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par drapher

Démocratie d'apparat : la startup-nation du Jupiter photoshopé

En l'espace de deux mois, le nouveau président français a déjà largement démontré l'orientation qu'il compte imprimer à l'exercice du pouvoir. Ce ne sont pas les réformes réelles en cours, annoncées ou promises, ni les « mesures » pour améliorer « l'entreprise France » qui vont véritablement compter au cours de ce mandat.

En l'espace de deux mois, le nouveau président français a déjà largement démontré l'orientation qu'il compte imprimer à l'exercice du pouvoir. Ce ne sont pas les réformes réelles en cours, annoncées ou promises, ni les « mesures » pour améliorer « l'entreprise France » qui vont véritablement compter au cours de ce mandat. Ou bien à la marge, puisque toute vision de société marquée, volonté de transformation, et autres idées ou idéaux politiques ont été balayés par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle et se confirment depuis son élection.

A droite le Macron au visage un peu poupin, au menton un peu glabre, à gauche le Macron président, mûr, avec un menton viril, des yeux gris acier, des rides d'homme expérimenté, au visage longiligne proche d'un James Bond élyséen.

Macron est un dirigeant politique réellement « disruptif » : il éclate tous les standards en place, les règles établies, et recrée une nouvelle manière de gouverner. Pour imposer à la société une nouvelle façon de vivre la démocratie : une démocratie d'apparat, déguisée entre autres en « startup-nation », selon ses mots. Emmanuel Macron est un monarque, élu, mais au dessus des masses (et surtout des contre-pouvoirs), tel Jupiter, dont l'image retouchée par Photoshop trône désormais dans toutes les mairies de France.

Le monarque sans âme

Ce qui est en train de se dérouler avec Macron est important. C'est un virage démocratique qui débute, une nouvelle forme d'exercice politique, qu'il sera difficile d'inverser. Une sorte de mutation, parfaitement orchestrée et accompagnée par les logiques technologiques et communicationnelles de l'époque.

Macron est à la fois un produit marketing et un vendeur de solutions marketing. Sa stratégie élective, basée sur une alliance du ciblage des messages et l'adaptation des discours aux statistiques d'opinion, a été suivie d'un calcul de sa gouvernance, entièrement dédié à l'optimisation de son image. Car Macron a compris une chose : il n'y a plus que l'image de soi qui compte pour faire adhérer la majorité de la foule des électeurs. Ou les tenir à distance.

Une fois l'image maîtrisée et bien ancrée dans les esprits, les mots ne sont plus qu'une formalité, une sorte d'emballage.

Les discours d'Emmanuel Macron — dont le dernier en date à Versailles est très représentatif de la méthode — sont entièrement voués à une seule et unique chose : faire passer cette fameuse image. Les mots sont choisis avec soin, mais ils sont toujours un peu pompeux, le style est ampoulé, tout en utilisant des concepts se voulant complexes dans la forme, sans qu'ils le soient en réalité. Une parole politique singulièrement jargonneuse, et malgré tout parfaitement lisse et plate, sans fard, plus ou moins consensuelle et pourtant — en surface — à l'image que l'homme se fait de lui : élevée. Le tout est toujours déclamé de façon uniforme, les phrases sont scandées avec une volonté d'affirmation, et malgré tout : aucune émotion ne transpire, aucune âme ne semble s'agiter derrière les lèvres fines du monarque républicain qui récite son texte.

Macron a débuté la transformation de la démocratie française — déjà bien mal en point — vers ce qu'on pourrait nommer une démocratie d'apparat. Il gouverne de loin, sans idéologie affichée, ni de droite, ni de gauche, sans âme, sans programme clairement affiché, avec un « projet », que personne n'est capable d'expliquer concrètement. La présidence française renvoie une vision orwellienne du monde, exerce déjà le pouvoir dans cette voie décrite par l'auteur de 1984.

