Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par drapher

Nous vous scrutons, bien que ce ne soit pas vous la cible

Comment repérer des criminels dans une foule, sans scruter la foule ? Comment connaître les habitudes des terroristes sans connaître celles des non-terroristes ? Comment établir des profils type, sans les comparer à un ensemble ? Comment créer des alarmes comportementales sans connaître les habitudes du plus grand nombre ? Comment fouiller la vie privée d'un seul individu, sans savoir à quoi correspond le quotidien des autres ? Toutes ces questions n'en représentent qu'une seule.

image
image

Comment repérer des criminels dans une foule, sans scruter la foule ? Comment connaître les habitudes des terroristes sans connaître celles des non-terroristes ? Comment établir des profils type, sans les comparer à un ensemble ? Comment créer des alarmes comportementales sans connaître les habitudes du plus grand nombre ? Comment fouiller la vie privée d'un seul individu, sans savoir à quoi correspond le quotidien des autres ?

Toutes ces questions n'en représentent qu'une seule. Celle de la fin et des moyens dans la lutte contre le terrorisme, et plus généralement, contre la criminalité. Plus avant encore : quels moyens mettre en place pour empêcher, répondre à toute tentative d'opposition aux institutions et leurs représentants, contre l'ordre établi. Ou de fraude. De dissidence. De contestation ?

Nous parlons bien entendu de la surveillance — par des biais technologiques — cette nouvelle forme de gouvernance politique qui se répand à une vitesse exponentielle, sans garde-fous ni débats de fond. Comprendre ces technologies — et leur utilisation effective ou supposée — est une nécessité citoyenne, puisque sans connaissance il est impossible de contrecarrer un projet, quel qu'il soit.

Cet article est le premier d'un dossier sur "l'algopolitique", ou comment les algorithmes peuvent remplacer les hommes et les femmes politiques quand ceux-ci n'ont plus aucune vocation autre que celle de renforcer et administrer un système politico-économique en grande déliquescence.

Data mining, IOL et croisements de bases de données sont dans un bateau

Et personne ne tombe à l'eau. Car le bateau est très neuf, avec des rambardes en acier trempé. Pour l'instant.

La récente annonce du succès de l'administration française "pour chasser les fraudeurs" aux prestations sociales grâce au "big data" couplé aux algorithmes de data mining (précisons que sans le data mining via des algorithmes, on voit mal comment des êtres humains pourraient croiser des milliards d'informations issues des big data) est une bonne campagne de communication. Imaginez que plus de 200 millions d'euros de prestations indûment versées à ces scélérats de citoyens indélicats ont été ainsi économisés. Le citoyen affalé sur son canapé devant son poste (en attente de la retransmission d'un match de l'Euro 2016 ou de son épisode de téléréalité) applaudit : la technologie se préoccupe d'économiser ses impôts en fouillant dans la vie administrative de tous. Formidable. Quel progrès…

Le croisement d'informations entre la CAF, la CPAM, l'UNEDIC, etc, permet aux robots logiciels de détecter les anomalies et pointer ainsi de leur doigt digital tous ceux qui ont touché de l'argent des caisses de l'État ou des commissions paritaires alors qu'il n'auraient pas dû.

Extrait du document "Lutte contre la fraude bilan 2014" de la Délégation nationale de lutte contre la fraude :

image
image

Dans le sens inverse, rien n'est fait, bien entendu. On estime pourtant à… plus de 7 milliards d'euros annuel le montant des prestations sociales qu'une partie de la population pourrait toucher… et ne touche pas (lire "La face cachée de la fraude sociale" — le Monde Diplomatique, juillet 2013). Toute cette technologie de fouille des données par des agents informatiques à été mise en place sans aucune concertation, comme si déléguer des tâches administratives [pouvant créer des drames humains] n'avait aucune importance. Remarquons que la majorité des bénéficiaires de prestations sociales (allocations logement, chômage) est de condition modeste. N'oublions pas non plus que la fraude à la sécurité sociale en France représente 4 milliards d'euros, qu'il faut comparer à celle aux impôts qui s'élève à 25 milliards et celle aux prestations (des entreprises)… à 16 milliards d'euros. Mais avec le discours politique sur la fraude des "petits en grand nombre" , des "sociétés de l'innovation numérique" ne s'y sont pas trompées et proposent leurs services :

https://twitter.com/bearingpoint\_fr/status/751342621218529280

La formidable puissance des algorithmes et du machine learning au service de la chasse à la fraude : difficile de ne pas adhérer au concept…

image
image

 

