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par drapher

Société : pourquoi les "on est chez nous" ?

Généraliser la fête du cochon, une ambition politique à la portée du numéro 2 du parti des "On est chez nous" ? Un parti qui a compris qu'en promettant "du boudin pour tous", les choses iraient nettement mieux.

Illustration issue d'une recherche ayant pour mots-clés "Florian Philippot Winnie l'ourson". Sont-ce les fameux envahisseurs étrangers dénoncés par le parti de Philippot, qui apparaissent sur cette photo ?

La question d'une montée des nationalismes, mâtinés de populisme xénophobe se pose de plus en plus en Europe, tout comme aux États-Unis d'Amérique et dans certains pays asiatiques. Ce phénomène se traduit par des votes très particuliers en faveur de personnages ou de partis politiques eux aussi bien particuliers. Tous ont en commun une même composante, si l'on se contente de cataloguer : l'extrême-droite. Malgré des divergences entre chaque pays — les cultures et l'histoire ne pouvant qu'être différentes — des constantes peuvent se dégager pour comprendre ce qu'est cette "extrême-droite" : rejet de l'étranger, volonté de repli sur soi, demande d'autorité, adhésion à une "culture" de la violence et du conflit, ostracisation des minorités, désignation de coupables pour expliquer les problèmes de la société, mise en accusation des élites corrompues.

Bien entendu, l'étiquette politique ne résume pas tout, loin de là, et peut même dans  certains cas créer de la confusion, voire renforcer les mentalités en question : "être d'extrême-droite" n'est pas si simple, et vouloir taxer  des mouvements politiques hétéroclites sous un même label n'est peut-être pas une bonne idée. D'ailleurs, plus ce label est utilisé par ses détracteurs, plus "l'extrême-droite" progresse. En revanche, comprendre qui sont les gens qui votent et développent les idées de ce mouvement devenu partiellement mondial peut être intéressant. Pour mieux les combattre, si l'on pense bien entendu que leurs idées et la société qu'ils veulent construire est dangereuse, d'une intolérable médiocrité humaine, et ne peut que nous mener à vivre un cauchemar collectif fait d'intolérance, d'égoïsme, de fermeture, d'ignorance et de destruction des quelques règles humanistes issues de l'après seconde guerre mondiale. Celles d'après le nazisme.

"On est chez nous"

Ce slogan du "On est chez nous", qui parsème le film "Chez nous" (montrant le fonctionnement d'un parti d'extrême droite français similaire au Front national), est très intéressant pour mieux comprendre la montée de cette "nouvelle extrême-droite" mondiale, dont Donald Trump, au fond, est le chef charismatique et la quintessence même. Ce slogan — "On est chez nous" — représente en quatre mots l'essence même des mentalités qui agitent les urnes et les esprits, il synthétise le malaise profond qui agite ces "croyants en une nouvelle politique" qui ferait table rase de l'ancienne et leur redonnerait un pouvoir, une valeur, un rôle qu'ils pensent avoir perdu depuis des décennies. Le ralliement est simple, compréhensible, franc : "On est chez nous". Ce "Nous" impliquant un "Eux". L'ennemi de la communauté — communauté de ceux qui sont sur leur territoire, depuis toujours.

"Nous sommes solidaires, entre nous, nous avons la même vision, et elle est faite d'une appartenance à quelque chose qui nous relie" , tout en laissant entendre implicitement que d'autres "tentent de s'emparer de ce qui nous appartient". Les "On est chez nous" revendiquent politiquement le droit à discriminer tout ce qui n'est pas de "chez eux" : du terroir, de l'enracinement, de la tradition, de l'histoire commune.

L'idée centrale des "On est chez nous" est simple à comprendre, et c'est bien pour cela qu'elle porte et séduit de plus en plus. Elle pourrait se traduire encore autrement ainsi : "Nous sommes en guerre, contre des phénomènes et des individus qui détruisent notre identité, nous ont fait plonger dans un no man's land sociétal insupportable. Si nous défaisons l'ennemi, nous retrouverons notre identité et recréeront un territoire perdu qui nous redonnera un sens collectif, un "sens commun", un socle de valeurs à partager, un projet."

Droits de l'Homme en pointe… jusqu'à la mondialisation

Le socle commun des grandes démocraties, ces pays industriels post-impérialistes qui ont déclenché la révolution industrielle entre le 18ème et le 19ème siècle, a été, depuis le grand chamboulement d'après 39-45, la déclaration des Droits de l'Homme. L'organisation mondiale censée faire respecter la paix mondiale et empêcher une nouvelle guerre équivalente à celle déclenchée par les nazis, l'ONU, a été au centre de cette préoccupation des Droits de l'Homme.

