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par Jean Cloadec, Antoine Champagne - kitetoa

Variant Delta : vague ou vaguelette ?

L'hypothèse de reprise de l'épidémie de Covid 19 provoque de vifs débats.

La pression monte pour une vaccination obligatoire. Et peut-être pas que pour les soignants. Elle pourrait être débattue au parlement avant la fin juillet. Les sénateurs agitent aussi l’idée de restrictions qui ne concerneraient que les non-vaccinés, au travers d’une extension du pass sanitaire.

Le variant Delta du covid commence à inquiéter les politiques de tous bords - © Reflets

L’épidémiologiste Catherine Hill s’étonne du regain d’inquiétude avec le spectre d'une quatrième vague. « Oui, le variant Delta est plus contagieux que le Alpha, c’est la vie des virus qui mutent, et un variant plus contagieux en remplace un autre. Donc le variant Delta va remplacer l’autre d’ici la rentrée. Mais cela ne change pas fondamentalement le problème, car les vaccins réagissent avec à peu près la même efficacité. » Pourtant, Catherine Hill est connue pour ses interventions vigoureuses souvent alarmistes – et vérifiées par les faits.

Cette fois, elle estime que la 4ème vague attendue à la rentrée sera « une vaguelette ». « La plupart des personnes à risques sont déjà vaccinées, donc il ne devrait pas y avoir d’engorgement des hôpitaux et des services de réanimation, explique-t-elle. Et un quart de la population aura déjà eu le Covid en septembre. Il y aura des gens malades mais peu de formes graves. Regardez, on ne meurt quasiment plus du Covid en Ehpad, car la plupart des résidents sont vaccinés. Quand aux complotistes, ils verront bien la réalité du virus…»

Évolution de la couverture vaccinale (complète) en France - Au 28 juin, 84% des 75 ans et plus ont eu une dose de vaccin et 78% deux doses. - Covidtracker
Évolution de la couverture vaccinale (complète) en France - Au 28 juin, 84% des 75 ans et plus ont eu une dose de vaccin et 78% deux doses. - Covidtracker

Mais pour Catherine Hill, il est absolument nécessaire de poursuivre très activement la vaccination, notamment parmi la population la plus âgée. Quelque « 80% des 80 ans et plus ont reçu une dose de vaccin. Il est fondamental d’aller chercher ceux qui ont échappés à la vaccination parmi les plus de 80 ans et qui sont à domicile. Ceux-là ne sont pas venus dans les vaccinodromes car ils ne sont pas mobiles. La solution est d’impliquer davantage les généralistes, qui les connaissent bien, pour qu’ils aillent les vacciner chez eux. » Elle propose aussi que l'on demande systématiquement aux jeunes vennant dans les centres de vaccination si leurs parents et grands-parents sont vaccinés. « C’est surtout eux qu’il faut toucher puisque plus on est âgé, plus on risque de faire une forme grave. »

Elle s’étonne des conclusions de l’étude de l’Institut Pasteur qui sont assez alarmistes. « Pour des hypothèses plausibles concernant le nombre de reproduction de base R0 du variant dominant et la couverture vaccinale cet automne, un pic d’hospitalisations important est possible en l’absence de toute mesure de contrôle de l’épidémie, écrivent les scientifiques. Par exemple, dans notre scénario de référence caractérisé par un nombre de reproduction de base R0=4 et une couverture vaccinale de 30% chez les 12-17 ans, 70% chez les 18-59 ans et 90% chez plus de 60 ans, un pic d’hospitalisations similaire au pic de l’automne 2020 pourrait être observé en l’absence de mesures de contrôle. Un certain niveau de contrôle de l’épidémie pourrait donc être nécessaire cet automne. »

« Il y a beaucoup d’hypothèses et on pourrait les discuter une à une. J’ai l’impression qu’on joue à se faire peur maintenant », rétorque Catherine Hill. La situation au Royaume-Uni où les contaminations explosent alors que le nombre d’hospitalisation n’augmente que très faiblement, ainsi que le détaille un article du _Monde_ est peut-être un exemple. La preuve que la vaccination enraye bien la gravité des symptômes, notamment chez les plus fragiles.

Pourtant plusieurs politiques ou haut responsable de santé ont mis sur la table ces derniers jours l'hypothèse d'une vaccination obligatoire pour les soignants ou même de la population générale. Catherine Hill n’y est pas favorable, sauf pour les soignants. « Concernant la population générale, il y a déjà beaucoup d’incitations à aller se faire vacciner : le pass sanitaire pour voyager, pour entrer sur des grands événements ou en boîte de nuit. Donc une obligation vaccinale ne me paraît pas opportune. Mais pour les soignants, c’est effectivement irresponsable de ne pas se faire vacciner. Si j’étais directrice d’Ehpad, je ne permettrais pas à un personnel non vacciné d’être auprès de résidents fragiles. L’obligation vaccinale est logique. »

Un rapport de la mission d’information chargée d’évaluer les effets des mesures de restriction du Sénat intitulé « Recommandations relatives à la stratégie vaccinale » va plus loin. Constatant « un risque élevé de quatrième vague » (notamment à partir de la même modélisation de l’Institut Pasteur), il préconise une vaccination obligatoire pour une partie de la population. « La simple incitation ne suffira pas à atteindre les taux requis pour se passer de restrictions à l’automne prochain. Compte tenu des chiffres encourageants concernant le nombre de personnes de moins de 24 ans ayant déjà reçu une première dose de vaccin (58 %), dont on peut espérer qu’ils se reporteront sur la couverture vaccinale complète de cette classe d’âge d’ici les prochaines semaines, il pourrait être souhaitable de concentrer l’obligation vaccinale, dans un premier temps, vers les seules classes d’âge intermédiaires (24-59 ans). En effet, l’obligation vaccinale imposée aux seuls soignants ne suffirait manifestement pas à freiner la reprise de l’épidémie. », concluent les sénateurs.

« Nous ne pouvons pas attendre septembre pour décider de la vaccination obligatoire, déclare un sénateur. Nous devons la voter d’ici la fin juillet sans attendre la rentrée. En septembre il sera trop tard, c’est une course de vitesse contre le virus. » Un projet de loi du gouvernement serait en cours de rédaction.

Mais il ne devrait pas comporter d’obligation vaccinale pour la population générale, selon le ministre de la Santé, Olivier Véran. « Véran est toujours en retard d’une bataille », tacle ce sénateur.

Si cette contrainte semble exclue, le projet de loi pourrait élargir le périmètre des lieux où le pass sanitaire serait nécessaire pour accéder. Un moyen d’inciter fortement à se faire vacciner pour vivre une vie normale. Surtout si dans le même temps les tests de dépistage « de confort » deviennent payants.

Le rapport du Sénat, qui s’appuie sur l’étude de l’Agence nationale de la recherche scientifique – Maladies infectieuses émergentes, va encore plus loin dans l'idée de pourrir la vie des non-vaccinées car « [elle] ont un poids disproportionné dans le processus, de transmission et on s’attend à ce qu’une personne non-vaccinée ait 12 fois plus de risque de transmettre le SARS-CoV-2 qu’une personne vaccinée. »

« Les mesures non-pharmaceutiques (la distanciation physique, l’application de gestes barrières ou le port du masque) ont quasiment le même impact si elles ciblent l’ensemble de la population ou uniquement les personnes non-vaccinées, souligne le rapport. _L’adhésion des personnes vaccinées à ces mesures apporte très peu de bénéfices supplémentaires. Cela suggère que, dans le contexte d’une population partiellement vaccinée, des mesures de contrôle ciblant les personnes non-vaccinées (par exemple avec le pass sanitaire) pourraient permettre de maximiser le contrôle de l’épidémie tout en minimisant le coût pour la société. »

En clair, si les restrictions du type couvre-feu ou possibilité d’aller au restaurant ou au spectacle ne concernaient pas les vaccinés, cela aurait très peu d’impact sur l’épidémie. De là à imaginer une France à deux vitesse vaccinés / non vacciné… « Cela soulève des questions éthiques et sociales qu’il est important d’explorer », conclut le rapport. Le gouvernement n’entend sûrement pas en arriver là, surtout en année d’élection présidentielle. Mais tous espèrent que ces chiffons rouges agités pousseront les hésitants à se faire vacciner. D’autant que, pour le moment, les vaccins répondent bien aux variants.

Jean Castex consultes les deux Chambres sur des options plus dures pour luter contre le variant Delta

Dans un courrier daté du 1er juillet, le premier ministre Jean Castex sonde les chefs de groupes de l’Assemblée et du Sénat. Après une série de constats sur la situation épidémique qui s’est nettement améliorée, le premier ministre tresse quelques lauriers à son équipe, en expliquant que le gouvernement a pu lever les restrictions en avance sur le timing annoncé par le président Emmanuel Macron en avril dernier. Le 30 juin, précise-t-il, « a marqué la fin d’une large part des contraintes qui pesaient encore sur la vie de nos concitoyens ». Oui mais… Le variant Delta fait son chemin et vient contrecarrer la reprise d’une vie normale espérée par Le président et par l’exécutif. « Ce variant qui serait de 60% à 90% plus transmissible que le virus initial selon les données scientifiques, conduit à ce que plusieurs pays connaissent aujourd’hui une remontée rapide de la circulation virale (…) et force est de constater qu’il compte déjà pour près de 20% des infections dépistées sur notre territoire », explique Jean Castex.

Fort de ce constat, le premier ministre estime dans son courrier qu’une « course contre montre » est engagée pour augmenter la couverture vaccinale. Le premier ministre souhaite dans ce contexte difficile avec un risque de « rebond épidémique à la rentrée » - cet été peut-être, selon Olivier Véran -, sonder les chefs de groupe sur une série de mesures envisagées pour « minimiser l’impact sur la santé et la vie quotidienne » des Français. Les propositions évoquées sont très floues. De grands concepts, pas de détail sur la mise en application. Cela laisse bien sûr toute liberté aux chefs de groupes pour exposer leurs solutions précises. Mais ce flou ouvre aussi la voie à toutes les interprétations.

La première option consiste à envisager une obligation vaccinale pour les soignants et peut-être élargie. A qui ? Mystère ? Vient ensuite l’idée d’une « incitation » à la vaccination avec le « pass sanitaire » dont on pourrait « étendre le champ d’application ». De quelle manière ? on ne saura pas. Le premier ministre envisage également de renforcer les « obligations d’isolement pour les personnes atteintes par la maladie (…), en effet explique-t-il, en dépit de toutes les mesures d’accompagnement à domicile que nous avons mises en place, nous constatons que de nombreuses personnes ne respectent pas l’isolement lorsqu’elles sont infectées par le virus. Ce constat pourrait nous conduire à nous interroger sur l’opportunité d’instaurer une obligation d’isolement, assortie de sanctions, comme nous l’avons déjà fait pour les personnes en provenance de certains pays à risque élevé ».

Il y a visiblement urgence car les chefs de groupes de l’Assemblée sont priés d’adresser leurs remarques avant le 6 juillet. « L’objectif partagé demeure plus de jamais d’obtenir la couverture vaccinale la plus large possible », conclut Jean Castex.

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