Journal d'investigation en ligne
par Ricardo Parreira

Une note du ministère de l’intérieur fait craindre une répression très violente

Le schéma national des violences urbaines s’en prend aux journalistes

Alors que des contestations sociales de grande envergure se profilent pour le 10 septembre, plusieurs médias ont mis les mains sur le « schéma national des violences urbaines », du ministre de l’Intérieur et censé rester à usage interne. L’État y préconise notamment le recours au RAID, mais aussi de fragiliser le statut des journalistes. Dans un pays où les violences policières se multiplient, Reflets rappelle que chacun a le droit de filmer la police.

La presse n'est pas épargnée par les forces de l'ordre qui sèment le désordre - © Reflets

Dans la torpeur de l’été et à la veille d’un mouvement de contestation le 10 septembre, le ministère de l’Intérieur a diffusé un nouveau schéma national des violences urbaines (SNVU). Ce document est destiné « à mettre à disposition des services territoriaux de la police nationale un guide pratique pour la gestion des violences urbaines » et a vocation à répondre « à toutes les situations de violences urbaines, jusqu’aux émeutes insurrectionnelles, caractérisées par une très haute intensité ». Avec ce texte, le très droitier Bruno Retailleau prépare une répression toujours plus violente des manifestations et une invisibilisation des violences policières en empêchant les journalistes de faire leur métier. La Trumpisation des esprits est en marche, y compris en France.

Dans ce document, le ministre de l’Intérieur préconise l’utilisation des « unités spécialisées » lorsqu’il est confronté à « l’inefficacité de l’intervention des unités conventionnelles », CRS, CDI , BRAV, BAC, etc. Ce que ces préconisations d’escalade de la violence d’État ne disent pas, et que le jargon masque, c’est que ces « unités spécialisées », à savoir la BRI-PP (Brigade de recherche et d’intervention de la préfecture de police) et le RAID (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion), ne sont aucunement formées au maintien de l’ordre. Leur utilisation à Marseille pendant les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel s’est soldée par deux morts.

L’utilisation du RAID dans plusieurs villes à cette occasion a été catastrophique : nombreux blessés graves, bavures, dérives, usage d’armes mutilantes sans retenue. Tout cela illustre la décadence totale d’une hiérarchie policière qui considère ses concitoyens comme des ennemis à réprimer, souvent au détriment des principes élémentaires démocratiques.

Graphique extrait du SVUP - Ministère de l’Intérieur
Graphique extrait du SVUP - Ministère de l’Intérieur

La note a mis en ébullition les syndicats de journalistes. Elle retire en effet aux journalistes de terrain de leurs droits fondamentaux liés à la liberté d’informer, les ramenant au niveau de simples citoyens ou de manifestants. « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre, ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines », écrit le ministère. En clair, interdiction de filmer, de photographier et risque d’être pris pour cible après les ordres de dispersion des manifestations. Le SNJ a mandaté ses avocats pour qu’ils déposent une requête en urgence devant le Conseil d'Etat et un dossier au fond d'ici fin septembre.

Si les violences policières envers les journalistes sont déjà fréquentes lors des manifestations, que faut-il envisager en termes de sécurité pour l’avenir ? Dans un rapport publié en 2023, Reporters sans frontières (RSF) a livré des chiffres impressionnants.

« Cette hausse importante des exactions s’accompagne d’une inversion de tendance. Alors que ces deux dernières années, la majorité des journalistes agressés l’avaient été par des  manifestants ou des individus violents (70 % en 2021 et 81 % en 2022), depuis le début de l’année 2023, 63 % des violences sur les journalistes en France sont le fait des forces de l'ordre. Bien que clairement identifiables en tant que reporters, ils ont été matraqués, plaqués au sol, ou ciblés directement par des tirs de grenades et de gaz lacrymogène. »

Filmer la police est un droit pour les journalistes et des citoyens

Il est courant que des policiers exigent des journalistes la présentation de leur carte de presse alors qu’ils exercent leur métier. Si cette demande n’est pas illégale en soi, elle constitue néanmoins une forme d’intimidation et de pression sur les journalistes de terrain. En effet, être muni de la carte de presse n’est pas une obligation légale pour pratiquer le journalisme.

Comme le rappelait déjà Libération dans un ancien article sur la législation de la presse (droit qui englobe également les citoyens), selon une jurisprudence de la Cour de cassation (deux arrêts; l’un du 25 janvier 2000 et l’autre du 20 février 2001), si une vidéo présente un « intérêt général » en matière d’information, sa diffusion ne comporte pas de risque légal.

Les forces de l’ordre ne bénéficient d’aucune protection particulière en matière de droit à l’image, sauf lorsqu’elles appartiennent à des services spécifiques : RAID, GIGN, GIPN, BRI, sécurité du Président, lutte antiterroriste ou contre-espionnage. Ces services sont précisément énumérés dans l'arrêté du 27 juin 2008. Dans ces cas, les images doivent être floutées de manière extrêmement rigoureuse pour éviter toute identification et tout risque de poursuites.

Note service Ministère de l’Intérieur de 2008
Note service Ministère de l’Intérieur de 2008

Face à une police dont la popularité s’effondre, mais qui continue régulièrement à entraver le travail de celles et ceux qui tentent de filmer son action publique, une autre question s’impose : un policier peut-il prendre votre téléphone ? Les journalistes de L’Obs apportent une réponse claire : non. Un policier ou un gendarme ne peut pas confisquer un appareil photo, une caméra ou leur contenu, sauf dans un cas très précis : si un officier de police judiciaire, habilité par le parquet, dispose d’une autorisation expresse d’un magistrat. Cette mesure demeure exceptionnelle.

Comme le rappelle par ailleurs une note de 2017, un fonctionnaire de police, soumis à des règles déontologiques strictes, ne doit pas craindre l’enregistrement d’images ou de sons documentant son action. D’ailleurs, dans le Schéma national des violences urbaines, au chapitre 2.2.1, on peut lire : « Rappeler aux policiers qu’ils ne peuvent faire obstacle à l’enregistrement ou à la diffusion publique de leur image ou des paroles prononcées à l’occasion de l’exercice de leurs missions sur la voie publique. »

Extrait du SVUP - Ministère de l’Intérieur
Extrait du SVUP - Ministère de l’Intérieur

Sur les réseaux sociaux, syndicats, partis politiques, collectifs et associations de tous bords appellent à rejoindre les mobilisations sous la bannière « Bloquons tout ». Le rapport de force s’annonce tendu, et le « vote de confiance » du 8 septembre devrait également influencer la nature et l’intensité des contestations prévues le 10 septembre. Cette tension, la fébrilité de l’exécutif depuis plusieurs jours, la diffusion de ce document aux forces de l’ordre et la fuite organisée dans la presse d’une note du renseignement territorial sur l’organisation du 10 septembre, laissent craindre le pire pour les journées de mobilisation à venir.

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