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par Gaël Dahnal

Terres de Gandhaäl (4) – Livre 1 : « Fondations »

Chapitre II Une nuée de minuscules moineaux s’égailla dans un concert de sifflements et de battements d’ailes à l’approche des intrus. Les deux soleils jumeaux commençaient à disparaître derrière le pic d’Anstarä, fabuleuse aiguille minérale haute de trois mille foulées dont le sommet couvert de glace scintillait comme un feu de diamants. La nature, par miracle était redevenue accueillante depuis qu’ils avaient gravi cette colline impossible.

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Chapitre II

Une nuée de minuscules moineaux s’égailla dans un concert de sifflements et de battements d’ailes à l’approche des intrus. Les deux soleils jumeaux commençaient à disparaître derrière le pic d’Anstarä, fabuleuse aiguille minérale haute de trois mille foulées dont le sommet couvert de glace scintillait comme un feu de diamants. La nature, par miracle était redevenue accueillante depuis qu’ils avaient gravi cette colline impossible. Une jungle de ronces, de fougères géantes aux feuilles acérées comme des lames de rasoir qu’ils avaient du tailler à l’aide de leurs épées afin de se frayer un passage. Les deux hommes avaient perdu la belle assurance qu’ils affichaient avant de pénétrer dans ce territoire inexploré; ces deux journées passées à lutter contre la nature et les éléments les avaient éprouvés au point que l’un d’eux avait proposé de rebrousser chemin. La réponse de son compagnon avait été alors cinglante:

— Je te croyais plus vaillant que cela, Mortesse; un seigneur de guerre, un marin invincible qui implore pitié aux herbes folles ! Ressaisis-toi ! tu ne peux te permettre, ne serait–ce qu’un instant, de penser à abandonner. Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour nous en retourner sans l’avoir rencontré.

L’homme à qui s’adressaient ces mots acides redressa la tête et cracha bruyamment par terre. Ses longs cheveux couleur de braise n’étaient plus qu’un infâme tas de fils informes couverts d’épines et de mousses. Sa barbe était dans le même état, son visage, couvert de balafres sanguinolentes et ses vêtements, en loques. Il ne croyait plus aux belles paroles que proféraient son ami et compagnon de voyage. Ils couraient après des légendes, il n’y avait rien à trouver derrière ces montagnes étouffées par le lierre, la ronce et les fougères. Le plus grand navigateur connu sur la Dîm-Azäth ressemblait à un vieillard au crépuscule de sa vie, implorant que l’on abrège ses souffrances. Mortesse soupira et lança d’un ton désabusé :

— Mon cher Seghuenor, le seigneur de guerre te souhaite d’aller finir au plus profond des enfers de Shubda et que les femelles démons les plus grosses, les plus vilaines et les plus perverses te bouffent les couilles éternellement…

Leur échange verbal en était resté là, conclu par un rire libérateur. Le pic d’Anstarä s’était ensanglanté sous les flèches pourpres des astres solaires. C’était le seul repère pour parvenir à trouver celui à qui les deux hommes venaient demander aide et conseil. C’était d’ailleurs le seul élément naturel dont ils connaissaient précisément le nom, hormis la ceinture de montagnes enneigées—nommée dans son ensemble la mâchoire de Cromax—et peut-être cette immense étendue de collines hostiles aux torrents glacés dans laquelle ils progressaient avec tant de difficultés : Gondoriän.

