Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par shaman, Eric Bouliere

Une réforme non négociable

Deuxième journée de manifestation, second départ en fanfare ?

Mesdames et messieurs les ministres faites passer le mot, cette réforme sera non négociable. Il semblerait que les éléments de langage soient ainsi définis. Les enfants de la république sont prévenus : il devient inutile de descendre dans la rue, et pour la récrée à 64 ans on leur répète à l'envi que rien n'est né-go-ci-able !

Mais que font-ils là ces gens mal négociables? - Reflets

On a eu beau leur dire que cela ne servirait à rien, on a eu beau les stygmatiser en leur disant qu'ils allaient « bordéliser le pays », sorte de vieille référence hors d'âge au général de Gaulle et sa « chienlit » de 1968, ils sont venus en masse avec 2,8 millions de personnes dans les rue du pays contre 2 millions le 19 janvier, selon les chiffres de la CGT. De son côté, le ministère de l’intérieur a, lui, estimé ce chiffre à 1,272 million contre 1,12 million le 19 janvier, soit la plus grande mobilisation depuis des années. Côté exécutif, en coulisse, on continue de dire que tout cela ne compromet pas la réforme...

À La Rochelle, les rangs s'étaient étoffés. Ce mardi 31 janvier, environ 12.000 personnes se sont de nouveau mobilisées autour du vieux port. Visiblement, ici comme ailleurs, et notamment à Paris, le peuple n'a semble-t-il pas entendu cette inébranlable consigne gouvernementale : « c'est non négociable »

Au gré d’un long cortège, Reflet s’est approché de quelques irréductibles contestataires, jeunes ou retraités, syndicalisés ou non, mais apparemment tous sourds et déterminés. Nous leur avons posé cette simple et courte question : cela vous fait quoi de vous entendre dire que cette réforme n’est pas négociable ?

Alinoë et Julia 16 et 17 ans

« C’est pas possible ça… dans une démocratie tout doit forcément rester négociable. Il faut écouter ce que pense le peuple, sinon ce n’est plus une démocratie »

Franck 39 ans « C’est ce qu’on verra dans le rapport de force qui va se tenir entre les organisations syndicales et le gouvernement. La durée du non négociable dépendra du gouvernement… »

Eh, les mômes on vous a dit quoi..?  la manifestation n’attend plus le nombre des années  - © Reflets
Eh, les mômes on vous a dit quoi..? la manifestation n’attend plus le nombre des années - © Reflets

Rémy 61 ans « _C’est un peu de l’intimidation non ? Le gouvernement tient une position défensive qui peut-être révèle aussi une petite faiblesse… _»

Cécile 56 ans « Je ne suis pas du tout engagé politiquement mais tout ce que j’entends sur le sujet me semble contre-productif. Le non négociable pour moi ça n’existe pas, même avec mes enfants je n’ai jamais fonctionné comme ça. Fait ça tu auras ça, ça ce n’est pas négociable… c’est le principe du pouvoir autoritaire »

Des boulots plus difficiles que les autres… demandez leur. - © Reflets
Des boulots plus difficiles que les autres… demandez leur. - © Reflets

Évelyne 37 ans « _Oui c’est très gênant, on dit ça aussi dans les pays au régime dictatorial… _»

Myriam 42 ans « C’est vrai après tout qu’est-ce qu’on fait là ? Et bien… on a envie de donner notre avis, nous on va négocier ! »

Penser à vivre quand on est jeune…  - © Reflets
Penser à vivre quand on est jeune… - © Reflets

Mickaël 40 ans « C’est inadmissible ! Inadmissible que des politiques imposent de travailler plus longtemps sachant que toutes les professions ne se ressemblent pas, pour certains travailler jusqu'à 64 ans c’est….. Si nous sommes là, c’est justement que l’on veut négocier »

Catherine 43 ans « Les gens qui ne négocient pas, souvent poussent à la violence ; alors quand c’est un gouvernement qui propose la violence comme seule alternative, c'est qu’il n’a plus aucune crédibilité »

Beaucoup trop de monde à la gare de La Rochelle ce 31 janvier… - © Reflets
Beaucoup trop de monde à la gare de La Rochelle ce 31 janvier… - © Reflets

Marion 47 ans « Ça m’énerve profondément et notre colère aussi devient non négociable en fait. On ne va pas se laisser faire, nous les femmes, parce que les femmes sont les plus touchées par cette reforme. Alors nous non plus notre position dans la rue n’est plus négociable »

Viviane et Juliette 66 et 65 ans « C’est vraiment dommage, surtout quand on a travaillé pendant toute une vie pendant 43 ans, se faire entendre dire que rien n’est négociable… nous sommes déjà en retraite, alors on manifeste, on défend pour les autres »

Véronique 37 ans « C’est vrai ! Les jeunes se mobilisent contre cette réforme, il y a de plus en plus de monde dans la rue partout en France, alors non ce n’est pas négociable monsieur Macron »

Nytia 28 ans «Je trouve ça inconcevable, on devrait pouvoir discuter de tout ça quand même ! »

Attention à la tension quand plus rien n’est négociable… - © Reflets
Attention à la tension quand plus rien n’est négociable… - © Reflets

Paris, ça déborde.

Arrivée sur le cortège au niveau des Gobelins, une première différence saute aux yeux. L'organisation n'est pas la même que pour la dernière mobilisation. Là où le précédent jeudi, la tête du cortège était emmenée par les franges combatives de la mobilisation avec notamment le char « Solidaires » et ses harangueurs de foule, cette semaine, c'est un syndicat « réformiste et constructif » qui semble vouloir se mettre en avant. La CFTC est sortie en force. Devant elle, un black bloc s'est constitué, précédé par un petit groupe de gilets jaunes qui chantent à tue-tête son répertoire bien connu. Derrière la CFTC viennent les chars de « Solidaires ». Plus loin, derrière, les autres cortèges syndicaux. Si loin qu'on ne les aperçoit pas encore.