Avant la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'importe quel pays pouvait faire subir ce qu'il ce qu'il voulait à n'importe quelle partie de sa population ou de populations colonisées, sans que personne ne s'en mêle ni ne s'en émeuve. On montrait des Africains dans des cages à l'exposition universelle, en France, par exemple. On tuait des milliers de maghrébins dans des territoires d'Afrique du Nord annexés par la force quand ils se rebellaient contre leur envahisseur.

Le choc du génocide, par l'internement et l'industrialisation du meurtre de masse de catégories de populations minoritaires (juifs, homosexuels, handicapés mentaux, tziganes) par le régime nazi, a forcé les grandes nations à un examen de conscience inédit. La décolonisation en est l'une des conséquences, la Charte Universelle des Droits de l'Homme en est une autre. Le monde capitaliste, industriel, post-impérialiste a semblé — durant une cinquantaine d'années — vouloir construire une politique mondiale "humaniste", cherchant à protéger les plus faibles, aider les opprimés, abolir les injustices. Avec de nombreux accrocs à ce "contrat moral" que l'ONU était censé faire respecter : guerre du Vietnam, coups d'états et mise en place de dictatures soutenues par les États-Unis en Amérique du Sud, essais nucléaires dans les colonies et ex-colonies françaises, torture de l'armée française en Algérie, répression des mouvements sociaux, soutiens militaires à des dictatures au moyen-orient, etc., etc.

Bien entendu, des avancées ont eu lieu grâce à la "politique mondiale des Droits de l'Homme" créée après-guerre. Les énoncer serait trop long, mais d'une manière générale, ces avancées ont toutes pour dénominateur commun des progrès sociaux, des droits nouveaux pour les plus "fragiles" ou les plus "faibles", une volonté de justice, "d'égalité", un refus de reproduire les anciens schémas basés sur une domination du plus fort sur le reste. Jusqu'à à la fin des années 90, cette idée de politique mondiale des Droits de l'Homme a été soutenue par les populations occidentales, avec des personnels politiques eux aussi plutôt engagés à la défendre. Mais la volonté d'une "pure politique de justice mondiale" n'est pas restée très longtemps l'unique préoccupation des grands décideurs de ce monde.

La mondialisation — des échanges via la financiarisation de l'économie et l'ouverture des marchés à la planète entière — a été instiguée et vendue comme le meilleur moyen de pouvoir aider les pays les plus pauvres, les ex-colonies en premier, leur permettre de pouvoir participer à la "grande fête des Droits de l'Homme". Tout le monde allait pouvoir bénéficier de la richesse ainsi engendrée, et les Droits de l'Homme pourraient se réaliser vraiment, partout. Il n'en a rien été, et le problème crucial est que ceux qui ont défendu cette théorie ont parfaitement échoué : les Droits de l'Homme ont reculé, les injustices se sont creusées et la planète a été mise en coupe réglée par des puissances financières privées, d'une puissance jusque là inédite. C'est sur cette évidence que les penseurs des "On est chez nous" jouent à fond. Et remportent de plus en plus de victoire.

Bobos, droits de l'hommistes, gauchos, cocos et socialos : même combat

Si l'on pense que la société va mal, parce que plus rien ne semble fonctionner normalement, que les injustices explosent et que ceux censés l'améliorer sont des "vendus" qui pensent avant tout à profiter du vote des électeurs pour conserver une place enviable et servir les intérêts des puissances industrielles, de la finance, il est possible d'adhérer à la pensée du "On est chez nous".

En effet, le moteur des "On est chez nous" est la haine de ceux qui se sont engraissés sur le dos du plus grand nombre, ont vendu le pays et ses intérêts à la mondialisation, pour faire court. Vendu à une forme de "droit de l'hommisme" favorisant l'arrivée d'étrangers seulement intéressés par nos avantages sociaux et venant imposer leur propre culture, forcément néfaste et incompatible avec la "nôtre". Toute cette opération, selon les "On est chez nous", a été poussée par les bobos-socialos-cocos-droits-de-l'hommistes qui ont — par leur idéologie laxiste et dégoulinante de bons sentiments hypocrites — permis la ruine du pays, tant dans la permissivité économique, que sociale, éducative, migratoire. Tout en profitant, pour la partie socialo-bobo, des changements que cette mondialisation créait. Particulièrement en termes de progression économico-sociale.

Cette vision du monde, qui amalgame Droits de l'Homme, donc humanisme et progrès sociaux, avec mondialisation des échanges, perte de souveraineté, désindustrialisation et recul de puissance, est théorisée depuis plusieurs années par Marine Le Pen et son acolyte de Sciences-Po : Florian Philippot.

Généraliser la fête du cochon, une ambition politique à la portée du numéro 2 du parti des "On est chez nous" ? Un parti qui a compris qu'en promettant "du boudin pour tous", les choses iraient nettement mieux.