Un président orwellien

Le système Macron qui se met en place est de type orwellien, à plusieurs titres. Le premier parallèle entre le monde de 1984 d'Orwell et la démocratie, telle que l'organise le nouveau monarque républicain français élu en mai 2017, se situe sur l'usage de la langue. La novlangue chez Orwell est pratiquée par Macron. Celle du management dans certaines situations, ou celle du dictateur désincarné. L'idée centrale de la novlangue est l'acceptation sociale de tout concept en le vidant de sa substance, en éradiquant toute historicité dans son emploi, jusqu'à faire accepter l'inacceptable et changer dans les esprits la perception des réalités que les mots peuvent dévoiler. Ainsi, Emmanuel Macron va discourir en Pologne sur la nécessité d'accueillir avec « humanité » les migrants fuyant les conflits, et envoie son ministre de l'intérieur les réprimer à Calais.

Ce principe d'injonction contradictoire, de dichotomie sémantique permanente est au cœur du monde d'Orwell : « la paix c'est la guerre, la liberté c'est l'esclavage » en sont des illustrations connues et parlantes. Emmanuel Macron ne fait rien d'autre qu'appliquer ce principe, jouant sur les annonces contradictoires : quand il parle de redistribution de l'Etat, de redonner aux Français du pouvoir d'achat, de la confiance (baisse de la taxe d'habitation, baisse des impôts) il annonce immédiatement des mesures qui vont dans le sens opposé (baisse des cotisations sur les hauts salaires, augmentation de la CSG, loyers précaires, etc). Et comme avec le principe du télécran de 1984, il tient le rôle du dirigeant omnipotent, omniscient mais lointain. Celui qui annonce, déclare, mais ne répond jamais. Donald Trump déclare son intention de sortir de l'accord de Paris ? Macron fait une déclaration contre  avec une phrase de marketing politique détournée : « Make the planet great again. » Bien sûr, cela ne l'empêchera pas de prendre très vite le contrepied de ce discours anti-Trump, en invitant amicalement ce dernier au défilé du 14 juillet…

Démocratie d'apparat

Macron a déjà réussi là où les deux autres présidents français ont échoué depuis 10 ans : dans la mise en place d'une démocratie d'apparat. Celle de l'apparence, donc, la sienne en premier lieu, puis celle de la vigueur démocratique, qui n'est plus qu'un lointain souvenir : sa majorité parlementaire est composée de députés entièrement soumis à sa parole au point de voter en permanence à 100% ce qu'il leur demande de voter.

"Dans les gares on croise des gens qui ont réussi et des gens qui ne sont rien" dit ce personnage de publicité pour parfum masculin, qui préfère voir une fausse image de lui affichée dans les mairies, avec un menton allongé et un visage durci par les palettes graphiques, plutôt que sa véritable physionomie.

Oui, il est possible de voir le monde sous cet angle, celui de la réussite ou du rien. De la démocratie du tout ou rien. De la gouvernance par ordonnances, celle où la présidente de séance éclate de rire et répond « bien évidemment » quand on lui demande si le taux d'acceptation des amendements du parti de la majorité absolue est bien de 0 %.

Une démocratie qui joue à se faire croire qu'elle est encore vivante, alors qu'elle est morte. Une démocratie où les élites économiques du pays ont réussi à prendre le pouvoir sans partage, avec comme méthodes celles du marketing numérique, de la neuropsychologie appliquée aux techniques de vente, de l'efficacité… Le mépris et la brutalité managériale mises en œuvre en politique.

Emmanuel Macron est l'exemple même de la victoire de la pensée financière appliquée en politique sur l'ensemble d'une société, l'archétype du manager de la finance en action, le représentant décomplexé d'une élite mondiale qui a décidé de maintenir les peuples en soumission pour son propre bénéfice. Une soumission qui était déjà en partie sociale et économique et qui désormais en France, devient politique, morale et sémantique.

Si personne ne vient déchirer ou brûler dans les rues, les photos sur papier glacé du monarque photoshopé cet automne, il y a fort à parier que la présidence orwellienne d'Emmanuel Macron ira jusqu'au bout de ses objectifs : anesthésier définitivement la société et la jeter en pâture à l'oligarchie financière (lire la tribune des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot : "Nous vivons sous le régime de l'oligarchie financière"). Ce qui signifierait la fin de ce qu'il reste du modèle social français. A la place : une startup-nation peuplée de free-lance silencieux et besogneux, avides d'innovation et de disruption.

Tout un programme, au fond…

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