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par Rédaction

La guerre, ça fait des vrais morts

Bombarder ou ne pas bombarder la Syrie, la question est sur toutes les lèvres des politiques et au bout de tous les stylos des journalistes. Tous les arguments sont sur la table et pourtant, il n'y a aucune réponse satisfaisante. Mais comment trouver une réponse satisfaisante dans un contexte de guerre ? Ceux qui en sont revenus le disent depuis la nuit des temps. La guerre est quelque chose de terrible, sale et profondément (in)humain.

Bombarder ou ne pas bombarder la Syrie, la question est sur toutes les lèvres des politiques et au bout de tous les stylos des journalistes. Tous les arguments sont sur la table et pourtant, il n'y a aucune réponse satisfaisante. Mais comment trouver une réponse satisfaisante dans un contexte de guerre ? Ceux qui en sont revenus le disent depuis la nuit des temps. La guerre est quelque chose de terrible, sale et profondément (in)humain. Désolé, il n'y a pas et n'y aura pas de bonne réponse à cette question.

Dans un conflit, les belligérants utilisent des armes dévastatrices selon leurs besoins. Plus on est dans une situation difficile, moins les considérations morales ont du poids dans les décisions qui sont prises. Il n'y a pas de gentil et de méchant dans un conflit armé. Tout le monde est méchant. Sauf les civils. L'Histoire est là pour le prouver à ceux qui en douteraient encore.

Les forces de Bachar el Assad ont plus que probablement utilisé des armes chimiques. Les rebelles aussi, peut-être. Dans une bien moindre mesure évidemment, ne disposant pas des missiles, hélicoptères et autres avions que l'armée de Bachar el Assad possède en nombre, tout comme les stocks desdits gaz. La possibilité que les rebelles aient pu utiliser des gaz a été évoquée par une experte de l'ONU, ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mandatée en avril dernier lors de la première utilisation d'armes chimiques en Syrie : Carla Del Ponte

Ce que pense lui, aussi Alain Chouet, un ancien chef du service de renseignement de la DGSE, ancien secrétaire à l'ambassade de France à Damas dans les années 70 :

"Ce dont je suis persuadé, parce que je connais bien la Syrie, depuis maintenant presque 50 ans, c'est que les deux parties sont tout à fait capables de mener ce genre d'action, aussi bien le régime que les rebelles. Moi, pour l'instant je n'ai pas d'éléments probants pour pointer le doigt sur l'une ou l'autre des deux parties. Un certain nombre de responsables politiques français et étrangers disent qu'ils ont la "preuve que", la "conviction que", mais je ne vois pas la preuve, ni ce qui étaye la conviction, alors que moi j'ai des éléments qui me font douter de tout ça, et je n'ai pas la preuve que ce soit l'une des deux parties plus que l'autre."

Dans un conflit comme celui de la Syrie, l'information validée, précise, est la denrée la plus rare. Chaque camp accuse l'autre des pires turpitudes "preuves à l'appui". Pour les rebelles, c'est Bachar el Assad et ses troupes qui utilisent des armes chimiques. Pour l'autre camp, ce sont les rebelles.

Bien malin celui qui pourra les départager. Quoi qu'en disent les "documents" publiés par l'Armée française hier.

Depuis quelques mois, les politiques, Barack Obama en tête, ont annoncé que l'usage d'armes chimiques contre la population constituerait une "ligne rouge" qui déclencherait des représailles.

On objectera que selon les décomptes les plus pessimistes, les armes chimiques ont fait environ 2000 morts en Syrie sur un total de 110.000. Voilà une ligne rouge qui est étrangement justifiée. Les armes conventionnelles font également des morts et en masse. Mais là, pas de ligne rouge ? A partir de combien de morts dans un conflit qui touche principalement des civils doit-on dessiner une ligne rouge ? Il est toujours trop tard.

Décideur politique, dis-moi quelle est ta ligne rouge et je te dirais quelle est la part d'intérêt pour les populations locales qui guident tes décisions guerrières...

