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par Antoine Champagne - kitetoa

Loi sur le renseignement : le storytelling et les faits

Ça  allait être super, cette Loi sur le renseignement. Que du bon. Enfin, on allait encadrer des pratiques a-légales. Enfin, on allait surveiller les surveillants avec une commission ad-hoc, bien dotée. Enfin, on allait prendre en compte la nécessaire protection de la vie privée. Jean-Jacques Urvoas nous l'avait promis. Manuel Valls, Bernard Cazeneuve aussi. Tous à l'unisson. Au Parlement, nos représentants votaient quasiment à l'unanimité ces nouvelles mesures.

Ça  allait être super, cette Loi sur le renseignement. Que du bon. Enfin, on allait encadrer des pratiques a-légales. Enfin, on allait surveiller les surveillants avec une commission ad-hoc, bien dotée. Enfin, on allait prendre en compte la nécessaire protection de la vie privée. Jean-Jacques Urvoas nous l'avait promis. Manuel Valls, Bernard Cazeneuve aussi. Tous à l'unisson. Au Parlement, nos représentants votaient quasiment à l'unanimité ces nouvelles mesures. Et l'on pouvait désormais crier en coeur : "L'écoute massive, c'est la protection de la vie privée". Si, si.

Dans le même temps, le gouvernement, pour une fois extrêmement bon communiquant, bâtissait un autre storytelling qui allait prospérer au delà de toutes les espérances dans la presse : il y aura des "boites noires" et "un algorithme". Et pourtant... De boites noires, il n'y en aura pas. Pas de celles vaguement décrites par le gouvernement. Quant à "l'algorithme", il sera multiple. Lourdement multiple.

Que reste-t-il aujourd'hui de cette loi dans les faits ? Pas grand chose. Ce n'est pas une surprise, mais cela vaut le coup de prendre quelques minutes pour observer.

La CNCTR, tout d’abord, qui a été prévue pour surveiller les surveillants.

Un homme des services pour les surveiller

Son président Francis Delon était à la tête du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. C'est dire sa proximité avec les services de renseignement. Qui mieux que lui pour surveiller les services ? Il est heureux que le gouvernement ait choisi un homme du sérail plutôt qu'une personnalité reconnue pour son engagement dans le domaine de la protection de la vie privée, du droit à la confidentialité des échanges, des Droits de l'Homme... Cela aurait pu entraver le bon déroulement des opérations à venir. Francis Delon était secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale jusqu'en 2014. C'est bien pratique parce qu'à ce titre il a pu tisser des liens avec des hommes encore à la tête des services.

"Mon parcours professionnel offre toutes les garanties au regard des exigences d’indépendance et des règles de déontologie fixées par la loi pour l’exercice des fonctions de président de la CNCTR. Je connais les services de renseignement pour m’être notamment servi de leurs analyses dans les fonctions de secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale que j’ai occupées jusqu’en 2014, avant de regagner le Conseil d’Etat. Connaissance ne signifie cependant ni connivence ni complaisance", a précisé Francis Delon dans ses réponses aux questions des parlementaires.

On est priés de le croire sur parole pour ce qui est de la complaisance et de la connivence.

Comme le savent les lecteurs de Reflets depuis 2011, la France, ses gouvernements de droite comme de gauche, ses entreprises, ont joué un rôle très important dans la mise sur écoute de populations de pays entiers. Pour la très grande majorité, il s'agissait de dictatures pures et dures ou d'Etats policiers. Dans la mise en place de cette infrastructure et dans cette stratégie commerciale consistant à vendre à des gens peu recommandables, plusieurs entreprises ont joué un rôle. C'est le cas d'Amesys, de Qosmos, bien entendu, mais aussi une société moins connue : Sofrercom. Qui de plus évident qu'un dirigeant de Sofrecom pour tenir le rôle de personnalité qualifiée au sein de la CNCTR ? Patrick Puges, pourra observer de près "l'algorithme" ou "les boites noires" qu'il doit par ailleurs déjà bien connaître puisque Sofrecom les a mis en place en Syrie ou en Éthiopie.

Tout cela contribuera, on s'en doute à la bonne protection de la vie privée des Français sous le règne de la Loi sur le Renseignement. Sans "connivence ni complaisance", on vous dit.

De la cryptographie pour votre protection, ou pas...

Après le bâton (la Loi sur le Renseignement), la (supposée) carotte. Pour vous montrer que l'on prend en compte les problématiques de surveillance, les dangers d'intrusion dans votre vie privée, on imagine une autre forme de storytelling. Celui-là n'est pas mal du tout. Il permet de ne pas laisser penser que l'on est insensible à la problématique posée par les révélations Snowden et de faire croire que l'on est favorable au chiffrement des échanges. Le gouvernement annonce donc que les gros fournisseurs d'accès à Internet vont devoir chiffrer les mails qui transitent par leurs serveurs. Si le geek verra immédiatement que le type de chiffrement est inefficace pour protéger ses échanges des yeux et des oreilles des services de renseignement, madame Michu, son mari, sa fille et son fils se disent que finalement, cet Etat est en faveur de la protection des correspondances privées. Mieux, il donne le ton et demande aux FAI de s'investir dans ce sens.

Chez Reflets, on aimerait bien connaître le nom de l'agence de com' qui est derrière ce projet, parce qu'il est assez efficace, finalement. Le gouvernement fait nommer des responsables de la CNCTR qui sont tellement caricaturaux que l'on pourrait s'attendre à une levée de boucliers et pourtant... rien, le silence assourdissant nous étourdit. Il vote une série de lois liberticides à un point jamais atteint, y compris par la droite, et ... Rien. Diablement efficace.

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