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par Jacques Duplessy

Une nouvelle plainte pour « torture et actes de barbarie » contre le chef d'Interpol

Elle est déposée alors que le général émirati Al-Raisi se trouve actuellement sur le sol français.

Le président d’Interpol est accusé par l'ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR) d'être complice des tortures que subit l'opposant émirati emprisonné Ahmed Mansoor. William Bourdon, l'avocat de l'association de défense des droits de l'Homme, demande l'arrestation immédiate du général Al-Raisi par la France.

Le général Ahmed Naser Al-Raisi, nouveau patron d'Interpol - Ipixelpro - CC BY-SA 4.0

Une nouvelle plainte pour « torture » et « actes de barbarie » a été déposée mardi à Paris au pôle crimes contre l'humanité du parquet antiterroriste (PNAT) contre Ahmed Nasser Al-Raisi, le nouveau président d'Interpol, élu le 25 novembre 2021.

Selon Me William Bourdon qui est à l'origine de cette plainte pour le compte de l'ONG de défense des droits de l'Homme Gulf Centre for Human rights (GCHR), le général Al-Raisi se trouverait actuellement en France. « Nous avons constaté que le Secrétaire général d'Interpol, Jürgen Stock avait twitté qu'il accueillait le nouveau président pour sa première visite au siège de l'organisation à Lyon, donc j'ai immédiatement déposé la plainte, raconte l'avocat joint par Reflets. Les services de la procureure la République du pôle Crime contre l'humanité, m'ont assuré qu'ils procédaient à un examen de la plainte sans délai._ » Pour de tels faits, le PNAT peut de saisir de l'affaire sur la base de la compétence universelle.

Le général Al-Raisi, président d'Interpol, et son secrétaire général, Jürgen Stock, dans les locaux de l'organisation à Lyon, le 17 janvier 2022
Le général Al-Raisi, président d'Interpol, et son secrétaire général, Jürgen Stock, dans les locaux de l'organisation à Lyon, le 17 janvier 2022

Le patron d'Interpol avait déjà été visé par deux plaintes mais celles-ci avaient été classées par le Parquet pour absence de compétence, car l'Emirati ne résidait pas en France et ne se trouvait pas non plus sur le sol français. « Cette visite en France relance l'affaire et j'estime que la France doit procéder à son interpellation immédiatement, déclare Me William Bourdon. C'est une obligation impérative au regard des conventions internationales qu'elle a signées. »

La plainte est liée au traitement réservé à un militant des droits de l’homme émirien, Ahmed Mansoor. Dans la nuit 20 mars 2017, cet ingénieur aujourd'hui âgé de 52 ans, était arrêté par un groupe de policiers en uniforme à son domicile dans la ville d’Ajman aux Emirats Arabes Unis. La décision d’arrêter M. Mansoor avait été prise par le service chargé des poursuites en matière de cybercriminalité du Ministère de la justice d’Abu Dhabi. D’après un communiqué du Ministère de la justice d’Abu-Dhabi du 20 mars 2017, il était « suspecté d’avoir utilisé les réseaux sociaux tels Twitter, Facebook etc. pour publier de fausses informations, rumeurs et mensonges au sujet des Émirats arabes unis et promouvoir un discours sectaire et de haine de nature à porter atteinte à l’unité et la paix sociales des Émirats arabes unis. Il aurait également publié de fausses informations dans le but de nuire à la réputation des Émirats arabes unis à l’étranger et encouragé ses followers sur les réseaux sociaux à ne pas suivre les lois émiriennes et présenté les Émirats arabes unis comme une anarchie ».