La nuit n’allait pas tarder à étendre son voile obscur; les prédateurs à sortir de leurs repaires pour partir en quête de nouvelles proies. Les deux voyageurs avaient senti de nombreuses présences inquiétantes au cours des deux nuits passées dans la contrée. Chacun d’eux éprouvait en lui cette sensation malsaine, comme un œil inquisiteur fixé sur le moindre de leurs mouvements, sans oser l’exprimer à l’autre. Pourtant, la traversée de la mer centrale, la Dîm-Azäth — puis celle de plus de mille chevauchées du continent nord qu’ils avaient effectuée avant de parvenir en cette contrée — comportait de nombreux dangers. Ils avaient du repousser les assauts de bêtes sauvages, fuir la vindicte de tribus hostiles et échapper in extremis à une horde de Jaaks rouges, ces féroces créatures humanoïdes avides de sang humain. Mais désormais ce n’était plus tout à fait pareil. Le danger, l’inconnu ne se montraient pas, ils étaient simplement présents sans qu’on puisse les nommer ni les décrire. Heureusement, depuis que les collines de fougères et de ronces étaient derrière eux ils ressentaient comme un soulagement, la fin du calvaire, peut-être. Ils parvinrent au sommet d’un escarpement rocheux et leurs chevaux, bien qu’épuisés, ne firent pas de difficultés pour les suivre. Les équidés savaient qu’avec la nuit proche c’étaient le repos et la nourriture qui s’annonçaient. Les deux voyageurs s’avancèrent un peu plus sur le grand socle rocheux et se regardèrent sans rien dire. D’un même mouvement ils tournèrent de nouveau le regard vers le spectacle incroyable qui s’offrait à leur vue. Un sourire d’émerveillement et de bonheur prit forme sur les visages burinés et couverts de balafres de Mortesse le flamboyant et Seghuenor le parcimonieux, fondateurs des premiers royaumes marchands des terres que l’on nommerait plus tard, "Terres de Gandhaäl".

 

* *

*

 

C’était une vallée enchanteresse qui s’étendait, lascive, devant eux. Les derniers rayons de soleil faisaient chatoyer les murs des terrasses de pierres qui parsemaient ses flancs composés d’innombrables variantes de vert, telle que peut les produire une nature luxuriante et aimée de l’homme. Les deux voyageurs distinguaient les cultures en terrasses et les arbres fruitiers indénombrables où des silhouettes humaines coiffées de larges chapeaux finissaient de s’affairer. Des troupeaux de moutons, flocons blancs serrés les uns contre les autres dégringolaient des sentier de pierres surveillés par des chiens virevoltant en un ballet effréné. Trois torrents enjambés par des ponts de pierre serpentaient les pentes de la vallée au gré des fantaisies du relief et finissaient leur course dans une vaste étendue aquatique cernée de roseaux : un miroir d’argent scintillant sous les feux auburn des soleils couchants. Légèrement en retrait du lac, où s’égaillaient des myriades d’oiseaux lyres, une vaste bâtisse à l’architecture complexe, aux murs de pierre multicolores semblait surveiller les collines arides et inhospitalières d’où provenaient les deux hommes. Seghuenor fut le premier à réagir après que son esprit se fut empli des sensations multiples que généraient en lui l’extraordinaire vision de la vallée. Il tapa sur l’épaule de son vieux compagnon et lui dit d’un ton jovial :

— Je crois que nous avons véritablement trouvé Gondoriän, cette fois-ci !

Malgré la douleur que ses lèvres striées de gerçures lui infligeaient, Mortesse sourit. Quelques perles de sang coulèrent dans sa barbe sans qu’il n’y prêta attention.

— Par tous les démons de la Dîm-Azäth, Seghuenor, je ne croyais plus que cet endroit puisse exister, et encore moins qu’il soit aussi…aussi…

Le petit homme à la peau noire finit la phrase du colosse roux debout à ses côtés dans une exclamation victorieuse :

— Magnifique !

— Oui, c’est exactement ça, magnifique…conclu Mortesse.

Les ailes d’encre de la nuit se déployaient lentement, plongeant la vallée dans un manteau d’ombres. De minuscules étoiles dorées se mirent à briller à travers les coteaux noyés dans la pénombre, des cloches firent entendre leurs tintements cristallin, annonçant aux hommes et aux bêtes la fin de la journée.

Mortesse se mit en selle aussitôt imité par son compagnon. Les chevaux avaient eux aussi compris quel havre de paix se trouvait en contrebas et leurs cavaliers durent refréner leur ardeur tout au long de la descente, de peur qu’ils ne glissent sur les pierres qui jonchaient le sentier escarpé. Arrivés près du lac, ils s’engagèrent dans un petit chemin pavé de galets cerné par les herbes folles et les joncs. Il devenait de plus en plus difficile d’y voir clair ; les deux compagnons laissèrent leurs montures se fier à leur instinct. Les animaux les menèrent devant la vaste demeure de pierre après une longue promenade le long des rives du lac où s’exhalaient les senteurs les plus variées de fleurs de nénuphars et autres plantes aquatiques.

