Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Fabrice Epelboin

L'Astroturfing à l’Elysée, c’est maintenant™

En guise d'introduction, une petite histoire drôle (ou pas) sur ce que permettent les technologies et les méthodologies d'Astroturfing en politique, afin de comprendre en quoi tout cela représente un danger pour les démocraties et en quoi il y a de bonnes raisons de s'affoler de voir cela débarquer chez nous. L'exemple Coréen L'histoire se passe à l'autre bout du monde, dans un pays bien plus connecté que la France, la Corée (du Sud). En décembre dernier, la Corée vote pour élire son président.

Stephen-Colbert-Popcorn
Stephen-Colbert-Popcorn
En guise d'introduction, une petite histoire drôle (ou pas) sur ce que permettent les technologies et les méthodologies d'Astroturfing en politique, afin de comprendre en quoi tout cela représente un danger pour les démocraties et en quoi il y a de bonnes raisons de s'affoler de voir cela débarquer chez nous.

L'exemple Coréen

L'histoire se passe à l'autre bout du monde, dans un pays bien plus connecté que la France, la Corée (du Sud). En décembre dernier, la Corée vote pour élire son président. La candidate sortante, Park Geun-hye, doit, a quelques jours du scrutin, creuser la distance avec son adversaire Moon Jae-in. étonnamment (ou pas), à moins de dix jours du scrutin, une vaste campagne de calomnie frappera le candidat de l'opposition. Pas moins de 24 millions de tweets, des millions de commentaires et autant d'interventions dans divers médias sociaux Coréens auront raison de l'eReputation de son adversaire, accusé d'être à la solde des nord coréens (l'équivalent local de l'accusation de facho, si courante ces temps-ci en France et placardé sur tout ce qui peut déranger la majorité gouvernementale).

L'histoire ne dit pas si cette campagne de calomnie a été décisive dans la victoire de Park Geun-hye, mais la suite est croustillante : quelques semaines après l'élection présidentielle, une cellule des services secrets dirigée par Won Sei-hoon sera démasquée et désignée comme ayant orchestré, avec une petite équipe, cette gigantesque campagne de calomnie, et avec la complicité de quelques «influenceurs» locaux.

Quelques mois plus tard, une autre cellule, au sein de l'armée, sera également accusée d'avoir participé elle aussi à l'opération. (Rapport intermédiaire ici). L'instruction est en cours, avec une succession d'entraves à la justice par l'exécutif Coréen qui n'est pas sans rappeler le fonctionnement des institutions de la Ve République Française.

Les technologies d'Astroturfing utilisées lors des dernière présidentielles Coréenne ont-elles eu raison de sa démocratie ? Des manifestations monstres, dont curieusement personne ne parle en France, qui demandent l'annulation des élections, sont en train de le décider en ce moment, et l'avenir nous le dira.

manifestations-coree
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Mais la Corée n'a pas pour seul intérêt de nous dépayser et de nous fournir des smartphones à bas prix, c'est aussi le pays le plus connecté de la planète, où le débit moyen a de quoi rendre jaloux tous les geeks de la terre et le taux de pénétration d'internet au sein de la population est proprement ahurissant. C'est du coup une bonne façon de regarder la façon dont l'usage massif d'internet par le pouvoir comme par la population peut altérer le fonctionnement d'une démocratie. En l'occurrence, la tuer.

Meanwhile in France...

En France, même si nous somme l'un des champion du monde des technologies de surveillance, nous sommes loin, très loin, d'avoir une telle maîtrise au plus haut niveau du pouvoir des technologies d'Astroturfing. Ce qui laisse (peut-être) une petite chance à la population d'ouvrir les yeux avant de se retrouver dans l'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui la démocratie Coréenne.

A tout seigneur tout honneur, l'histoire de l'Astroturfing en France commence par le chantre de la transparence, Jean-François Copé, dont le trucage systématique des "sondages" mis en ligne par la presse lui a permis de faire apparaître sa candidature comme crédible, alors qu'elle faisait rire tout le monde au départ. L'affaire (restée fort discrète) sera ébruitée par son concurrent, François Fillon, en direct sur le plateau du Grand Journal.

Quelques temps plus tard, c'est l'entourage de Manuel Valls qui se fera prendre la main dans le sac de faux «likes» dans une opération destinée à faire croire à un engouement populaire autour d'un projet de grand stade.

Aujourd'hui, c'est de Faouzi Lamdaoui, un proche conseiller de François Hollande (que Le Monde n'hésite pas à qualifier de "Sherpa") dont nous allons vous parler, avec pour remarque liminaire, outre qu'il semble être habitué à ce que la justice qualifie de "faux et usage de faux"  le fait qu'on pourrait y ajouter une inculpation pour "manque absolu de discrétion" et "éléphant dans un magasin de porcelaine". Jugez plutôt. Après s'être fait pincer pour une histoire d'achat de pain au chocolat douteux voici que Faouzi Lamdaoui se fait attraper pour achat de followers en masse sur Twitter.

