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Entretien
par shaman

Yolande Bouin et la convention citoyenne pour le climat

Ils m’appelaient tous « Ruffin » là-bas

Le grand débat national est passé par là... La méthode de gestion des grandes problématiques sociétales par Emmanuel Macron ne fait pas l'unanimité, loin de là. À l’heure où il tente de mettre en place une sorte de parlement-bis avec le « Conseil national de la refondation », Reflets est allé interroger Yolande Bouin qui avait été sélectionnée pour participer à la « Convention citoyenne pour le climat ».

Yolande Bouin, écoutant une réponse de Macron - Copie d'écran - Youtube

Alors qu’Emmanuel Macron lance le CNR, ou « Conseil National de la Refondation », il peut être utile de se remettre en mémoire les fondamentaux de la méthode présidentielle, comme elle fut appliquée lors du « Grand débat » Le sigle, CNR interpelle immédiatement. Il fait étrangement écho au « Conseil National de la Résistance », l’organisme de coordination qui, grâce à son programme, avait inspiré la rénovation sociale après-guerre et abouti à la mise en place d’une grande partie des acquis sociaux que nous connaissons aujourd’hui.

Pour creuser plus avant sur les façons et les moyens d’écouter les populations, instituée lors du « Grand débat », Reflets est allé rencontrer Yolande Bouin, une citoyenne de Douarnenez, choisie pour participer à la Convention citoyenne pour le climat.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours militant ? Comment vous-êtes vous retrouvée dans cette convention climat, une sorte de réponse de Macron à la problématique du climat ?

J'ai débarqué là-bas par hasard. On a été tirés au sort. Vraiment tirés au sort. Moi, j'étais au courant que cette convention allait se faire. Mes premières années militantes, j’avais 18–20 ans et je suis venue la première fois en Bretagne pour militer contre la centrale nucléaire de Plogoff. Je m'implique depuis longtemps sur les questions écologiques, sur les questions de justice sociale, sur la démocratie citoyenne… sur plein de sujets qui sont importants. Je suis notamment élue dans l’opposition à Douarnenez. Je suis conseillère municipale de gauche élue sur une liste citoyenne. Je savais que cette convention allait avoir lieu. Je disais à des copains avec qui je milite : j’aimerais bien participer. Tout le monde me disait : « Toi Yoyo, avec ta grande gueule, il vaut mieux pas qu’on te prenne sinon tu va leur mettre la misère » . Et quelques jours après, je reçois un coup de fil, le truc bizarre ! « Bonjour Madame, est-ce que vous êtes sensibilisée sur le sujet de l’urgence climatique et est-ce que ça vous intéresse de participer à la convention ? ». J'ai cru à un canular, une blague de mes potes. Mais non. Et de fil en aiguille, j'ai été recrutée comme ça.

Il paraît que c’est un logiciel qui a généré 3 ou 4.000 numéros, fixes et portables. Visiblement, comme dans toute enquête il y avait un panel à respecter. On m’a demandé mon pedigree, mon niveau d’études, si j’avais des enfants... Et donc me voilà partie à Paris, je débarque au CESE en octobre 2019. Moi, militante, j’avais des choses à dire.

Sur place je me suis de suite rapprochée des 150 citoyens : « Alors, tu es militant, la question du climat t’intéresse ? » Réponse : « Oh non, moi, pas du tout. ». Je m’adresse à quelqu’un d’autre : « Et toi, tu t’intéresses à la politique ? » Deuxième douche froide : « Ah non, non, pas spécialement, mais pour une fois qu’on me demande mon avis, et en plus c’est défrayé ». C'était hallucinant, il y avait même là dedans des climatosceptiques !

