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par Jet Lambda

La cité radieuse du groupe Auchan se paie un "débat public"

"Vous donner la parole et la faire entendre." C'est le slogan, très "démocratie participative", de la Commission nationale du débat public (CNDP), institution chargée – pour faire court – de "lubrifier" les relations entre "aménageurs" et "aménagés" du territoire. Sa mission est donc de s'assurer que le public dispose d'informations fiables et diversifiées pour pouvoir "débattre" de l'opportunité même d'un projet de bétonnage — à partir d'un coût minimum de 300 millions d'euros.

"Vous donner la parole et la faire entendre." C'est le slogan, très "démocratie participative", de la Commission nationale du débat public (CNDP), institution chargée – pour faire court – de "lubrifier" les relations entre "aménageurs" et "aménagés" du territoire. Sa mission est donc de s'assurer que le public dispose d'informations fiables et diversifiées pour pouvoir "débattre" de l'opportunité même d'un projet de bétonnage — à partir d'un coût minimum de 300 millions d'euros.

Le groupe Auchan compte miser plus de 3 milliards sur Europacity, un méga-complexe (ou plutôt mégalo-complexe) sur 80 Ha mêlant galerie marchande géante avec activités "ludiques et culturelles" (piscines, piste de ski artificiel, salles de spectacles, etc.), le tout érigé dans une architecture mégalomaniaque qui fait penser à une cité futuriste métallique et aseptisée. Ou comment dissimuler un nième centre commercial en l'enrobant de concepts alibis qui n'ont de "culturel" que le slogan, dont le nombre de visiteurs annuel est largement surestimé (31 millions, soit deux fois l'audience d'Eurodisney), qui prévoit de bétonner le Triangle de Gonesse, vaste zone agricole située entre les aéroports du Bourget et de Roissy.

Jeudi 17 mars, à Gonesse (Val d'Oise), la CNDP organisait la réunion inaugurale du débat public Europacity, qui comprend une quinzaine de réunions (dans le Val d'Oise et la Seine-St-Denis) programmées jusqu'au mois de juin. Malgré son souci d'informer au mieux les badauds du coin, la CNDP a pourtant tenu sous silence un important rapport sur l'impact écolo du projet en question : un avis de l'Autorité environnementale (AE, qui dépend du  Conseil général de l'environnement et du développement durable, du ministère de l'écologie), rendu deux semaine plus tôt, le 2 mars. Parmi les documents distribués à Gonesse, dans la salle des fêtes Jacques Brel qui a rassemblé au moins 300 personnes, il n'y avait que les plaquettes en papier glacé du "maitre d'ouvrage", c'est à dire d'Alliages & Territoire, filiale d'Immochan, branche béton du groupe Auchan). La CNDP a sans doute eu des problèmes de photocopieuse pour ne pas avoir distribué le rapport de synthèse de l'AE, qui ne faisait qu'une page et demi (cf le rapport complet en PDF).

Tant mieux pour le promoteur, car toute sa communication vise à faire passer Europacity pour une "exemplarité environnementale, respectueux des enjeux de biodiversité du site". L'AE, dont l'avis est consultatif comme de bien entendu, n'est pourtant pas tendre avec les promesses du promoteur, même si les termes employés sont pesés et sous-pesés pour ne vexer personne.

Auchan promet par exemple, dans son "étude d'impact" soumise à l'avis de l'AE, de produire localement, et en "renouvelable" s'il vous plaît, 100% de l'énergie qui sera nécessaire pour faire tourner sa mégapole  (au bas mot, 270 GWh/an). Au mieux, note l'AE, seulement "deux-tiers des besoins en froid et en électricité pourraient être produit localement". Faut dire que les scénarios de consommation énergétique fournis par Auchan "reposent sur une hypothèse de production de froid quatre fois supérieurs au potentiel recensé par l'étude [d'impact]". Surtout, corrige l'AE, "l'énergie renouvelable locale" est plus qu'hypothétique: elle reposerait sur la géothermie. Or, cela "nécessiterait la réalisation de forages profonds" et de mettre en contact quatre nappes phréatiques du bassin parisien, au risque de contaminer la seule encore identifiée comme "un réservoir d'eau potable non encore affecté par la pollution de surface". Sans parler des prévisions d'émissions de gaz à effet de serre qu'induiraient es (transports des visiteurs compris), que l'AE estime très incomplètes, "en discordance particulièrement forte avec l'objectif national du facteur 4" (réduction par 4 des émissions à l'horizon 2050, selon une loi de 2009).