Montrez-nous le méchant

Depuis quelques décennies, les opinions publiques des pays les plus développés sont habituées à devoir prendre parti pour ou contre des interventions militaires à vocation "humanitaires" (notez l'oxymore), et déclenchées par leurs gouvernements. C'est bien ça qui est décrit… Et l'habitude a été prise d'accepter ça.

Le devoir d'ingérence, théorisé par le professeur de Droit Mario Bettati et médiatisé par Bernard Kouchner, puis brandi en permanence par Bernard Henri-Levy est désormais une nouvelle forme de solution (géo)politique : les pays les plus riches, en paix, doivent aider les plus faibles et résoudre leurs conflits. Même si la souveraineté des dits pays en conflits doit en pâtir, ou les conséquences de l'intervention créer un remodelage politique, économique et social pire que le précédent.

Les gendarmes du monde montrent le méchant, expliquent à leurs populations l'obligation morale d'attaquer le "méchant", de le tuer, de sauver les "gentils", et s'octroient des prix nobel de la paix entre eux. Jusqu'à la seconde guerre d'Irak, ce fonctionnement datant de la fin des années 80 a été plutôt bien accepté : les populations des pays membres du G7 d'alors y trouvaient une forme de reconnaissance de leur statut privilégié potentiellement mal vécu du fait de l'histoire coloniale. "Nous avons fait beaucoup de mal à ces populations, aujourd'hui, nous les sauvons de leurs propres dictateurs". Jusqu'à l'invasion "démocratique" de l'Irak par les forces "alliées"…

La fable du garçon qui criait "au  loup !"

Les plus âgés connaissent ce conte du garçon qui criait au loup : ce jeune berger qui garde des moutons, et qui, pour se moquer des gens du village, s'amuse à les alerter en criant "au loup !". Les villageois descendent jusqu'au pré du jeune berger, armés de fourches, inquiets, et trouvent celui-ci mort de rire : 'je vous ai bien eus'. Le jeune berger s'amuse une nouvelle fois à crier au loup, le village une nouvelle fois se précipite à son secours, et là encore, le berger se moque. La troisième fois où le jeune berger appelle au loup, un loup arrive véritablement et le village, qui n'a plus envie de se déplacer pour se faire railler, ne fait rien. Le loup dévore les brebis et le jeune villageois.

La morale de l'histoire est assez claire : à force de mentir pour arriver à leurs fins, les Etats se décrédibilisent, au point que plus personne dans la population ne peut adhérer à leurs décisions. Surtout quand elles sont reliées à un devoir d'ingérence militaire dans des pays, dont les dirigeants déclarés "dictateurs à abattre", étaient des partenaires très fréquentables peu de temps auparavant.

La perte de crédibilité des politiques sur leur terrain national est donc patente depuis des années. Internet n'y est d'ailleurs peut-être pas pour rien. Cette perte de crédibilité alimente largement toutes les thèses conspirationnistes.

Cette situation est préjudiciable pour la Démocratie (notez le D majuscule), mais s'il fallait trouver un coupable, ce sont les politiques qu'il faudrait désigner en premier, avant de se tourner vers les électeurs qui les élisent et les ré-élisent...

Les services de renseignement, qui ont tendance, dans l'inconscient général à représenter l'Etat dans toute sa "splendeur", se sont également décrédibilisés à un point qui laisse pantois.

On se souvient du secrétaire d'Etat américain, Collin Powell brandissant une fiole remplie d'une poudre blanche à l'ONU pour justifier l'attaque de l'Irak.

On se souvient des tonnes de "preuves" des services de renseignement américains sur la détention par l'Irak d'armes de destruction massive (ADM) pour justifier une intervention. On se souvient surtout de la suite : après des mois de recherches effrénées par les GI dans le pays, il a été impossible de trouver la queue d'une ADM en Irak.

Ces actions douteuses des services de renseignement ne datent pas d'hier ni de la guerre en Irak. C'est dans l'ADN de ces services de tromper l'ennemi et parfois ses propres patrons.

Le garçon qui criait "au loup !"... Nous revoici partis à l'assaut d'un méchant dictateur Syrien que toutes les démocraties invitaient en grande pompes (Nicolas Sarkozy en tête) il y a peu, que tous les magazines féminins approchaient pour interviewer sa si charmante femme...

