Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Frédéric Brillet, Jacques Duplessy

Vaccination : le coup de com du gouvernement

Ou comment gérer le vaccin comme le Nutella

Entre le 4 et le 7 mars, le gouvernement a voulu gonfler les chiffres de vaccination, quitte à permettre, sans le dire, la vaccination de public non prioritaire. Et pour motiver les soignants à venir travailler le dimanche, au moins une agence régionale de santé a menti sur les dates de péremption en agitant le spectre de doses jetées à la poubelle.

À Paris, l'hôpital de l'Hôtel-Dieu - © Reflets

A la fin de la première semaine de mars, un peu partout en France, c’était promo flash sur l’AstraZeneca. Venez vite, tout doit disparaître ! Dès jeudi 4 mars, dans certains centres de vaccination, toutes les personnes qui se présentaient avec leur carte Vitale, sans rendez-vous, qu’elles fassent partie ou non des publics prioritaires, repartaient avec leur précieuse piqûre. « J’ai appris par des connaissances que l’Hôtel-Dieu distribuait le vaccin AstraZeneca à tout le monde. J’ai reçu ma première dose et obtenu un RV dans la foulée pour la deuxième », raconte, ravie, une fringante quinquagénaire en pleine santé. L’espace d’un week-end dans le centre de Paris, on voyait enfin le bout du tunnel.

La bonne nouvelle a commencé à se répandre sur les réseaux sociaux et de nouveaux candidats, ni spécialement fragiles ou âgés se sont pointés dès le lundi 8 mars à l’Hôtel-Dieu. Trop tard, il n’y avait plus rien pour le commun des mortels qui s’est fait refouler… « L’opération spéciale de ce week-end est terminée, expliquait une employée de l’hôpital tout sourire à l’un des postulants déçus. Et figurez-vous qu’aujourd’hui, je n’ai même pas les doses pour les personnes inscrites… »

Mensonge sur les dates de péremption

Comment s’explique cette opération? Mardi 2 mars, le Ministère de la Santé reconnaissait que seulement 25 % des stocks disponibles d’AstraZeneca reçues en France avaient été utilisés. Parce qu’il jouit d’une moins bonne réputation que ses concurrents et ne convient pas aux personnes très âgées, ce vaccin britannique est boudé, notamment par les soignants. Pourtant il a obtenu la semaine dernière du Ministère le droit d’étendre son utilisation aux personnes âgées de 65 à 74 ans présentant des comorbidités.

Mais plutôt que de cibler les publics prioritaires, certains centres ont vacciné à tout va. L’information de centaines de milliers de vaccins dormant dans les frigos était désastreuse. Le mercredi, la Direction générale de la Santé décide d’ouvrir les vannes et de lancer l’opération de communication.

État des campagnes de vaccination - Financial Times
État des campagnes de vaccination - Financial Times

Le jeudi, les centres de vaccination sont informés qu’ils doivent ouvrir le dimanche 7 mars. La pression est maximale pour que tous les acteurs répondent présent. « En Seine Saint-Denis, l’agence régionale de santé (ARS) nous a dit que si on n’ouvrait pas le dimanche, des doses allaient être perdues car elles allaient périmer, raconte le Dr Yohan Saynac, généraliste à Pantin. On nous a culpabilisé pour rappeler les gens sur leurs jours de congé alors que c’était faux. Quand nous avons reçu les flacons, on s’est aperçu qu’ils périmaient à 5 jours, comme d’habitude. Dans les faits, on manque toujours de doses, j’ai plus de 100 personnes sur liste d’attente pour l’AstraZeneca. Tout ça pour un coup de com... » Information confirmée par le coordinateur d’un centre de vaccination du 93.

Résultat, quelque 200.000 doses d’AstraZeneca sur les 600.000 doses initialement réservés aux soignants selon le Figaro ont été redistribuées dans le grand public et notamment dans les hôpitaux, mais pas forcément à ceux qui en avaient le plus besoin. Qu’importe puisqu’il s’agissait de faire du chiffre le temps d’un week-end pour donner l’illusion que la campagne de vaccination atteignait enfin un rythme très élevé. Il n’a fallu d’ailleurs que quelques jours pour épuiser des stocks insuffisants avant le retour des files d’attente.

Des vaccinés non prioritaires

Le plus grave, c’est que cette promo flash s’est faite parfois au détriment de la santé publique, puisque de nombreux candidats jeunes et en bonne santé ont reçu une dose qui fait encore défaut aux publics fragiles. Outre l’Hôtel-Dieu, certains centres du 93 ont vacciné sans critères, quand d’autres les respectaient strictement. Des cas similaires nous ont été aussi rapportés à Orléans. Donc s’il n’y avait pas de consignes explicites de vacciner tous ceux qui se présentaient, les responsables des centres ont géré comme ils pouvaient pour injecter toutes les doses disponibles dans le week-end. Craignant le retour de bâton de son opération de com, le Ministère de la Santé a interdit dès lundi la vaccination des candidats non prioritaires.

Une nouvelle illustration de la politique du « stop and go » dans la gestion du Covid dans laquelle la France excelle décidément. Après les masques inutiles qui deviennent indispensables, confinement-déconfinement puis couvre-feu, le vaccin AstraZeneca est géré par le gouvernement comme le Nutella, à coup de promos et d’opérations open bar, quitte à accentuer les inégalités d’accès au vaccin.

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