Et IOL dans tout ça, me direz-vous ? Les interceptions administratives sur Internet ont été mises en place dans le plus grand secret, et personne n'est en [encore] en mesure de dire comment les sondes implantées dans les DSLAM (les équipements auxquelles sont connectées les paires de cuivre des abonnés au téléphone pour accéder à Internet) "travaillent", ni quand, ni à quelle fréquence, à quelles fins, ni même pour quels services de l'État. Mais pour autant, de nombreux indices peuvent permettre de se faire une idée de l'utilisation effective ou future d'IOL…

Scruter la population en préservant l'anonymat : la panacée selon… les politiques

Les élus feignent semblent ne pas comprendre parfaitement les technologies mises en œuvre aux fins de surveillance ou de détection du « crime ». Les concepts d'algorithme, de data mining, de machine/deep learning peuvent par exemple leur paraître tout à fait pertinents et sans conséquences pour les libertés publiques dans le cas de la reconnaissance faciale par caméras, alors qu'ils jurent — dans le même temps — ne pas vouloir « surveiller tout le monde » sur Internet. L'exemple récent du projet de loi de reconnaissance faciale donne une bonne indication de la duplicité  compétence toute relative des responsables politiques dans ce domaine. Nos confrères de NextInpact s'en sont fait l'écho :

(…) Une proposition de loi autorisant les forces de l’ordre à recourir à des logiciels capables de reconnaître – en temps réel – le visage de certaines personnes à partir des images retransmises par des caméras de vidéosurveillance (…)

Des bases de données avec des photos de fichés "S" (les individus considérés dangereux pour la sécurité intérieure), des caméras publiques, des algorithmes qui scrutent, scannent les visages dans la foule et tentent de « matcher » ceux qui défilent sous leurs yeux électroniques avec ceux référencés dans les bases de données (vidéo France TV : http://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/lutte-contre-le-terrorisme-la-reconnaissance-faciale-bientot-utilisee_1407057.html) : voici la proposition des politiques. Bien entendu, toutes les « garanties » sont là pour préserver les libertés publiques, l'anonymat, etc… d'après eux. Mais NextInpact souligne un point incontournable, et central :

(…) Les auteurs de cette proposition de loi ne peuvent toutefois feindre que pour repérer un individu dans un océan de visages, les logiciels de reconnaissance faciale devront nécessairement scruter l’ensemble des personnes entrant dans le champ des caméras(…)

Les sondes IOL et les boîtes noires fonctionnent exactement comme la reconnaissance faciale : elles sont obligées de capturer toute l'information qui passe, pour en faire l'analyse. Et de la même manière que les caméras, ce n'est pas toute la population française qui est scannée, mais toute la population qui passe devant ces caméras. Ou toutes les métadonnées (ou via le DPI, certaines informations contenues dans les paquets IP ?) de la portion de population que les sondes des DSLAM — actives à un moment « T » —décident de capturer.

Gestionnaires politiques assistés par ordinateur

Les gouvernants ont l'intention de faire de la "transition numérique" une opportunité pour améliorer leur contrôle dans la gestion du pays, et des administrés qui le peuplent. La GPAO (gestion politique assistée par ordinateur) se met en place sans se nommer. Ce que de nombreux chercheurs appellent gouvernance algorithmique ou plus simplement : algopolitique. Sans paranoïa aucune, ou comparaison avec des œuvres de fiction dystopiques, il est nécessaire de permettre au plus grand nombre de bien comprendre ce qui est mis en œuvre par les différents gouvernements français, dans le cadre de l'utilisation des technologies issues des big data (ou mégadonnées en bon français) à des fins politiques. Que ces fins soient déclarées uniquement sous des prétextes sécuritaires, anti-terroristes, que les mesures soient « encadrées » ou « sous contrôle » ne change rien à un phénomène qui doit être débattu. Avec l'algopolitique, nous changeons de modèle de société, de mode de gouvernance, et de contrat social. Si aucun représentant du peuple ne vient rapidement soulever cette problématique, il y a fort à parier que ce que nous nommons encore « libertés individuelles » aujourd'hui, n'aura plus rien à voir demain.

[Le prochain article traitera spécifiquement de l'algopolitique et des  technologies, recherches, outil liés à ce "concept" à l'étranger comme en France]

 

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée