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par Jacques Duplessy

Violences sexuelles dans le sport

« Il faut reconnaître que les violences sexuelles sont une épidémie. »

Violaine Guérin, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles, médecin, revient pour Reflets sur le thème des violences sexuelles dans le monde du sport. Une récente enquête de l'Equipe et le livre de Sarah Abitbol ont mis en lumière des pratiques intolérables.

Violaine Guérin - Louise Bertrand

Les accusations de violences sexuelles de la patineuse Sarah Abitbol ont provoqué un nouveau séisme. Est-ce une surprise pour vous ?

Absolument pas. D’ailleurs le milieu sportif n’a pas attendu cette nouvelle affaire pour agir. En 2005, l’ancienne joueuse de tennis Isabelle Demongeot avait révélé des agressions sexuelles de la part de son entraîneur. En 2007, Roselyne Bachelot, qui était ministre des Sports, a lancé la première étude sur les violences sexuelles sur les jeunes mineurs sportifs en interrogeant les jeunes. Un tiers ont répondu qu’ils avaient été victimes de violences sexuelles avec ou sans contact du corps (viol, attouchements ou exhibition). Et l’étude a montré que cela touchait autant les filles que les garçons. Les premières mesures dans le sport décidées par la ministre datent de 2008. C’est donc une erreur de taper sur le monde sportif qui a déjà beaucoup travaillé sur cette question. En fait, il faut reconnaître que les violences sexuelles sont une épidémie. Et prendre les moyens de lutter partout contre cette épidémie. Une enquête du Conseil de l’Europe révèle qu’un enfant sur cinq serait victime de violences sexuelles. Ramené à l’échelle de la France, c’est une estimation de 13 millions de mineurs.

Les agressions sexuelles dans le milieu sportif présentent-elles des spécificités ?

Oui, tout d’abord le monde du sport fonctionne en olympiades. Des élections ont lieu tous les quatre ans. Il y a donc une déperdition d’informations quand il y a un changement de président. Cela ne facilite pas le suivi des dossiers. En même temps, le monde du sport a fait déjà plus que beaucoup d’autres secteurs : vérification de la non inscription des enseignants sportifs au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, formation du personnel de l’Insep (l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance), programmes de prévention scolaire. L’autre spécificité, c’est la position d’autorité des entraîneurs. Ils ont le savoir, mais aussi la responsabilité des sélections pour le haut niveau. Même si l’entraîneur doit se baser sur des résultats objectifs, il y a toujours des critères subjectifs pour une sélection. Donc il a des leviers d’emprise. Mais cette position d’autorité se retrouve ailleurs : dans l’enseignement culturel, dans l’Église ou encore dans la famille.

Dans le milieu du sport, il y a la question du rapport au corps. La correction des gestes sportifs nécessite de toucher le corps, il y a aussi les massages du kiné. Enfin, les douches et les vestiaires sont des lieux à risque. Avant, tout était collectif, et malheureusement, ça n’a pas tant changé que ça. Par exemple, les locaux du pôle escrime de l’Insep ont été refaits à neuf il y a environ 5 ans, et il n’y a pas de douches individuelles. La préservation de l’intimité n’est toujours pas une évidence. Mais aujourd’hui, le règlement interdit la présence d’adultes dans les vestiaires des mineurs. C’est un progrès.

On parle du sport de haut niveau. Mais qu’en est-il des clubs de proximité ?

C’est la même chose. Le risque est le même. J’ajoute qu’il faudrait porter une attention accrue aux bénévoles qui encadrent le monde du sport par exemple lors des déplacements pour les compétitions. Le Fédération de football va introduire la licence à un euro pour les accompagnants pour qu’on ait une traçabilité des personnes présentes. On le demandait depuis 2014… Le Conseil de l’Europe vient de dévoiler un plan d’action pour le monde du sport « Start to talk » (Donnons de la voix). Mais malheureusement, il y a une véritable omerta au niveau politique et de la Justice.

Que voulez vous dire ?

Il y a une omerta car cela dérange. Il y a des agresseurs au Conseil d’État, au Conseil Constitutionnel, dans les ministères… comme dans le reste de la société. Ce sont des freins pour avancer dans ce combat. Les violences sexuelles ne sont absolument pas une priorité du gouvernement. Au moment des élections présidentielles, notre association avait interrogé tous les candidats sur les mesures concrètes qu’ils comptaient prendre pour lutter contre ce fléau. Emmanuel Macron est le seul à ne pas avoir répondu… Autre signe négatif, en janvier 2018, la Commission européenne a organisé une réunion en vue de la révision de la directive de 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie. Seuls trois pays étaient absents… dont la France. Tout cela montre que le sujet n’est pas pris à bras le corps.

*Que propose votre association Stop aux violences sexuelles (SVS) ? * SVS a pour objectif, non pas de « lutter » contre les violences sexuelles mais de les éradiquer. Nous demandons par exemple l’imprescriptibilité des violences sexuelles, car certaines personnes prennent conscience ou ne peuvent parler que bien des années après l’acte. L’association propose aussi des ateliers thérapeutique par l’escrime, le cheval et le sport aquatique. Le but est de réaliser un parcours de soins qui amène à une guérison corporelle, émotionnelle, sensorielle et psychique, qui remet dans la vie et qui permette aux personnes de renouer avec toutes leurs énergies, en particulier leur créativité. Nous sommes en lien avec les différents ministères concernés, Santé, Sport, Justice. Nous intervenons aussi auprès de fédérations sportives.

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