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par Jet Lambda

Mort de Carlo Giuliani, Gênes 2001: une "pierre magique" blanchit la police de Berlusconi

L'affaire Carlo Giuliani est officiellement close depuis le 24 mars 2011. Ce jeune manifestant italien est mort il y a dix ans, le 20 juillet 2001, lors des affrontements entre altermondialistes et police antiémeute italienne en marge du triste sommet du G8 de Gênes — quelques jours après que Berlusconi ne revienne au pouvoir. La Cour européenne des Droits de l'homme (CEDH), après un premier verdict plutôt favorable à la victime en 2009, vient au contraire de donner raison aux robocops italiens.

L'affaire Carlo Giuliani est officiellement close depuis le 24 mars 2011. Ce jeune manifestant italien est mort il y a dix ans, le 20 juillet 2001, lors des affrontements entre altermondialistes et police antiémeute italienne en marge du triste sommet du G8 de Gênes — quelques jours après que Berlusconi ne revienne au pouvoir. La Cour européenne des Droits de l'homme (CEDH), après un premier verdict plutôt favorable à la victime en 2009, vient au contraire de donner raison aux robocops italiens.

Mais cet arrêt du 24 mars a été contesté au sein même de la CEDH. Pas moins de trois «opinions partiellement dissidentes» (c'est le terme juridique) ont été émises le même jour. Ces trois avis minoritaires affirment au contraire que l'Italie a bien violé l'article 2 de la Convention (dit "droit à la vie"), en n'ayant pas suffisamment respecté les procédures pour éviter la mort du jeune manifestant. Sans parler du fait que la jeep d'où est parti le coup de feu a ensuite roulé allègrement sur le corps du jeune activiste.

La "Grande Chambre" qui jugeait le cas Giuliani était composée de 17 magistrats et présidée par un Français, Jean-Paul Costa. Bien qu'une majorité se soit dégagée en faveur du gouvernement italien (10 contre 7, 13 contre 4 selon les griefs), sept juges se sont donc prononcés pour une violation de la Convention.

Inutile d'entrer dans les détails de ce verdict à géométrie variable, mais une chose semble avoir animé les débats: la théorie de la "pierre magique". C'est un mystérieux projectile, une pierre, qui aurait "dévié" la balle qui a tué Carlo Giuliani. Le policier antiémeute, Mario Placanica — qui avait le même âge que Carlo au moment des faits, à savoir 23 ans — aurait paniqué en voyant Giuliani brandir un extincteur qu'il s'apprêtait à jeter dans sa direction.

Vous connaissez sans doute la fameuse théorie de la "balle magique" — ou "[balle unique"](http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9oriedelaballeunique) selon les sources — lors de l'assassinat du président Kennedy à Dallas en 1963. Cette théorie, se basant sur les incohérences des analyses balistiques, penchait pour un deuxième tireur et considérait donc que le suspect numéro 1, Lee Harvey Oswald, n'avait pas pu agir seul, comme l'affirme encore la version officielle.

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Dans l'affaire Giuliani, c'est donc une pierre qui aurait causé sa mort. Cet élément est déterminant car il est établi que le policier a bien dirigé son arme «à hauteur d'homme» (ou de "poitrine", at chest), ce qui ne correspond pas du tout aux procédures de riposte et de légitime défense face à un homme armé d'un projectile non létal comme un extincteur.

Avaliser cette théorie permet donc de mettre sur le compte de la malchance l'issue meurtrière de ce face à face.

Extrait d'une des opinions dissidentes :

  1. Or, le cliché pris quelques instants avant le tir montre le pistolet positionné à hauteur d'homme (...) avec un angle compatible avec la blessure de Carlo Giuliani (c...). Dès lors, bien que non impossible, il est improbable : a) que M.P. ait levé son pistolet juste au moment du tir ; b) que la balle ait ricoché contre un objet volant ; c) que l'angle d'impact entre l'objet et la balle ait été de nature à permettre à cette dernière d'atteindre la victime à un endroit très proche de celui qu'elle aurait frappé si le pistolet n'avait pas changé de position.