L'Europe libérale — au sens de la dérégulation économique et de la libre circulation des flux commerciaux et bancaires — est bien entendu une cible idéale pour les penseurs du "On est chez nous", qui n'ont pas beaucoup de mal à démontrer toute la perversité de cette Union Européenne qui écrase de sa toute-puissance bureaucratique toute possibilité d'une politique autre que celle qui s'impose par ses traités. Une toute puissance — particulièrement depuis la crise de 2008 et le TSCG de 2012 — qui va jusqu'à contrôler les budgets des états, indiquer et surveiller leurs réformes.

Ceux qui aimeraient défendre l'Union Européenne aujourd'hui ont beaucoup de mal, tout comme ceux qui voudraient défendre les bienfaits de la mondialisation : la catastrophe bancaire, financière, économique qui perdure depuis 2008 est le fruit de la grande dérégulation globale portée par les chantres de la mondialisation. L'Europe ne défend plus rien d'autre qu'une orthodoxie économique soufflée par les banques internationales et l'Allemagne, pour qui cette voie reste la plus favorable à son économie. Même si d'un point de vue social tout ça commence à pas mal se craqueler.

Les "gauchos" sont donc bien embarrassés, enfin ceux qui ont soutenu la mondialisation, l'Europe, et toutes ces choses censées à l'origine faire "un monde meilleur et plus ouvert, où la majorité y gagnerait". Les "socialos" en tête, avec pour une bonne part d'entre eux la partie "bobos progressistes", riches et bien-portants défenseurs des immigrés, mais ayant racheté des quartiers entiers de Paris d'où ces mêmes immigrés ont été évacués.

Fantasme fascisant à l'épreuve d'une trahison envers les peuples

La réalité socio-politique actuelle — qu'elle soit française ou européenne, et partiellement mondiale — peut se résumer à un constat, plutôt sombre et inquiétant : les "On est chez nous" sont de plus en plus nombreux. Le "on a tout essayé" (chez les électeur potentiels des partis à base de "On est chez nous") est aussi une phrase qui revient souvent, et elle résume très bien la situation. Celle de la trahison politique — débutée il y a 20 ans, pour simplifier. Trahison envers les peuples, à qui les élites au pouvoir ont promis des lendemains qui chantent en dérégulant toute l'économie mondiale et en permettant une circulation libre et sans entraves des biens et des services.

Les lendemains ont déchanté, et ce ne sont pas les statistiques de la Banque Mondiale laissant entendre que la pauvreté a reculé parce que les Africains ont désormais deux ou trois dollars par jour vivre au lieu d'un, qui permettront de faire avaler la couleuvre d'un monde amélioré par cette politique orchestrée via l'OMC, le FMI, l'UE et les différentes administrations des plus grandes nations capitalistes de la planète.

Sachant que les politiciens socio-démocrates qui ont promis, pour être élus, de se préoccuper de progrès social et de protection des travailleurs les plus fragiles, ont fait exactement l'inverse au point d'accompagner la destruction des droits sociaux tout en "libérant les énergies" des multinationales. Il est ainsi assez simple de comprendre le désarroi et la confusion qui s'opère dans les cerveaux des électeurs. Confusion qui mène à une certaine rage. Avec, comme il est normal en politique, l'apparition d'un fantasme. Puisque voter pour quelqu'un qui fera exactement la même chose que tous ceux qui ont été portés au pouvoir depuis 20 ans n'est plus acceptable pour tous ceux qui sont arrivés au constat d'échec des démocraties des Droits de l'Homme.

Ce fantasme est fascisant, logiquement fascisant, puisque le fascisme se nourrit toujours de vengeance, a besoin de victimes et de bourreaux, de traîtres et de trahis pour exister. Si de l'autre côté de l'échiquier politique, chez les "insoumis", le constat d'échec est le même, les propositions sont elles pourtant antinomiques. Mais visiblement quelque chose n'a pas pris, puisque les élections des 5 dernières années n'ont pas été concluantes de leur côté.

Il est sûrement plus simple de crier un slogan de quatre mots, amalgamer tous les phénomènes et pointer des boucs-émissaires, minoritaires et fragiles ou non, plutôt qu'autre chose. Ce que font les "On est chez nous". Mais le grand problème reste : qui est en mesure de leur faire comprendre que si une part de leurs constats sont "justes" (la partie économique), les réponses qu'ils veulent apporter sont parfaitement nulles, non-avenues, dangereuses et accentueront encore plus le malaise actuel ? Certainement pas le téléviseur sur le buffet, avec ses boucles récursives mentales.

En conclusion, si l'on peut savoir "pourquoi les "On est chez nous" ? — savoir comment les transformer en "Bienvenue chez nous" est nettement moins évident. Peut-être parce que plus personne n'y croit ?

Ou n'a envie ?

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