Donc, me voilà partie pour six mois avec six rendez-vous sur six week-ends. Finalement il y en a eu neuf, ça s’est prolongé parce qu'il y a eu le COVID entre temps. Il y avait cinq groupes : « Se nourrir », un autre « Produire / Travailler », « Se loger » … On était tirés au sort. Je me suis retrouvée dans le groupe « Se nourrir ». T’imagine ? Avec la PAC, les traités de libre-échange, le CETA et compagnie, il faut plancher, taper vachement haut ! Et je me suis retrouvée avec des gens qui ne connaissaient rien à tout ça. Certains ont dit : « On devrait inviter le PDG de Nestlé ». Moi, je disais « Ben non, on devrait inviter la confédération paysanne, on devrait inviter ATTAC pour parler du CETA ». Mais comme je n'avais jamais gain de cause, j’ai été tout de suite considérée comme une des grandes gueules de la convention. On était dans un hémicycle avec des micros... Pour vous dire, quand je prenais la parole, ils m’appelaient tous « Ruffin » là-bas.

J'ai malgré tout réussi à convaincre quelques personnes. Parce qu’il y avait quand même d’autres militants, Des gens vraiment conscients de l’urgence climatique. Mais c’était laborieux, très laborieux. Moi, j'ai gardé très peu de relations avec les gens rencontrés là-bas.

Dans la gouvernance de la convention, c’était des politiques, même si n'avaient pas été élus. Mais ce sont des gens qui sont en politique depuis longtemps et qui se tiennent dans les arcanes du pouvoir. Je ne suis pas née de la dernière pluie, j’ai googelisé tout le monde, je savais qui était qui.

Nous étions logés à l’hôtel. On bossait samedi toute la journée et le dimanche. Le premier week-end, nous avons eu droit à une conférence. Des gens du GIEC, des climatologues, sont venus nous parler du climat. C’était très bien, très intéressant, mais tout le discours était axé sur la France. Mais la France… il faut regarder plus loin non ? Tout ce qu’on fait ailleurs dans le monde, avec Total entre autre ! J’ai signalé que ce n'était pas normal de ne s’intéresser qu’à notre propre impact à nous, et que nous devrions faire davantage de politique pour élargir le débat. J’ai tout de suite été identifiée comme une agitatrice de gauche, voire d’extrême gauche. J’ai aussi reproché à la convention climat de ne pas s’appuyer sur les ONGE, « associations non gouvernementales écologistes », qui ont bossé depuis des lustres et qui font toujours un boulot énorme. Ou sur le programme de l’« Avenir en commun » qui a des choses très intéressantes sur le plan écologique ! Je disais « on ne va pas réinventer l’eau chaude ». Mais non, on était les seuls interlocuteurs, 150 citoyens « plan-plan » appelés là pour faire bonne mesure… Pour certains faire de l’écologie, c'était uniformiser la couleur des sacs-poubelles. Vous imaginez ? Moi j’appelle ça des mesures de colibri.

Dans mon groupe « Se nourrir » on a quand même réussi à faire de bonnes choses. On voulait absolument évoquer la PAC, le CETA. Les animateurs de groupes, payés par une boite de Com’, nous ont dit : « Ah mais non, ça ce n'est pas prévu ». Nous leur avons répondu : « Vous ne voulez pas qu’on passe sur le CETA ? Alors, on fait grève ! ». Toute la gouvernance de la convention climat s’est déplacée en demandant ce qui se passait… Ça a été comme ça pendant des mois et des mois. Quand on a fini par rendre notre boulot, il y avait une mesure que je trouvais très intéressante. C’était une proposition pour réduire le temps de travail à 28h. Génial ! Et bien celle-là, cette mesure-là, elle a été rejetée par les 150 citoyens. C’était pourtant la seule qui était un vrai projet de société.

On a rencontré Macron plusieurs fois. Les citoyens ont voulu vérifier qu’il respectait sa promesse : que notre travail soit entièrement pris en compte, sans être retoqué. Moi, j’avais des gros doutes là-dessus mais bon, plein de citoyens y croyaient eux. Quand il est venu au CESE, il leur a redit qu'il tiendrait promesse. moi, je l’ai interpellé sur la justice sociale, vous pouvez le voir sur Youtube.