La CFTC avait décidé de faire voir sa couleur, en avant du cortège - © Reflets
La CFTC avait décidé de faire voir sa couleur, en avant du cortège - © Reflets

Le black bloc, avant que lui-même soit débordé par les manifestants - © Reflets
Le black bloc, avant que lui-même soit débordé par les manifestants - © Reflets

Une chose ne change pas par rapport au jeudi précédent. La manifestation piétine. Mais elle se fait entendre. La tête du cortège « Solidaires » a un répertoire bien rodé, il faut parfois écouter un moment pour se familiariser avec les paroles. Des chants abordent des thèmes qui dépassent celui de la réforme des retraites. Une tendance qui pourra être aussi notée sur les banderoles. La CFTC, elle, ne chante pas. Mais elle se fait entendre à grand coup de cornes de brumes et de klaxons. Le black bloc tente ses classiques antifascistes, mais semble un peu écrasé par cet encombrant voisin. Mais malgré toutes ces belles volontés, ça n'avance pas. La manifestation fait du surplace. Il est possible de rester une demi-heure à discuter puis récupérer sa place dans le cortège après quelques pas.

Si la manifestation traîne, autant en profiter pour faire de la communication - © Reflets
Si la manifestation traîne, autant en profiter pour faire de la communication - © Reflets

L'avant du cortège syndical "Solidaires", tout en couleur et en chants - © Reflets
L'avant du cortège syndical "Solidaires", tout en couleur et en chants - © Reflets

La foule s'est elle impatientée ? Les plus déterminées se sont-ils dit qu'il fallait voir ce qu'il se passait devant ? Alors que les blocs syndicaux bien organisés continuent leur stratégie des petits pas, les trottoirs se noircissent de monde et un flux de personne se mettent à remonter le cortège. La manifestation est alors sur le boulevard Montparnasse et il y a de la place. Quelques minutes plus tard, la situation s'est décantée. Les quelques gilets jaunes et le black bloc qui menaient le cortège se sont transformés en une foule imposante, bigarrée et sans étiquettes. Des jeunes, des vieux, quelques drapeaux égarés portés par des syndicalistes déterminés. Des gilets jaunes par-ci, par là. Et cette foule impose un rythme différent. Elle avance vite, prenant tout le boulevard. Elle recule parfois temporairement quand le gaz lacrymogène envahit l'espace. Mais très vite, elle reprend sa route, les plus audacieux entrainant dans leur sillage ce cortège déterminé. Un petit air de Gilets Jaunes.

Dès la station de métro Vavin, la foule a débordé le cortège syndical - © Reflets
Dès la station de métro Vavin, la foule a débordé le cortège syndical - © Reflets

Plus de cortège défini, une foule éclectique et déterminée, le cauchemar des forces de police ? - © Reflets
Plus de cortège défini, une foule éclectique et déterminée, le cauchemar des forces de police ? - © Reflets

Devant, ça gaze. Nous dirigeons-nous vers une giletjaunisation du mouvement ? - © Reflets
Devant, ça gaze. Nous dirigeons-nous vers une giletjaunisation du mouvement ? - © Reflets

La police ne s'y est pas trompée : cette manifestation de tête, il faut la maitriser. Alors, à plusieurs reprises, elle décide de couper le cortège, tentant ainsi de nasser les éléments les plus déterminés. Mais la foule tient bon et aux grands cris « Allez y, continuez à avancer », les nasseurs se retrouvent souvent nassés. Leur position n'est plus tenable et ils se replient alors dans les rues parallèles. Les gaz lacrymogènes fusent à plusieurs reprises. La foule subit plusieurs charges. Mais elle est nombreuse, plurielle et déterminée. Et peu de casse est à déplorer. Difficile de trier le bon grain de l'ivraie. Alors la police est bien obligée de la laisser continuer.

La place Vauban, aux Invalides, est bien entourée - © Reflets
La place Vauban, aux Invalides, est bien entourée - © Reflets

Un peu à la traîne, la police bien décidée à ne pas laisser tout ceci déraper - © Reflets
Un peu à la traîne, la police bien décidée à ne pas laisser tout ceci déraper - © Reflets

À l'arrivée aux Invalides, on sent que les choses pourraient déraper. Les renforts CRS sont arrivés et se sont positionnés dans les rues parallèles, le canon à eau est là. Sur la place, l'atmosphère est légère, mais par endroits de petits groupes commencent à dépaver la rue en prévision de l'affrontement. Plus loin, un panneau publicitaire est mis à bas. Un poteau soutenant une caméra est ouvert et le feu est mis au câblage. Mieux vaut prévenir que guérir. Avec la nuit tombante et les renforts CRS positionnés, les charges se font plus régulières. Les forces de l'ordre foncent dans la foule pour interpeller des individus précis. Elles repartent sous les huées et quelques projectiles. Malgré une foule qui s'attarde, les charges successives finissent par réussir à disperser. Et pourtant toute la manifestation n'est pas encore arrivée. Il faudra remonter le cortège sur presque 1 kilomètre pour trouver les camions de la CGT en train de se mettre doucement à ranger.

Interpellation au milieu de la foule place Vauban - © Reflets
Interpellation au milieu de la foule place Vauban - © Reflets

Sans négociations, tout cela pourrait finir dans le gaz - © Reflets
Sans négociations, tout cela pourrait finir dans le gaz - © Reflets

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