La progression d'un nombre de fans est habituellement quelque chose d'assez linéaire, mais chez Faouzi Lamdaoui, pas vraiment.

evolution-followers
evolution-followers

Les deux montées brutales en nombre de fans correspondent très clairement à deux campagnes d'achat de fans distinctes. Comme d'habitude, on a délocalisé les fans, ceux-ci sont indonésiens, ce qui fait un peu désordre (pdf ici).

"Le numérique révolutionne la communication politique, qui doit désormais se déployer dans l’instantanéité, la réactivité, l’interactivité, et passer par l’épreuve de la critique immédiate, du commentaire à chaud, de la sanction multiforme des citoyens."

Faouzi Lamdaoui (lien)

Critique immédiate, donc. Le trucage, ici, ne fait pas le moindre doute quand on passe le compte à la moulinette de divers outils...

Mais c'est avant tout l'usage que Faouzi Lamdaoui fait des botnets Twitter qu'il s'est acheté qui plante le décor, et qui l'empêchera de plaider l'habituel "c'est pas nous™" ou "on savait pas™" utilisé de façon systématique comme joker par les communicants dans ces circonstances (ce qui pour le moment semble être sa ligne de défense, comme ici, chez Europe 1).

Capture d’écran 2014-03-07 à 16.16.27
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[Le numérique] «doit jouer sur l’effet de surprise, sur les vitesses d’exécution, sur la maîtrise des codes internétiques pour provoquer le bon buzz et réussir son impact informatif.»

Faouzi Lamdaoui (lien)

Capture d’écran 2014-03-07 à 16.19.23
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proxy
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Car Faouzi Lamdaoui ne s'est pas contenté de s'acheter des followers, il achète également des 'retweets', permettant de donner un maximum de visibilité au moindre de ses tweets, et dans des proportions qui sont pour le moins déraisonnables.

Ainsi, ses derniers tweets cumulent chacun plusieurs milliers de retweets et de mise en favoris, y compris et en particulier pour les plus creux (voir ci dessus), un score qui n'a rien de crédible avec à peine plus de 40.000 followers, la proportion entre followers et retweet étant pour le moins délirante. A trop vouloir bien faire...

L'animal semble également - selon les analyses d'un célèbre blogueur politique (étiqueté Modem) acheter des statuts sponsorisés sur Facebook (voir ci contre), ce qui, pour le coup, n'est pas triché.

Par contre, l'utilisation de meatpuppet dont le seul destin est de congratuler "l'exceptionnel raisonnement" du "cher conseiller" est des plus cocasse...

Capture d’écran 2014-03-07 à 16.29.29
Capture d’écran 2014-03-07 à 16.29.29

(à y regarder de près, le meatpuppet en question est aussi impliqué dans le léchage de bottes tunisiennes, nous y reviendrons).

Plus drôle, le bug qui tue : le botnet utilisé par Faouzi Lamdaoui s'est visiblement emballé - il doit être configuré pour booster la visibilité de tout ce qui mentionne son mentor, et n'a pas du tout prévu le cas de figure où des critiques se feraient jour...

Capture d’écran 2014-03-07 à 16.34.24
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Ce que ne manque pas de remarquer immédiatement Luc Mandret, le propriétaire du compte, faisant voler en éclats l'excuse utilisée par Faouzi Lamdaoui qui expliquait à Europe 1 n'avoir rien remarqué...

Le bug semble avoir été corrigé entre temps, mais a laissé le temps à la communauté des twittos de s'amuser un peu...

Capture d’écran 2014-03-07 à 17.11.06
Capture d’écran 2014-03-07 à 17.11.06

Bref, on progresse dans l'Astroturfing à la Française, et Faouzi Lamdaoui est sans doute ce qu'il y a de plus expert à ce jour, mais même s'il n'en est pas à son coup d'essai en terme d'Astroturfing - en témoigne cette campagne de diffamation orchestrée à l'encontre de Charlie Hebdo à la suite d'un article le critiquant - il reste au Cher Conseiller encore bien des progrès à faire avant d'arriver à la cheville des Coréens.

Vous avez évoqué les nouvelles menaces d'Internet, outil merveilleux de diffusion et d'échange, mais [...] le numérique peut aussi servir de déversoir [...] à l'endoctrinement. Le numérique doit donc avoir ses règles.

François Hollande (diner du Crif, 2014)

En soi, cette opération d'astroturfing n'est pas un drame et c'est plutôt risible, mais c'est un signal faible de première importance, cela montre de façon claire qu'au sein de l'Elysée, on commence à expérimenter avec des approches et des usages de l'internet permettant de mettre en œuvre de gigantesques opérations destinées à manipuler l'opinion publique, ce qui laisse présager, tôt ou tard, d'incidents démocratiques similaires à ce qu'à connu la Corée en décembre dernier.

MISE A JOUR

Opération de diversion ? Depuis la révélation de la campagne d'astroturfing mise en place par Faouzi Lamdaoui, de nombreux politiciens ont vu leur nombre de followers exploser. Une étrange coïncidence...

Capture d’écran 2014-03-08 à 14.24.13
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