Il faut aujourd'hui d'urgence contrôler son arsenal d'armes de destruction massive.

Quid de la France, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, de la Russie ? Tous ces pays sont chargés à bloc d'ADMs. Ah, oui, ce n'est pas la même chose...

Démocratie tout de suite !

La région est truffée de dictateurs, d'oligarques, de profiteurs. Les ressources naturelles de l'Afrique sont pillées par les occidentaux et les dictateurs locaux. Tout va bien.

Jusqu'au jour où les peuples n'en peuvent plus, tant on leur ne laisse que des miettes.

Le printemps arabe a fait naître des espoirs. Des dictateurs ont été renversés.

Et des peuples ont ensuite encore une fois été trahis. La révolution égyptienne a été volée au peuple, la révolution tunisienne n'a pas encore porté les fruits escomptés... une constituante interminable.

Et toutes ces révolutions que nous n'avons pas reconnu, que nous n'avons pas médiatisées, qui ont été écrasées, comme Yémen ou au Bahrein... et que dire de ce qu'a produit l'intervention unilatérale française en Libye ?

Les opinions publiques occidentales attendaient de voir s'installer une vraie démocratie, une démocratie bien comme la leur, une démocratie bien occidentalisée. Tout de suite, pas demain. Tout de suite.

Ce n'est pas arrivé. Des barbus se sont installés au pouvoir. Ils étaient un tantinet "rigides". Assez loin de la démocratie façon occidentale.

En Egypte, l'Armée a montré son vrai visage que les spécialistes du pays connaissaient bien. Elle a renversé un pouvoir légitimement élu.

On s'est encore éloigné de la démocratie à l'occidentale.

Mais... Oh, wait, la démocratie à l'occidentale, elle s'est installée du jour au lendemain ?

La paix dans cette région du monde, l'occident, ou plus largement, le "Nord de la planète", ne date que de la fin de la deuxième guerre mondiale.

Avant cela, on a connu la Terreur post révolutionnaire, Napoléon et ses campagnes ravageuses en termes de vies humaines, Hitler et sa folie meurtrière à l'encontre des Juifs, son délire expansionniste qui a précipité dans l'horreur des troufions du monde entier.

Il y eut aussi la dictature stalinienne, avec ses camps, sa propagande. L'ex-union soviétique qui est aujourd'hui une étrange démocratie avec des élections fumeuses, où un seul homme, Poutine, un ancien des services secrets soviétiques tient d'une main de fer (toutes) les affaires du pays.

La Russie de Poutine est membre du conseil de sécurité de l'ONU, comme le sont les USA, où le "bon Barak Obama", président de "la plus grande démocratie de la planète", prix Nobel de la Paix 2009, réunit ses conseillers militaires chaque semaine pour décider d'assasinats ciblés par drones dans des pays lointains.

Se permettre de vouloir défendre la veuve et l'orphelin, sauver les peuples des méchants quand on est soi-même dans cette position, pour des dirigeants occidentaux, est un message qui devient de plus en plus difficile à faire passer aux citoyens. Citoyens de plus en plus éclairés et de moins en moins dupes…

In fine, les seuls véritables perdants, dans toutes ces histoires, ce sont les peuples, ceux qui dans la rue, perdent la vie pour une cause : la liberté et la Démocratie. Mais aussi, les millions de civils, pris entre deux feux.

Et du côté des pays riches, en paix, vouloir se placer d'un coté ou d'un autre, demander une intervention armée, ou une aide militaire, devient alors un périlleux exercice à la limite de l'indécence : la Syrie n'est pas une téléréalité ou un Medal of Honor avec lequel il serait possible de jouer. La Syrie est surtout un peuple épuisé par deux années de guerre civile qui n'aspire qu'à une chose, la paix.

Nos puissances occidentales ont bombardé un peu partout dans le monde depuis des décennies. Force est de constater que ceci n'a jamais vraiment fonctionné. Et si on essayait de leur bombarder un peu de paix maintenant ? Avec autre chose que des canons et des missiles ?

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