La bâtisse aux murs de pierres sèches et aux tours effilées n’avait pas de porte ou de herse, simplement une large ouverture pratiquée entre les murs percés de fenêtres ovales aux carreaux de verres colorés. Les deux hommes pénétrèrent dans une cour intérieure au sol recouvert d’une mosaïque de dalles rocheuses. Les torches fichées dans des tiges de métal projetaient des ombres dansantes sur les murs silencieux. Une dizaine de bâtiments de taille et de hauteurs différentes composaient l’ensemble architectural, reliés les uns aux autres par des passerelles de bois. De chaque bâtiment jaillissait des tours rondes aux toits couverts de tuiles en pierre plates que les trois lunes à peine levées faisaient briller comme les écailles d’une multitude de poissons imaginaires. Mortesse et Seghuenor mirent pied à terre. Tous deux avaient perçu la musique légère et dansante qui parvenait faiblement de l’une des maisons. C’était un moment unique pour les deux voyageurs fourbus. Le calme et l’harmonie qui imprégnaient les lieux les berçaient imperceptiblement. Une vague de bien-être s’immisçait insidieusement dans chaque parcelle de leur corps et de leur esprit. Ils n’eurent pas le loisir d’écouter plus avant la charmante mélodie et profiter de la douceur de l’instant : des rires féminins éclatèrent dans la cour comme une cascade de verres de cristal se brisant soudainement dans l’air chaud de la nuit. Seghuenor fit un pas de côté et maintint fermement le licol de son cheval : rien ne lui assurait que les habitants de ce bel endroit étaient pacifiques. Mortesse lui, écarquillait les yeux pour mieux discerner les ombres qui s’approchaient en riant de plus belle. Deux jeunes femmes aux longues chevelures brunes se tenaient devant eux, les mains sur les hanches, continuant à pouffer comme si le spectacle que les deux cavaliers offraient était irrésistible. L’une d’elles, la plus petite, cessa de s’esclaffer et les désigna du doigt tout en lançant d’une voix aiguë :

—Vous êtes les deux voyageurs dont nous a parlé le maître! Vous êtes encore plus drôles que ce que nous ont dit les guetteurs qui vous suivaient !

Un rire enfantin conclu la phrase de la jeune femme. Mortesse ne laissa pas le loisir à la seconde de répliquer ; il parla de sa voix la plus bourrue, ses yeux lançaient des éclairs alors qu’en lui-même une irrésistible envie de s'esclaffer faisait jour :

— Dites-moi les drôlesses, c’est ainsi que vous recevez les invités par chez vous ? Appelez donc votre maître, vous allez voir comment il va vous corriger pour se moquer ainsi de nous ! Allez, dépêchez-vous ! La plus grande des jeunes femmes fit deux pas en direction du cheval du colosse qui roulait toujours des yeux pour mieux appuyer ses paroles. Elle lui sourit. Le géant, immobile à quelques centimètres du jeune visage, put apprécier l’ourlet charmant de ses lèvres, d’un rose délicieux, le nez fin et droit, les yeux en amandes, la chevelure soyeuse dans laquelle l’éclat des lunes faisait jouer des reflets bleutés. Le navigateur déglutit, la beauté féminine le troublait, elle lui faisait perdre à chaque fois ses moyens. Il lança un regard en direction de Seghuenor et n’eut pas le loisir d’interpréter ce qui s’affichait sur les traits de son compagnon. La jeune beauté caressa la tête du cheval et d’un claquement de langue le fit s’avancer. L’animal la suivit sans résistance.

D’une voix douce et sensuelle elle lança à l’intention des deux voyageurs :

— Suivez-nous, et ne soyez pas si inquiets, il faut soigner vos chevaux et vous changer. Vous verrez le maître ce soir, il y a fête, et tout le monde sera enchanté d’entendre des visiteurs du dehors. Allez, venez !

La seconde beauté s’approcha de la monture de Seghuenor et fit de même que sa comparse. Les deux compagnons se dévisagèrent sans mot dire et suivirent docilement les jeunes femmes à travers la cour.

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