  2. Quant à l'événement b) ci-dessus, il faut noter que les photographies prises juste avant le tir mortel ne montrent aucune pierre ou autre objet flottant dans l'air, ce qui semble indiquer qu'à des moments proches de l'explosion des coups de feu, il n'y avait pas de lancement intensif de projectiles de la part des manifestants. Cela conduit à penser que chacun des trois événements indiqués ci-dessus avait, statistiquement, une faible probabilité de se produire. La probabilité statistique qu'ils se soient produits tous les trois en succession rapide est encore moindre.

Le même avis se poursuit en invoquant un fait curieux : la charge de la preuve a été inversée!

14.  (...) lorsqu'un requérant présente des éléments amenant à croire, prima facie, qu'il y a eu usage excessif de la force meurtrière, il incombe au Gouvernement de prouver le contraire (...). Nous pensons qu'il en va de même lorsque (...) le Gouvernement invoque une théorie statistiquement peu probable : la charge de prouver que les événements très rares allégués se sont vraiment produits pesait sur les autorités. Cependant, une telle preuve n'a été fournie ni au niveau national, ni devant la Cour.

"Une pierre contre Carlo Giuliani"

Dans un autre avis minoritaire, il est question de l'autopsie, qui aurait dû démontrer la présence de cette "pierre magique".

14.  Les circonstances qui ont entouré l'autopsie permettent de déceler des défaillances imputables aux autorités (...); comme le parquet lui-même l'a souligné, le rapport d'expertise était « superficiel », les médecins ayant omis, en particulier, d'extraire et de répertorier un élément primordial, à savoir le fragment de projectile se trouvant dans la tête de la victime. Certes, il n'est pas certain que les éventuelles vérifications sur le fragment auraient donné une réponse définitive à la question de savoir si la balle mortelle avait été déviée par un objet avant d'atteindre [Carlo Giuliani]. (...) De plus, une pratique courante dans les autopsies consiste à extraire et répertorier tout objet se trouvant dans le corps et ayant pu contribuer à provoquer la mort.

L'un des experts, M. Salvi, a déclaré (...) que le fragment litigieux était très petit, très difficile à récupérer dans la masse cérébrale et, surtout, inutile aux fins des examens balistiques. (...) Les spéculations des experts quant à la non-utilité du fragment aux fins balistiques se sont d'ailleurs révélées erronées : compte tenu des déclarations [du policier], il était essentiel d'établir si ce dernier avait tiré vers le haut dans le but d'éloigner ses agresseurs ou à hauteur d'homme dans le but de les atteindre ou en acceptant le risque de les tuer. [Nous] considérons que les modalités de l'accomplissement de l'autopsie ont donné lieu à une violation du volet procédural de l'article 2 de la Convention.

Enfin, la dernière opinion dissidente prend fait et cause pour la famille Giuliani sur leur "droit à un procès équitable" dans une affaire impliquant des forces de l'ordre «dans l'exercice de leurs fonctions».

[Les requérants] ont ainsi été privés de l'appui des autorités de poursuite pour établir les faits et la preuve de ceux-ci. A cet égard, soutenir, comme le fait l'arrêt, que « rien n'empêchait les requérants d'introduire, avant ou parallèlement aux poursuites pénales, une action civile en dédommagement » (...), nous semble non seulement théorique mais aussi illusoire puisqu'en tout état de cause, la Grande Chambre estime que toute l'opération de police était parfaitement légale.

"Théorique", "illusoire", "improbable", "impossible"... Malgré ces avis tranchés, la Cour a donc blanchi les robocops de Berlusconi.

A quelques semaines du double sommet G20/G8 de Deauville, nul doute que la leçon sera retenue du côté français.

Disons enfin que cet arrêt a été accueilli par un silence assourdissant de la presse française... A part un bout de dépêche Reuters repris par 20minutes, rien à l'horizon.

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