Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Robert Matrice

Do you speak tout est normal ?

Encore un nouveau trajet. C'est surprenant, je parierai sur un accord avec les casseurs, ils sont en train de cartographier toutes les banques de Paris. Mais un nouveau trajet, ça veut dire du stress, peu de visibilité pour savoir où l'on est, ce qui reste comme trajet. Le bon point du choix d’un départ Place d'Italie, c'est que l'on est aux portes du quartier sud-est asiatiques, et l'on peut donc troquer l'éternelle merguez pour une brioche à la vapeur.

Encore un nouveau trajet. C'est surprenant, je parierai sur un accord avec les casseurs, ils sont en train de cartographier toutes les banques de Paris. Mais un nouveau trajet, ça veut dire du stress, peu de visibilité pour savoir où l'on est, ce qui reste comme trajet.

Le bon point du choix d’un départ Place d'Italie, c'est que l'on est aux portes du quartier sud-est asiatiques, et l'on peut donc troquer l'éternelle merguez pour une brioche à la vapeur. L'ambiance est détendue, le temps favorable. Aucune idée de la direction que doit prendre la manif, mais la place est dense, et le camion de la CGT spectacle fait son show, et ils sont bons, ça change du Zebda en conserve. Le son est puissant, tout vibre aux pulsations des enceintes.

Je suis à la bourre, et plutôt en queue de manif, je remonte pour avoir un peu de visibilité. Il y a beaucoup d'imports de régions, quelque chose comme 600 bus a déversé des hordes de syndicalistes. Il y a même des bigoudènes violettes, avec des bouteilles en plastique peintes. La densité de drapeaux est impressionnante, les gens sont regroupés par entreprise, mais c'est le foutoir, on n’a pas le classique rangement par syndicat. Ce n'est pas plus mal.

Je remonte la manif et tombe sur un carré de casques colorés, en rangs serrés, menés au son du tambour. Ce sont les dockers du Havre. Impressionnant. Ça ressemble au choc d'un lecteur de Alix qui verrait 300 pour la première fois. Autant de testostérone qu'une pub Taureau ailé qui aurait abusé de Red Bull. Et surtout, une fanfare devant, qui donne le ton. Équilibre comme une pizza aux chips, cette fanfare est composée de caisses claires, et d'une grosse caisse. Avec le rythme, et la masse dense, derrière eux, rien ne semble pouvoir les arrêter. Le chef d'orchestre, celui qui a les plus gros biceps tatoués, forme un cercle avec la fanfare, tous regardants vers le centre. Comme la manif est bloquée, ll fait un peu agrandir le cercle, sort un truc de sa poche, un cylindre de 15cm avec un petit pied, qu’il pose par terre, au centre du cercle, en voyant ça, les musiciens agrandissent brusquement le cercle au taquet, certains dans la foule se bouche les oreilles. À Rome, fait comme les Romains, je fais de même. Mais ce quoi ce machin? ah tiens, il y a une mèche, qu'il allume. Le bruit de l'explosion est massif, suivi par un gros nuage blanc. Un chienchien à sa mémère fait une crise de panique dans les bras de sa patronne. Tedieu, ça ne doit pas se trouver en farce et attrape, ce machin!

C'est un peu ballot de mettre la meute de bisons en fin de cortège, peu de chance qu'ils rencontrent des CRS qui cherchent des noises.

Je continue d'avancer pour voir des choses. Tout est normal. La plupart des gens ont des masques à portée de main. Les journalistes ont fait évoluer la mode, elles ont de discrets casques d'équitation.

L'ambiance est détendue, les gens sont là avec leurs copains de boulots, il n'y a pas encore de CRS pour bloquer les rues adjacentes. Il fait beau, les platanes sèment leur pollen dans une ambiance bucolique.

Les CRS que l'on voit sont super en retrait dans les voies perpendiculaires. À un gros croisement, ils sont même en train de replier leur mur de grillage, alors qu'il reste encore de tonnes de manifestants. Devant un escalier descendant vers un parking souterrain, les gens sont goguenards. En jetant un oeil dans le trou, je vois une grosse poignée de CRS déployé au fond du trou, qui ressentent bien le ridicule de leur situation.

Ça avance plutôt bien, les CRS sont plus proches, mais détendus. De grands grillages bloquent les côtés. Ça donne un peu une impression de feria, avec un laché de manifestant qu'il faudrait canaliser.

Une dame traverse la foule en diagonale, pour se diriger vers les grillages. Elle marche comme un zombie, accompagnée par des gens inquiets. Elle est drapée dans une couverture de survie dorée, et porte un gros bandage sur la tête. Les CRS refusent de la laisser passer, avec leur classique "non non non". Un des flics lâche l'affaire, et l'accompagne lui même jusqu'aux pompiers, dont le camion est en retrait. Clairement, elle était inquiétante. Je ne sais pas ce qu'elle a pris dans la tête, mais clairement, ce n'est pas un truc recommandé par l'OMS.

Je continue d'avancer jusqu'à la barrière de SO, le début officiel de la manif syndicale, au-delà, ce sont les manifestants créatifs, qui n'aiment ni les flics, ni les flics, euh, les SO. Casques, gants renforcés, grosses lunettes, voir masque à gaz, mixte.

Ça commence à bien bloquer. Une vague de huées se déplace dans la foule. C'est un type qui remonte la foule avec sa grande pancarte. Un portrait de Hollande, béat, avec un gros titre : "La honte", écrit bien gros. Le nouveau slogan, cette fois-ci, fait consensus : "Tout le monde déteste le PS".

Devant, on voit les nuages de gaz, les gros boums sourds. Ce ne sont plus les pétards cette fois-ci. Le vent est fort, les lacrymos ont du mal. Ah tiens, tout devant, une baleine doit passer, on voit l'énorme jet d'eau. Tout est normal.

L'attente est longue. Ah, ça redémarre. Ah tiens, le ciblage des casses de vitrines devient brouillon. Les banques et les panneaux de pubs, c'est un classique, mais le marchand de lunettes ou un croquemort, j'ai un peu plus de mal à voir la portée symbolique. Le sol est jonché de dosettes de sérum physiologique, de sachets de Maalox. Les palets noirs, les bouchons des grenades lacrymaux stagnent dans les caniveaux. Le goudron est grignoté, pour servir de projectile. Le sol est maintenant mouillé, comme à la fin du marché, quand la voirie passe le jet. Le canon à eau n'y est pas allé de main morte, ils ont du vider une piscine pour mouiller une surface pareil. Ah merde, un reste de grenade de désencerclement. Le tube central est déchiqueté, ça a envoyé du shrapnel non biodégradable, en plus des plots en caoutchouc. Une pensée pour le photographe qui a pris ça dans la tête, et pour ceux qui y ont laissé une couille.

Au coin, un des bus des manifestants s’est fait caillasser, ils seront bons pour rentrer à pied ces provinciaux. J'ai du mal à comprendre le pourquoi de ce caillassage.

Les murs sont maintenant recouverts de tags. Certains sont poétiques et calligraphiés. D'autres maladroits et juste laids.

Le mur de SO, devant, est bien flippant. Ils ont bien fait attention de ne pas sortir les manches de pioche, cette fois-ci, mais quand même.

Sud refuse cette approche qu'affecte CGT et FO, leur SO ont de simples casquettes blindées, et ne font pas les gros yeux, eux. Tout est normal.

Un type traverse la foule, il a du sang sur sa chemise froissée, un gros bandage sur la tête, un air halluciné. Un look de prof trop sage qui vient de se prendre un coup de réalité sur le coin de la gueule. Clairement pas un look de black block.

Au fur et à mesure de la progression, on croise des gens "de devant", qui récupèrent sur des bancs. Comme dit Silmarils, "Il y a eu du sport".

Un photographe, barbe rousse, avec une tête chien mouillé, les lunettes de piscines sur le front est concentré sur son bel appareil. Il a du choper des gros plans bien rapprochés, vu l'humidité de ses fringues. Dans le filet de la poche extérieure de son sac à dos, il y a deux Chuppa Chups. Tout est normal.

On arrive à l'église Saint François Xavier, où il y avait une ambiance exécrable la dernière fois. Cette fois-ci, le trajet est simplifié : plus de boucles absurdes, mais un contournement par la droite.

Il y a une chance d'arriver au bout, sans gazage massif.

La manif se termine au cul des Invalides. Il faut faire tout le tour pour chopper le métro sur l'autre rive. Il y a des bus qui attendent les syndicalistes absolument partout, ça bloque la vue, et ils sont tous bien rangés, en épis. L'ambiance est étonnement tranquille, les CRS semblent globalement blasés. Le contournement est interminable. Arrivé sur l'avant, avec l'esplanade, c'est de nouveau grand n'importe quoi. L'esplanade est énorme, rien à voir avec la place de la Nation, et il y a beaucoup de vents. Les lancées de lacrymo sont peu efficace, les charges à la tonfa paraissent poussives, et il y a le gros camion avec le canon à eau. Ce n'est pas une baleine, mais un diplodocus qui éjacule, c'est obscène et pathétique. Ça semble surtout peu efficace. C'est dommage, ils en ont un deuxième de camion comme ça. Le déploiement de force est massif, ils sont nerveux et fatigués. Il faut traverser l'armada pour rejoindre le métro. Les contrôles de sac se font à la tête du client. Mais ils sont clairement préoccupés par les affrontements au milieu de l'esplanade, ce qu'il se passe sur les côtés ne les concerne plus.

Des supporters suédois regardent le petit spectacle de la France, le sourire aux lèvres. Les touristes asiatiques sont plus flippés. Tout est normal, c'est juste une journée de manifestation bien massive pour un projet de loi qui emmerde tout le monde, les CRS les premiers.

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