Des conditions de détention « moyenâgeuses »

Pendant plus d’un an après son arrestation, les autorités émiriennes ont refusé de divulguer le lieu de détention d’Ahmed Mansoor. Il n’était pas autorisé à appeler sa famille et n’a eu le droit qu’à 2 courtes visites d’une demi-heure avec sa femme les 3 avril et 17 septembre 2017, sous étroite surveillance. Le 29 mai 2018, la Chambre de la sûreté de l’État de la Cour d’appel d’Abu Dhabi a condamné l'activiste à 10 ans de prison ainsi qu’au paiement d’une amende de un million de Dirhams émirati (environ 240.000 euros) et ordonné son placement sous surveillance pendant 3 ans à compter de sa sortie de détention, la confiscation de tous ses appareils de communication et la suppression de tous ses comptes sur les réseaux sociaux. Le procès s’est tenu à huis clos et les autorités ont refusé de rendre publics l’acte d’accusation et la décision de condamnation. En appel, la Cour a confirmé sa condamnation le 31 décembre 2018.

« Sa situation inquiète les associations de défense des droits de l'Homme, déclare Me Bourdon. Le 27 janvier 2021, Human Rights Watch et le Gulf Centre for Human rights ont publié un rapport intitulé « La persécution d’Ahmed Mansoor : Comment les Emirats arabes unis ont réduit au silence leur plus célèbre militant des droits de l'homme ». (rapport en anglais, NDLR) Nous avons des éléments sur le rôle direct du général Al-Raisi dans les actes de tortures et de persécution commis à l’encontre de ce militant. Dans le cadre de ses fonctions, le général a directement supervisé la répression contre les défenseurs des droits et libertés dans le pays. »

L'avocat dénonce des « conditions de détention moyenâgeuses » : « Il est à l'isolement dans une cellule sans lumière, pratiquement sans contact humain. Il dort toujours sur le sol sans matelas. Pendant les mois d'hiver les plus rigoureux, son alimentation en eau chaude a été coupée, on lui a refusé le thé chaud et il s'est vu refuser l'accès au réfectoire de la prison. »

Depuis novembre 2018, sa femme et ses enfants peuvent lui rendre visite une fois par mois. Mais sous prétexte de la pandémie de Covid, il n'a pu recevoir aucune visite depuis janvier 2020. « A ce jour, ses proches sont sans nouvelle de lui et nous avons de graves inquiétudes sur son état de santé, assure l'avocat. Tous ces éléments sont constitutifs des faits de torture et d'actes de barbarie. »

L'immunité fonctionnelle en question

« Il est clair que la France est désormais compétente pour instruire cette plainte car il est indiscutable que le patron d'Interpol va résider au moins en partie en France, plus précisément à Lyon, dès qu’il aura pris ses fonctions, assure l'avocat de l'ONG. Il n’existe plus d’obstacle à l’ouverture d’une enquête et à l’exercice de poursuites à son encontre. »

Me Bourdon estime que le patron d'Interpol ne devrait pas bénéficier d'une immunité fonctionelle. « Ni l’immunité d’arrestation et de détention, ni l’immunité fonctionnelle de juridiction prévues dans l’article 15 de l’Accord de siège de 2008 d'Interpol, n’ont vocation à s’appliquer aux faits dénoncés par l'ONG et commis par Ahmed Al-Raissi, soutient-il. L'immunité d’arrestation ou de détention ne s'applique pas en cas de crime ou de délit flagrant. Or le général exerce la fonction de Président d’Interpol à temps partiel et conserve ses fonctions d’Inspecteur général au sein du ministère de l’Intérieur des Émirats arabes unis. En conséquence, il a toujours un rôle actif dans l’emprisonnement et les conditions de cet emprisonnement – notamment l’isolement – donc la torture subie par Ahmed Mansoor. La commission du délit de torture dénoncé est donc actuelle et continue. »

« Il est évident que si les juridictions françaises n’interviennent pas, la justice ne sera jamais rendue et les auteurs des crimes commis à l’encontre de Monsieur Mansoor, ne seront jamais véritablement inquiétés, ce qui reviendrait à une situation de déni de justice », conclut William Bourdon.

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