On a rencontré Hulot aussi. Certains citoyens avaient demandé à le voir, en disant « Lui, il sait ce qu'il faut » … Ushuaïa et compagnie… Enfin bref.

Nous avions une plateforme sur laquelle on pouvait s’exprimer et poser des questions. Elles devaient être d’abord étudiées pour éviter les doublons, et des gens étaient choisis pour les poser. J’en avais déposé moi-même 5 ou 6 mais aucune n’a été retenue. Après la séance publique des fameuses questions « retenues », les organisateurs ont dit « Monsieur le président, vous avez été rapide, au niveau du timing, on est bien. Est-ce que vous voulez répondre à des questions qui ne sont pas prévues ». Aussitôt, je lève la main, et bien qu’apparemment l’organisateur du débat ne souhaite pas me donner la parole, j’ai réussi à prendre la parole avec une question sur la justice sociale. Parce que le propos de la convention climat, c’était de réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 « dans un esprit de justice sociale ». L'organisateur avait refusé de me donner le micro. Mais je m'étais mise d'accord à l'avance avec une autre intervenante moins « clivante » aux yeux des organisateurs : elle a eu le micro et me l'a passé, comme convenu entre nous.

C’était vachement long, je faisais le bilan de ses quatre années de mandat, des actionnaires qui s’enrichissent, des gens qui dorment dans la rue, des gens qui travaillent et qui ont leur frigo vide, des mouvements sociaux réprimés avec une violence terrible au point de nous faire pointer du doigt à l’étranger… Bref, j’ai conclue par: « Au vu de ce tableau de votre mandat, je voudrais savoir... qu’est-ce que vous entendez par justice sociale ? ». Grand silence, pas un bruit, pas un seul applaudissement, rien. Les membres de la gouvernance avaient plutôt l’air gênés, comme s’ils avaient honte. Macron à répondu avec la langue de bois qu’on lui connait: « Pour l’hôpital, on a fait ci, pour l’éducation, on a fait ça... » et à la fin, cette fois-ci tout le monde l'a applaudi...

Avec le recul, avez-vous l'impression que le travail accompli a eu des répercussions ?

Non ! Pourtant on a réalisé un travail énorme. Énorme. On a rendu notre travail en juin 2020 et ensuite, il y a eu tous les arbitrages ministériels. La fameuse promesse « poudre aux yeux » de tout remettre entre les mains des députés est tombée dans l’oubli. Notre boulot a été mis entre celles de quelques ministres qui invitaient quelques citoyens de temps en temps. Certains arbitrages se sont effectués en visioconférence. Je considère qu’ils ont petit à petit détricoté tout ce qu’on avait fait. Je dirais qu’à peine 10% du travail aura fait partie du plan de relance et du plan climat. Et dans ces 10% là, ce sont les petites mesures de colibri qui ont été retenues. Les petites mesures qui ne mangent pas de pain et ne boivent pas de vin…

On a surtout été infesté par les lobbys. On avait des conférences avec le PDG de « Géant Casino » ou le patron de Nestlé. Le PDG d’Aéroport de Paris est même venu nous vendre des avions verts, alors qu’ils étaient en train de laisser partir ADP aux mains des privés. Ils ont fait venir la FNSEA qui a eu le grand tapis rouge pour nous parler d’agriculture conventionnelle. Jamais ils n’ont accepté que la confédération paysanne intervienne comme un véritable interlocuteur. La seule fois où on a réussi à les voir, c'est dans une sorte de speed-dating ultra-rapide. Tout a été comme ça. Je n'étais pas dupe et je m’attendais dès le début à de l’esbroufe. Je savais que Macron, ce n'était pas un écolo et qu’il allait se servir de ça pour se reverdir le blason. Tout cela n’aura été qu’un vernis de démocratie citoyenne, mais moi la démocratie citoyenne c’est mon cheval de bataille. On s’est essuyé les pieds dessus, et au final, tout cela n’aura servi à rien...

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