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par Antoine Champagne - kitetoa

Le détournement d'attention comme méthode politique

C'est une technique pratiquée dans les arts martiaux depuis la nuit des temps : le détournement d'attention. Un mouvement détourne l'attention de l'adversaire qui est alors frappé à un autre endroit. L'attaquant peut espérer terminer ainsi le combat. Il existe des variantes plus ou moins élaborées, mais la plus courante est celle de l'attaque dans l'attaque. Le cerveau est bien fait. S'il peut parer une attaque, il a plus de mal pour en arrêter deux simultanées. Trois, cela devient impossible.

C'est une technique pratiquée dans les arts martiaux depuis la nuit des temps : le détournement d'attention. Un mouvement détourne l'attention de l'adversaire qui est alors frappé à un autre endroit. L'attaquant peut espérer terminer ainsi le combat. Il existe des variantes plus ou moins élaborées, mais la plus courante est celle de l'attaque dans l'attaque. Le cerveau est bien fait. S'il peut parer une attaque, il a plus de mal pour en arrêter deux simultanées. Trois, cela devient impossible. Il semble bien que nos politiques aient appris des arts de combat et qu'ils usent à outrance du détournement d'attention. Nicolas Sarkozy en avait un art subtil. Il avait choisi la méthode du deux pas en avant, un pas en arrière (si vous savez compter, vous avez compris qu'il a avancé d'un pas en mimant une retraite) tout en lançant une nouvelle attaque, généralement un incongruité plus grosse que la précédente, ce qui masquait le pas en avant réalisé. François Hollande et Manuel Valls ne sont pas en reste.

Alors que les journaux relatent chaque jour un peu plus les brutalités policières contre les manifestants opposés à la Loi El Khomri, vient de surgir un nouveau "sujet" qui tourne en boucle et déclenche une pluie d'avis d'experts plus ou moins sérieux. C'est le salaire de Carlos Ghosn. Sujet de Une du la newsletter éco du Monde.fr.

Tu vas voir ma loi !

Et si la couverture du sujet faiblit, pas de souci, une déclaration martiale d'un ministre suffit à la relancer. Aussitôt pensé, aussitôt fait avec Emmanuel Macron, chantre de la justice sociale, qui menace les grands patrons de légiférer s'ils ne savent pas modérer leurs ardeurs à s'augmenter et se payer des sommes faramineuses. Fouyouyouille... La trouille des grands patrons... L'intérêt des rédactions ! Le fera-t-il ? Que se passera-t-il ? Les grands patrons vont-ils plier ? Pourront-ils se passer de leurs millions d'argent de poche ?

Oui, sauf que voilà, ce n'est absolument pas un sujet neuf. François Hollande avait déjà lancé cette menace en 2013 en annonçant un projet de loi sous deux semaines. C'est long deux semaines qui durent près de quatre ans.

Ce qui est intéressant, c'est ce qui se passe ailleurs. Là ou l'attaque arrive.

Il suffit de regarder avec attention pour le découvrir.

Bien entendu, on peut immédiatement penser aux manifestants qui se font largement tabasser, gazer, arrêter, juger en comparution immédiate [Lien Mediapart- paywall] (cette justice de luxe ). Ce sont les premières victimes de ce détournement d'attention. Pendant que la presse parle du salaire de ce pauvre monsieur Ghosn, elle parle moins des violences policières soutenues et encouragées par le gouvernement de Manuel Valls.

Mais il y a mieux. La crise à venir. Celle qui va achever les populations des pays dits "riches". Le système capitaliste produit des crises à intervalle plus ou moins réguliers. Elles sont généralement le produit de bulles spéculatives. Un produit voit son prix augmenter de manière hallucinante pendant quelques années, puis la bulle explose car, chaque trader le sait, "les arbres ne montent pas au ciel". Paf, c'est la crise, tout s'écroule. Dans l'affaire, tout le monde n'est pas perdant. Le secteur financier, souvent à l'origine de la crise s'en tire avec sa pirouette habituelle, son incantation magique : "risque systémique". Les gouvernement, craignant un effet domino si de grosses institutions font faillite renflouent le secteur financier qui repart immédiatement sur une autre bulle. Sans bulle, pas de profits mirifiques.

La dernière crise en date est celle de 2008, dite des subprime, suivie par une crise de la dette souveraine (celle des Etats surendettés. Mais la prochaine ? Ce sera quoi ? La bulle actuelle, où est-elle, me direz-vous ?

Pendant que l'on s'occupe du salaire de monsieur Ghosn, on ne vous parle pas de ces bulles, de la crise à venir qui finira de vous ratatiner. Oui, parce que quand l'Etat a renfloué le secteur financier, il faut bien qu'il se renfloue lui-même. Et pour cela, il y a... Les contribuables.

Crise, ô ma crise

Les possibles crises à venir sont multiples. Faites votre choix...

Il y a bien entendu le High Frequency Trading. Mais pas uniquement. C'est ça qui est sympa, dans une société de consommation, il y a une offre plantureuse. La Chine par exemple. Complètement à la ramasse, cette économie survendue risque bien de s'écraser sur le mur de la réalité à un moment ou un autre et comme il s'agit de notre plus gros client... Ne parlons même pas de ses avoirs de dette américaine.

Cherchons encore. Ah, oui, l'Europe... La zone euro et ses pays faibles comme la Grèce (vous en entendez encore parler dans la presse ?), l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la France, dans une moindre mesure...

Avec les politiques d'arrosage massif et automatique du secteur financier (de l'argent gratuit - 80 milliards d'euros par mois - pour financer l'économie réelle les investissements pour compte propre des banques sur les marchés financiers), la Banque européenne a créé une situation très amusante. La Zone euro est endettée comme jamais. On ne voit pas comment cela pourrait finir mal. La Banque centrale européenne vient d'annoncer que sa prévision d'inflation et celle concernant la croissance était revue à la baisse. Deux indicateurs qui devraient être à la hausse.

Le marché des dérivés qui est soutenu par cet argent gratuit a explosé depuis la dernière crise (il représente environ 10 fois l'économie mondiale) et menace. Pour vous donner une idée, le marché des dérivés de taux représente environ 500 000 milliards de dollars aujourd'hui alors que celui des CDS qui a déclenché la crise de la dette souveraine était alors d'environ 50  000 milliards.

On va se marrer...

Mais pourquoi parler de tous ces trucs compliqué quand on peut parler du salaire de M. Ghosn ? C'est plus facile à comprendre pour tout le monde, pour les journalistes et pour les lecteurs. Et puis ça a un avantage : ça détourne très bien l'attention de tout le monde.

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