Europacity doit pousser sur une zone vierge de toute urbanisation, et détruire, au passage, 210 Ha de terres parmi les plus fertiles du pays. En guise de contrepartie, une "zone agricole protégée" de 400 Ha devrait être préservée au nord de la zone. Mais l'AE, là aussi, n'avale pas la pilule, et réclame de réels "engagements (...) afin de garantir la pérennité des activités agricoles". Une autre critique de l'Autorité a même pu être ressentie par les spectateurs de la réunion de Gonesse : l'absence totale de lieu de substitution pour ériger sa cité artificielle. Pour eux, c'est plié : à Gonesse et pas ailleurs. Verbatim des réserves de l'Autorité à ce propos:

[...] l'étude d'impact doit présenter une esquisse des principales solutions de substitution examinées et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l'environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu. En particulier, même si l'urbanisation conditionnelle de ce site est prévue […], le dossier fait le choix d'un emplacement aujourd'hui non urbanisé exposant une population nouvelle importante aux risques et nuisances d'un trafic aérien important. Cette localisation induit, en outre, de multiples contraintes pour une urbanisation dense, conduisant à une consommation d'espaces agricoles accrue. Cela conduit l'Ae à se demander si une démarche d'évitement et la recherche de solutions de substitution ont bien été conduites, d'une part pour la ZAC [zone d'aménagement concertée du Triangle de Gonesse], d'autre part pour EuropaCity.

Le groupe Auchan n'a d'ailleurs aucun doute tout court. Jeudi dernier à Gonesse, Christophe Dalstein, le soldat d'Auchan chef de projet, a parlé au présent et au futur de l'indicatif en présentant son powerpoint – pas l'ombre de conditionnel dans ses propos. La même assurance a été communiquée aux patrons du coin. Une semaine avant le débat public, Alliages et Territoires a invité plus de 350 entrepreneurs, dans les locaux de Manutan (repreneur de la Camif), pour les faire saliver sur les contrats du futur chantier – et, au passage, pour les inciter fortement à venir au débat public dire tout le bien qu'ils pensent de ce projet "bon pour l'emploi". Le patron de Manutan a répondu présent, et il a posé sa gentille petite question, comme d'autres élus fortement favorables à l'implantation d'Auchan. Le groupe promet en outre que l'exploitation du site créera "11.800 emplois directs" – dont seulement un tiers seront pourvus auprès des populations locales. Un chiffre tronqué, il est vrai, car il ne tient pas compte des destructions de postes qui vont immanquablement toucher les centres commerciaux voisins. Et sans rappeler que plus des 3/4 de ces contrats concerneront "des personnels non ou peu qualifiés".

Tout a déjà été dit ou presque sur l’illusionnisme de ces procédures de "débat public". Cela s'est vu et démontré sur les nanotechnologies en 2009/10, comme lors de l'implantation des réacteurs nucléaires EPR ou de tel ou tel chantier d'infrastructure dont la décision a déjà été prise. Participer à ces diversions, c'est accepter leur issue fatale : la mise en œuvre du projet, qui sera corrigé à la marge pour donner l'illusion que le peuple a son mot à dire. La CNDP met en scène une consultation où les rapports de force sont faussés d'avance : le porteur de projet, qui règle l'addition du "débat", a tous les moyens d'influencer la perception des habitants, et finalement décide seul s'il tiendra compte des réserves exprimées. D'ailleurs, la neutralité affichée par Claude Brevan, désignée présidente du débat sur Europacity par la CNDP, est toute relative. Elle a été pendant près de dix ans, sous Jospin puis Raffarin (1998-2005)*, Déléguée interministérielle à la ville, l'un des bras armé de l’État en déménagement des territoires.


* Et non comme "sous Sarkozy et Hollande", comme écrit par erreur - cf le commentaire de l'intéressée, Claude Brevan, ci-dessous, et ma réponse dans la foulée.

Lire aussi cette pétition d'un groupe d'opposants : http://nonaeuropacity.wesign.it/fr

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