bad leaver [cession forcée]. » Les clauses de « bad leaver », sont des clauses qui permettent de récupérer les actions à une valeur symbolique, voire nulle dans le cas, par exemple, où le porteur des titres serait pris dans une affaire judiciaire portant atteinte à la société.

Mais une telle clause à-t-elle vraiment été signée ? Dans les DrahiLeaks, ne ressort qu’une série de conventions entre les deux hommes. Ces documents évoquent un « intérêt économique » détenu par Armando Pereira dans plusieurs sociétés : Altice Group Lux Sàrl, Altice USA, Bidfair, Lux, ANFA II OPPCI 2 France et ANFA II OPPCI 3 France. En revanche, aucun de ces documents rédigés en novembre 2022 par Thierry Sauvaire, Head of Tax & Legal de Valais Management Services, le Family Office de Patrick Drahi, n’évoquent une condition de « bad leaver » comme l’a pourtant laissé entendre Patrick Drahi à ses créanciers.

Quoi qu’il en soit, ces nouveaux documents qui démontrent que Patrick Drahi et ses entreprises doivent 1,3 milliard d’euros à Armando Pereira reposent un certain nombre de questions : pourquoi Armando Pereira aurait-il détourné des sommes évaluées à 200 millions par la justice portugaise au détriment de Patrick Drahi qui lui devait par ailleurs plus d’un milliard ? Comment Patrick Drahi et Altice ont pu ignorer les agissements d’un homme dont les activités sont aussi importantes au sein du groupe ? 

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