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par Antoine Champagne - kitetoa

Non, Emmanuel Macron, le premier de cordée ne part pas : il se rend au guichet

Les métaphores du président Emmanuel Macron permettent au bon peuple d'accéder à sa pensée complexe. Dans une récente interview télévisée, il a filé celle du premier de cordée en alpinisme. Selon le président, si l'on jette des cailloux sur le premier de cordée, il tombe et toute la cordée avec.

Les métaphores du président Emmanuel Macron permettent au bon peuple d'accéder à sa pensée complexe. Dans une récente interview télévisée, il a filé celle du premier de cordée en alpinisme. Selon le président, si l'on jette des cailloux sur le premier de cordée, il tombe et toute la cordée avec. Traduction : si le bon peuple (les 99%) mettent des bâtons dans les roues des patrons d'entreprises ou de ceux qui réussissent financièrement (les 1% dans l'esprit d'Emmanuel Macron), ces derniers vont partir et laisser en plan les pauvres travailleurs qui n'auront plus que leurs yeux pour pleurer.

C'est sans doute en suivant cette logique implacable qu'Emmanuel Macron a décidé de la suppression de l'ISF. Si l'on taxe trop les ultra-riches, ils vont faire partir leurs capitaux, et eux-mêmes peut-être, à l'étranger.

On pourrait rétorquer au président que lorsque les sans-dents, comme disait François Hollande, les gens qui ne sont rien, selon ses mots, sont parfois tout à fait en mesure de gérer collectivement leur entreprise. Les Sociétés coopératives et participatives (SCOP) sont là pour en témoigner.

Mais surtout, c'est sur la pression fiscale — qui ferait fuir les capitaux — qu'il faut s'arrêter quelques minutes. Emmanuel Macron a peut-être une pensée complexe, il a peut-être un profond mépris pour les fainéants que nous sommes, mais il est loin d'être idiot ou éloigné de la réalité. Surtout de celle des chiffres.

Prenons ceux du Trésor.

En 2015, les entrées d'IDE en France progressent très fortement, à 40 Md€  (après 11 Md€ en 2014), atteignant leur  niveau le plus élevé depuis 2008. Cette hausse est liée à la réalisation en 2015 de plusieurs opérations importantes, au premier rang desquelles la fusion Lafarge-Holcim.

Ce n'est pas si mal. Les investissements étrangers en France sont très importants à l'échelle mondiale :

La France accueille sur son sol le 7ème stock mondial d’IDE entrants (729 Md$ à la fin 2014 selon la CNUCED), derrière les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni.

En mars 2017, Muriel Pénicaud, qui n'était encore que directrice générale de Business France (et donc pas encore ministre du Travail), se réjouissait dans Le Monde du volume des investissements étrangers en France. « L’année 2016 est la meilleure depuis dix ans », jubilait-elle.

Mais alors ? Les détenteurs de capital ne seraient pas si effrayés que cela par la pression fiscale démesurée, digne d'une dictature communiste, en pratique, en France ?

Par ici le guichet...

L'affaire Mossack Fonseca ayant mis à jour quelques pratiques de dissimulation fiscale, Reflets s'était enquis auprès d'un fiscaliste qui gère des comptes très importants : "ce leak risque de créer quelques problèmes, non ?"

Sa réponse nous a surpris. Au contraire, estime cet expert, les Panama Papers ont été une aubaine. Explication...

Alors que les leaks se sont multipliés ces dernières années et dans la foulée de l'affaire Cahuzac, Bercy a ouvert en 2013 un guichet (le STDR) pour permettre aux contribuables aisés ayant "oublié" de déclarer des revenus, de régulariser leur situation. Les fiscalistes ont donc conseillé assez logiquement à leurs clients de passer au guichet. Contre une partie de ces sommes (à peu près 30%), les contribuables indélicats pouvaient régulariser leur situation.

Et selon ce fiscaliste consulté par Reflets, le passage au guichet a été "notre plus belle source de revenus". A tel point que lorsque le STDR sera fermé en fin d'année, il faudra revenir à d'autres sources de revenus. "On ne sait pas comment on va faire pour faire d'aussi bonnes années", précise-t-il.

Depuis 2013, quelque 50 000 demandes de régularisation ont été déposées, permettant de régulariser pour plus de 32 milliards d’euros d’avoirs et de recouvrer 7,8 milliards d’euros.

A croire que tous ces contribuables ne se sentaient pas effrayés par le méchant ISF que Macron a décidé de supprimer.

Soutenir le tissu industriel

En supprimant l'ISF, Emmanuel Macron allume un contre-feu pour ceux qui voudraient parler de "cadeau fait aux plus riches" et lui accoler l'étiquette de "président des riches". Il crée un impôt sur le patrimoine immobilier. Si vous possédez trop d'immobilier, vous serez taxés. A l'inverse, si vous possédez des placements financiers comme de l’assurance vie, un PEA ou des comptes titres vous ne paierez pas d'impôt de solidarité sur la fortune. Magique ! Les plus riches vont donc vendre leur immobilier pour investir massivement dans des PEA ou des actions. Et Emmanuel Macron affirme que cela va aider à soutenir le tissu industriel français. Dans une interview à Libération, Edouard Philippe précise la pensée complexe du président :

On prend "des mesures courageuses pour favoriser l'investissement productif et l'attractivité du pays. Cela passe par la suppression d'un impôt qui, objectivement, ne remplit pas sa mission, c'est-à-dire la redistribution. On supprime l'ISF parce que ça ne marche pas. Parce qu'on a fait fuir le capital. En quinze ans d'ISF, on a fait partir 10.000 contribuables représentant globalement 35 milliards de capital. Et quand ils sont partis ils ne payent pas non plus l'impôt sur le revenu. L'ISF provoque un appauvrissement de la ressource fiscale et donc de tout le pays. Voilà la réalité que l'on veut corriger." 

En quinze ans d'ISF, 10.000 contribuables sont partis avec 35 milliards. Soit. Mais il oublie de parler des 32 milliards rapatriés avec le guichet de Bercy. Avant la suppression de l'ISF...

Imaginer que les plus riches vont investir massivement dans des actions d'entreprises françaises ou soutenir des TPE/PME, cela revient à peu près à tenter de démontrer scientifiquement que la terre est plate.

Le portefeuille d'actions à la papa avec des titres classiques, c'est pour les 99%. Les 1% ont d'autres outils financiers à leur disposition qui sont plus rentables quand ils n'investissent pas dans des actions étrangères. Le report sur les actions françaises sera marginal. A-t-on d'ailleurs prévu dans ce gouvernement à la pensée complexe un outil de suivi, de mesure de ces reports ? Probablement pas. La République en Marche a bien fait voter un amendement visant à créer "dans les deux ans" une mission de suivi de la réforme, qui devra évaluer "les effets de la mesure en terme d'investissement dans les entreprises et de répartition des richesses". On prend les paris sur cette création ? Et dans le cas où la mission verrait le jour, un pari sur le résultat de ses cogitations complexes ?

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