Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Ouverture surprise du procès de l’attentat du musée Bardo à Tunis

L'entrée du musée du Bardo, aujourd'hui gardé par un véhicule de Police Vingt et un touristes étrangers, dont quatre Français avaient trouvé la mort le 18 mars 2015 dans l'attaque du musée du Bardo à Tunis. Après une instruction pour le moins rocambolesque, le procès s'est ouvert hier à Tunis, à la surprise générale. Cet attentat mené par deux djihadistes et revendiqué par l'Etat Islamique a profondément marqué la Tunisie.

L'entrée du musée du Bardo, aujourd'hui gardé par un véhicule de Police - © Reflets

Vingt et un touristes étrangers, dont quatre Français avaient trouvé la mort le 18 mars 2015 dans l'attaque du musée du Bardo à Tunis. Après une instruction pour le moins rocambolesque, le procès s'est ouvert hier à Tunis, à la surprise générale.

Cet attentat mené par deux djihadistes et revendiqué par l'Etat Islamique a profondément marqué la Tunisie. Quelques mois plus tard, l'attentat de Sousse qui avait fait trente-neuf morts replongeait la Tunisie dans l'horreur. Le pays est également frappé économiquement. Avec près de 500 000 emplois, soit 12 % de la population active, la manne touristique représente 7 % du PIB. Ces deux attentats qui ont touché principalement des touristes ont fait plonger le nombre de visites dans ce pays.

Et c'est justement le but de ces attaques : un des terroristes de la cellule du Bardo raconte aux enquêteurs : « Mon chef m’a dit : “Certains vont aller en Syrie, mais nous avons, nous, un travail à accomplir en Tunisie pour frapper les intérêts économiques et les points sensibles des organismes de sécurité, ainsi que des personnalités politiques ou militaires. Nous travaillerons sur cette base, en vue de déstabiliser le régime actuel du pays et de créer la confusion dans le but de faciliter l’entrée des groupes armés sur les frontières ; par la suite, nous rétablirons le régime du califat islamique. Cela fait partie du grand projet qui a déjà commencé en Syrie. » Mais l’attentat du Bardo n’est toutefois pas considéré comme un succès par son commanditaire. Un autre terroriste sous les verrous rapporte une conversation avec son chef : « Il m’a dit que l’opération du musée du Bardo avait généré une empathie dans les autres pays vis-à-vis de la Tunisie, qu’elle n’avait donc pas atteint son objectif fondamental, qui était de terroriser les touristes. Il m’a affirmé la nécessité de perpétrer une nouvelle opération terroriste pour frapper le tourisme. » Ce sera Sousse.

Une collaboration particulière avec la justice française

Si l’ambassadeur français en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor, a, dans des déclarations publiques, « salué le travail de la justice tunisienne », assurant n’avoir aucun doute sur l’aspect totalement équitable du procès qui sera rendu, il convient de s'interroger sur la façon dont l'enquête a été menée et sur la collaboration avec les autorités françaises.

Des notes de la sous-direction anti- terroriste (SDAT) de la Direction centrale de la police judiciaire et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) versées au dossier d'instruction révèlent un climat de travail délétère du fait du juge Béchir Akremi qui a initialement supervisé l'instruction. Le 21 mars 2015, trois jours après l’attentat, une délégation d’agents de la SDAT et de la DGSI se rend au musée du Bardo pour une visite. Elle sera effectuée au pas de course en quarante minutes. « Le magistrat nous autorisait une rapide visite des lieux, mais exigeait que l’on demande son accord préalable avant de prendre des photos », indiquent en préambule les policiers français. S’ils peuvent réaliser des clichés sur le parking, il n’en va pas de même à l’intérieur : « À ce stade, il nous était confirmé l’interdiction formelle de prendre des clichés photographiques. [...] Le magistrat ne s’attardait pas à l’étage, et nous redescendions rapidement par un autre escalier jusqu’au hall du rez-de-chaussée. M. Akremi mettait alors fin à la visite sans avoir, à aucun moment, précisé à quel endroit avaient été retrouvés les corps des victimes françaises. »

Une note de la DGSI du 27 août 2015 s’étonne par ailleurs de la libération d’Amine Guebli, présenté comme l’un des hommes clés de la cellule terroriste : « Le journal L’Express a publié un article précisant que la justice tunisienne a relâché huit personnes arrêtées à la suite de l’attaque du Bardo, dont Mohamed Amine Guebli présenté alors comme son commanditaire. Rappelons qu’à l’époque, après les faits, Mohamed Amine Guebli a été présenté comme le chef de la cellule terroriste. [...] Précisons que nous ne pouvons établir la véracité de ces faits. ».

Or dans un acte, le juge Béchir Akremi signale au procureur que plusieurs personnes interpellées ont été torturées pendant leur détention, dont Amine Guebli, ce qui entache leur témoignage.

Un policier tunisien interrogé par Reflets souligne que même si ces actes de torture étaient avérés, rien n'empêchait la justice tunisienne de poursuivre leurs auteurs tout en continuant de poursuivre les personnes appréhendées dans le cadre de l'enquête sur le Bardo.

Par ailleurs, toujours au registre de la bonne collaboration avec la justice française, plusieurs procès-verbaux font référence à des pièces que la justice française n'a pas reçues. Selon les parties, le dossier tunisien entre les mains de la juge française en charge de l'enquête à Paris est largement incomplet.

La question de la responsabilité de l'Etat tunisien

Les soupçons de mansuétude vis-à-vis des djihadistes par le parti au pouvoir sont alimentés par des déclarations pour le moins maladroites.

Ainsi le patron d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, expliquait-il en octobre 2016 à propos des terroristes de l’État islamique : « Nous, les musulmans sunnites, nous pouvons leur dire, par exemple, qu’ils ont tort, qu’ils sont dans l’erreur, extrémistes, radicaux, despotiques, mais pas mécréants. Car ces gens disent : “Il n’y a de Dieu que Dieu.” Ils sont, finalement, l’incarnation de l’islam en colère ». Lors de l'inauguration d’une nouvelle exposition au musée du Bard, le Président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a pour sa part lâché à une femme qui a perdu son père dans l'attentat du Bardo : « Que voulez, vous, c’est la vie… »

Il est peu probable que lors de ce procès qui vient de s'ouvrir, la responsabilité de l'Etat tunisien sera évoquée. Pourtant, la protection du musée qui se trouve dans l'enceinte du Parlement était minimale. Un seul garde armé protégeait l'entrée et il a fui. Les caméras de surveillance étaient hors service. Anis al-Trabulsi, le commissaire divisionnaire de la Sûreté nationale, qui était chargée de la sécurité du Bardo, raconte pour sa part avoir demandé à sa hiérarchie — et cela à plusieurs reprises dont la veille même de l’attentat — à ce que le dispositif soit renforcé par la présence de deux voitures du groupe d’intervention et par une patrouille de motards aux abords de la zone, mais ses demandes sont restées sans réponse.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée