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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Europe : les gentils et les méchants

Il y a des sujets qui interdisent toute modération. On est dans un camp ou dans l'autre. L'analyse rationnelle est bannie. C'est le cas de la politique (on est de droite ou de gauche), mais aussi de l'Europe. On est pro ou anti-européen.

Il y a des sujets qui interdisent toute modération. On est dans un camp ou dans l'autre. L'analyse rationnelle est bannie. C'est le cas de la politique (on est de droite ou de gauche), mais aussi de l'Europe. On est pro ou anti-européen. Ainsi, si l'on explique que la construction Européenne est en panne et que l'Euro souffre terriblement, comme l'économie des pays membres, qu'à défaut de prendre des décisions radicales, le système court à sa perte, avec, dans le sillage les citoyens qui payent les pots cassés, on est forcément anti-européen, on n'aime pas sa monnaie, on est... un méchant.C'est en tout cas l'impression qui ressort à la lecture des récents papiers de Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles de Libération. Ses articles sont très souvent passionnants. Ces derniers temps, il s'en prend aux oiseaux de mauvaise augure qui relayent les mauvaises nouvelles concernant l'Euro et les pays de la périphérie, comme disent les anglo-saxons. C'est à dire les pays en difficulté (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Belgique, etc.). Ces derniers temps, ce sont en vrac, l'économiste Roubini, Reuters, Der Spiegel, qui en ont pris pour leur grade. Accusés de véhiculer de fausses informations et de pousser ainsi la pauvre BCE a racheter de la dette du Portugal pour éviter une catastrophe lors de l'émission d'hier. Malheureusement, la BCE n'a pas besoin de "rumeurs" sur l'état du Portugal pour être obligée de racheter de la dette. Elle le fait depuis un moment et, toujours malheureusement, les fondamentaux macro-économiques de ces pays la forcent à agir ainsi, bien plus que des "rumeurs" relayées par la presse. L'émission d'hier était effectivement un test. Car, si le Portugal n'avait pas pu placer ses titres à long terme à moins de 7%, il y avait de fortes chances pour que l'aide européenne soit déclenchée à toute allure, histoire d'éviter qu'un nouveau domino ne tombe. Parlons deux minutes de cette émission d'hier. Et tentons de sortir de la dualité gentils/méchants.Le Portugal a passé ce test en émettant des titres à 10 ans à un taux de 6.71% (c'est à dire une fraction en deçà des 7%) avec un bid to cover de 3,2. Mieux que lors de la précédente émission. Mais cela a eu un coût important. Restons factuels. Selon Nomura, la BCE a acheté entre 1 et 1,5 milliard d'euros de dette souveraine les deux jours précédents. Ajoutons à cela que la Chine et le Japon ont annoncé vouloir soutenir les pays comme le Portugal et l'Espagne en achetant de la dette. Imaginons un instant ce qui se serait passé si ces trois soutiens n'avaient pas eu lieu... Cela me rappelle une discussion avec un banquier, ancien du FMI, le lendemain de Noël. Il convenait volontiers que la situation européenne était désastreuse. Vint ensuite le sujet du schéma de Ponzi consistant à passer la dette au voisin. Les ménages s'endettent, les banques s'endettent, l'Etat les sauve, les Etats s'endettent, les Banques centrales les sauvent, les Banques centrales s'endettent, qui sauvera les instituts d'émission ? Petit sourire en coin du banquier :

"Si les banques centrales se retrouvaient dans une situation difficile, toutes les autres banques centrales viendront à leur rescousse. Les Chinois, mais pas seulement, tous, même les plus improbables..."

Depuis cette conversation, les Chinois et les Japonais ont annoncé vouloir aider... Dire tout cela, ce n'est pas être anti-européen. C'est constater des faits. Oui, le Portugal est dans une situation difficile. Peu de rentrées fiscales, un budget mal en point, un secteur privé très endetté, des investissements étrangers extrêmement faibles. Oui, sans un soutien massif (et moins visible que le recours au fonds de soutien) de la BCE, de la Chine, et de  dieu sait qui, le Portugal est proche de faire défaut. Rassurons Jean Quatremer, il n'y a pas de quoi se réjouir. Bien au contraire. C'est une crise économique massive qui devrait s'installer dans le sillage de la crise de la dette souveraine. A coup de plans d'austérité, de solutions ultra libérales dont on connait déjà les effets (elles ont déjà été appliquées ailleurs), les citoyens européens vont avoir des années très, très difficiles.

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